D’Avignon et de son festival
Il me coûte de le dire de cette manière mais c’est une décision bien arrêtée et largement fondée : c’est la troisième fois que je me rends au festival d’Avignon pour y prononcer une allocution, et je ne pense qu’il y en aura une quatrième.
La ville ne manque pas de charme, elle bruit des sons d’une jeunesse dynamique et se présente comme la vitrine de tous les talents, réels, supposés ou à venir, mais en réalité elle se repose sur ses lauriers et n’avance plus.
L’atmosphère générale ne s’est pas seulement popularisée (au sens négatif du terme) elle s’est plutôt largement prolétarisée. Certes, vous trouverez dans la ville, en cherchant bien, quelques bons restaurants et quelques boutiques de bon standing, mais dans l’immense majorité des cas, la qualité laisse à désirer.
Mais le plus grave, c’est l’absence quais totale d’un système de transports, aggravé par l’éloignement des hôtels, car ceux qui se trouvent dans la ville intra muros sont réservés d’une année sur l’autre. Et alors les taxis, c’est la croix et la bannière. Il faut prévoir un véritable budget : pour environ 48 heures, il a fallu pas moins de 100 € ! Et encore, il fallait les trouver ces taxis. C’est une denrée très rare. Vous devez prévoir votre journée en fonction justement de ces taxis. Pour arriver à l’heure au colloque, il fallait que l’hôtel (correct, sans plus, avec des manières bien provinciales, mais un personnel dévoué) réserve directement les taxis. Pour sortir le soir, il faut calculer comment se rendre au restaurant, et surtout par quel moyen revenir à l’hôtel… Une véritable expédition.
Je vais vous raconter un fait assez incroyable qui dénote bien et la mentalité des méridionaux et la vétusté des installations : nous avons marché depuis le centre ville jusqu’à la gare centrale, nous disant qu’on y trouverait un taxi. Par chance, il s’en présente un avec une charmante jeune conductrice. Et que nous dit elle dès que nous prenons place ? Monsieur, je m’excuse, mon compteur ne fonctionne plus. La course vous coûtera 15 €, je le sais d’expérience… Plutôt amusant, ce mode de fonctionnement. On n’est pas à cela près. Mais quel esprit !
Quant à l’ambiance générale du festival, c’est une vraie foire, un tintamarre qui n’a rien à voir avec l’art et la culture. Certes, on croise de temps en temps telle ou telle personnalité célèbre du monde culturel, mais cela ne suffit pas. Et surtout, la ville n’est pas équipée pour recevoir des gens du monde entier : l’esprit provincial, limité et rabougri n’est pas compatible avec une réputation qui se voulait européenne, voire mondiale.
A la gare TGV, en état de surpeuplement, les familles, des plateaux chargés de nourriture et de boissons dans les mains, cherchaient désespérément des chaises et des tables pour s’y restaurer. En vain ! Franchement, c’était inimaginable. Toutes ces personnes d’un certain âge, ces enfants suivant leurs parents ou grands parents…
Mais je voudrais relater le fait suivant qui m’a tant marqué ; je quitte ma table pour aller me laver les mains, au bout de l’allée. La dame qui veille à l’entrée me dévisage et me dit sans autre forme de procès : c’est 0,70€. Je fouille mes poches et constate que je dois faire demi tour pour chercher le précieux sésame… En reprenant le chemin, une petite fille d’une quinzaine d’années, très jolie, très bien élevée, les yeux clairs, me dit : pardon, Monsieur, savez vous où sont les toilettes ? Je lui réponds : oui, au bout de l’allée, mais il faut 0,70€ pour y entrer…
C’est alors que la jeune fille a levé le bras dans un signe de totale impuissance, de profonde incompréhension… j’ai alors lu dans son regard la peine, le désarroi de la terre entière. Ce geste était celui de l’inadaptation d’une jeunesse qui découvre chaque jour un peu plus la place de l’argent dans notre société. Mais la maman de cette enfant, qui n’était pas loin, avait suivi toute la scène: un large sourire apparut sur son visage.
Quant à moi, ce fut un très mauvais message que j’emportai avec moi, le regard désolé et poignant de cette petite fille, quittant une ville où je ne pense pas remettre un jour les pieds…. Sauf si elle change.