L’émission d ‘hier (27 janvier) de France 2 sur l’horreur des camps
La libération du camp d’Auschwitz, soixante-dix après
Ce fut un long moment d’une horreur absolue : on voyait pour la première fois l’assassinat de pauvres Juifs des Etats baltes, annexés par Staline et récemment envahis par les hordes nazies, se faire tuer à coups de barre de fer sur la tête par des lettons, des Ukrainiens et des Lituaniens, supplétifs enrôlés par les forces d’occupation allemande qui leur avaient délégué la traque et le meurtre de Juifs, en arguant qu’ils étaient la source de tous leurs maux et qu’ils étaient le bras armé du bolchevisme.
Les scènes étaient horribles. Les spécialistes intervenaient dans l’intervalle entre les différentes prises de vues pour expliquer comment on est passé de la Shoah par balles aux chambres à gaz et aux fours crématoires. C’était insoutenable. On a commencé par jeter sur les routes de l’URSS envahie par les Nazis des Einsatzkommando, ce qui dignifie commandos d’intervention pour tuer et exterminer chaque Juif que l’on pouvait trouver sur son chemin.. Le chef des SS, Heinrich Himmler interprétait à sa façon les ordres assez vagues de son maître Hitler, en l’absence de toute prescription écrite. Mais les injonctions étaient claires,
L’émission d ‘hier (27 janvier) de France 2 sur l’horreur des camps
La libération du camp d’Auschwitz, soixante-dix après
nonobstant cette volonté de ne laisser aucune trace.
Himmler se rendit maintes fois sur les lieux du supplice ; on dit même qu’il aurait eu un malaise devant ces assassinats de masse. Ce qui ne le fit nullement dévier de son objectif. En quelques mois, des dizaines de milliers de Juifs furent exécutés par les Nazis. Un détail assez horrible : en 1941, un journal hébraïque de Tel Aviv publie le nombre de victimes juives en URSS tuées par les Nazis, mais ce chiffre est si incroyable que dans le numéro suivant, le même journal présente ses excuses à ses lecteurs, signalant qu’il faut retirer un zéro au chiffre précédemment annoncé. Et le journal ira jusqu’à dire qu’il décline toute responsabilité concernant l’authenticité des chiffres fournis… Absolument incroyable !!! Mais la réalité dépassait l’imaginable : les chiffres étaient bien vrais.
Et cette extermination systématique ne satisfaisait toujours pas les Nazis qui voulaient plus et mieux. Certains jeunes soldats allemands avaient la nausée au terme de ces sanglantes journées où ils avaient dû tuer par balles des milliers de victimes. En outre, ces recrues écrivaient à leurs familles en Allemagne ou leur rendaient visite lors de permissions et à cette occasion, ils racontaient ce qu’ils avaient fait ou vu… Au début, on assassinait les hommes uniquement, les femmes et les enfants étaient condamnés à mourir de faim et de froid. Car il ne faut pas oublier que le haut commandement de la Wehrmacht n’avait pas prévu de ravitaillement pour ces commandos de tueurs, lesquels devaient piller le bétail et les vivres des zones occupées. Pour se nourrir, ils devaient affamer les populations civiles.
Pour arriver à un meilleur «rendement», Himmler envisagea d’autres moyens plus industriels. Au lieu d’envoyer les tueurs là où se trouvaient des Juifs, il eut l’idée de construire des camps où les Juifs seraient expédiés pour y être exterminés. Il inversait l’ordre des choses. Pour y parvenir, il avait dû renoncer à ces terribles camions de la mort que les Nazis avaient déjà utilisés pour euthanasier en Allemagne les malades mentaux, censés menacer la pureté et la bonne santé de la race aryenne. Il suffisait (sic) de brancher les pots d’échappements à l’intérieur du véhicule hermétiquement fermé et de mettre le moteur en marche… Les hommes qui s’y trouvaient mourraient instantanément ; à défaut, on donnait le coup de grâce à ceux qui respiraient encroe… C’est cette technique horrible qui fut l’ancêtre de la chambre à gaz, construite en dur dans un camp.
Fidèles à leur esprit de système, les Nazis avaient réquisitionné des éléments parmi les déportés qu’ils nommaient des Kapos et qui étaient chargés d’extraire les cadavres des chambres à gaz pour les jeter dans les fours crématoires. Et peu de temps après, ces hommes étaient eux mêmes suppliciés et d’autres les remplaçaient…
Les reportages ont aussi parlé de la connaissance ou de l’ignorance par les alliés de ce qui se passait. Les Britanniques étaient bien renseignés, ils avaient des informations pratiquement au jour le jour. Winston Churchill était très au fait de ce qui se passait mais n’avait jamais décidé de faire bombarder les voies d’accès aux camps de la mort. La RAF, pensait-il, avaient mieux à faire.
Il fut aussi question des Juifs allemands puisque les victimes avaient été, jusqu’ici, massivement des Juifs de l’est (Ostjuden) que les Nazis abhorraient et dont même des historiens aussi sérieux que Heinrich von Treitschke considéraient comme étant la source de tous les maux de l’Allemagne. C’est ce même homme qui écrivit dans les Annales Prussiennes la terrible phrase dont se servira Hitler : Die Juden sind unser Unglück (Les Juifs, voilà notre malheur). Certes, von Treitschke ne pouvait pas imaginer l’usage qu’on ferait de cette terrible phrase. Mais il en porte, tout de même, la responsabilité morale.
Le cas des Juifs allemands, c’est-à-dire titulaires de la nationalité allemande, était à part, même si les lois raciales de Nuremberg de 1935 les avaient déjà largement exclus de la socio-culture de leur pays natal. Mais Hitler avait voulu être précautionneux dans ce domaine puisque leur soudaine disparition aurait certainement provoqué des questions, peut-être même des remous, au sein du voisinage, voire de l’épiscopat. Mais on n’en resta pas là.
En réalité, les bourreaux n’avaient pas trop de soucis à se faire : à de très rares exceptions près, à l’instar de cet évêque qui dans son temple, avait demandé à son auditoire lors de son sermon, de prier avec lui pour les Juifs, et qui fut assassiné pour cela, le clergé ne s’est pas précipité pour aider des êtres traités de manière si inhumaine. Il faut dire que l’idéologie nazie n’hésitait pas à parler de matériau humain (Menschenmaterial) ou de bêtes à forme humaine. En clair, de sous-hommes (Untermenschen). Léo Baeck, dernier grand rabbin d’Allemagne, rescapé du camp de Theresienstadt, n’a pas eu à rendre trop d’hommage à des collègues chrétiens particulièrement méritants : ils furent très peu nombreux à réagir. Et même son appel au secours, véritable bouteille à la mer, publié en 1938 sous le titre, L’Evangile, un document de l’histoire religieuse juive, ne trouva aucun écho dans la population allemande. En outre, la quasi totalité du tirage de ce livre fut saisie par la Gestapo. Le livre a été publié en traduction française par les éditions Bayard en 2002.
Toute cette tragédie, absolument innommable et incomparable pose la question de la responsabilité de la culture européenne : le peuple allemand était, dans l’entre-deux guerres, l’un des plus évolués d’Europe. Ses églises étaient très impliquées dans la vie sociale et culturelle : la Bible a toujours été le fondement de la spiritualité germanique où la religion était depuis longtemps considérée comme une matière académique au même titre que les autres (l’histoire, les mathématiques, etc…) Il est extrêmement malaisé de trouver une réponse à cette faillite morale. Certains de nos collègues germanistes parlent du penchant criminel de l’Europe. Je ne pense pas que cette violence meurtrière absolument unique (einmalig) ait été présente dans les gènes de l’Europe. Tout ceci est lié aux fondements de l’antisémitisme. Les Juifs ont été tenus responsables de toutes les révolutions, et ce depuis la révolution monothéiste qui, aux temps biblique, a, comme l’écrivait Ernest Renan, donnait un sacré coup de balai dans le ciel, afin d’en chasser une kyrielle de divinités qui n’avaient rien à y faire… Il y eut ensuite la révolution capitaliste, bolchévique, psychanalytique, etc…
Mais soixante-dix après, c’est-à-dire presque un siècle, on réalise, qu’on soit Juif ou pas, que ce passé ne passe toujours pas. Il y a cependant un danger qu’il faut éviter à tout prix, c’est la victimologie. Il ne faut pas se poser en victime. Il faut avancer, le regard fixé sur l’avenir. Un avenir qui n’est écrit nulle part par avance, mais que nous devons écrire.
Les Israéliens l’ont bien compris, qui commémorent le jour de la Shoah, en même temps que le jour de la Gevourah, la bravoure. On ne glorifie pas les victimes, on leur rend hommage, on entretient leur mémoire, mais en même temps, on signifie clairement que ce le ne se reproduira pas.
Par cette mise bout à bout de deux termes, par cet oxymore,, ils signifient clairement qu’ils ne se laisseront plus jamais tuer. Et que l’histoire juive cesse d’être une martyrologie pour redevenir une histoire. Comme tous les peuples, épris de paix, de vie et bonheur.