Année 2015, annus horribilis
Quand j’étais enfant, j’avais demandé à mon père de me traduire une expression hébraïque qui revenait en refrain lors de l’office religieux du nouvel An, Rosh ha-Shana. La traduction qu’il me fournit avait intrigué, voire troublé le talmudiste en herbe que j’étais : que s’achèvent (enfin) l’année (écoulée) et ses malédictions, que commencent (enfin) l’année (nouvelle) et ses bénédictions.
On s’étonnera peut-être de cette référence liturgique dans une France si acquise (avec raison) à la laïcité, et pourtant jamais une telle prière n’aura été aussi adaptée à la situation, intérieure et extérieure, que nous connaissons, ou devrais-je dire, que nous subissons.
A peine avions nous commencé 2015 que les assassinats de Charlie Hebdo et de l’Hyper cacher nous plongeaient dans le noir absolu. Mais ce n’était rien en comparaison de ce que nous réservait un funeste avenir… Ce serait trop triste de s’y étendre de nouveau : notre pays, frappé au cœur, le centre même de notre capitale sillonné par un groupe de fanatiques assoiffés de sang, animés par un seul désir bestial, outre celui de se suicider : faire un maximum de victimes, tuer le plus de Français possible. François Hollande que l’on disait incapable de prendre la moindre décision (voir un article allemand ravageur dans la Frankfurter Allgemeine sur ce sujet) infligea alors un cinglant démenti à tous ses détracteurs : il a réagi vite, de manière claire et efficace. Et cette fois-ci, il a évité d’être un simple tacticien pour agir en vrai stratège : un homme d’Etat porteur d’un projet et animé d’une vision au service de la France.
Mais le pire était à venir. Nul n’avait prévu ce qui allait se passer en cette soirée fatidique du 13 novembre de cette même année terrible, annus horribilis, pour parler comme la reine d’Angleterre.
Mais ces calamités ne touchent pas que la France. Même la Russie de M. Poutine, qui s’est puissamment engagée en Syrie, n’est plus à l’abri de ce déferlement de fanatisme. Les républiques musulmanes du Caucase qui lorgnent vers l’Etat Islamique, risquent de céder aux sirènes des islamistes qui posent désormais un problème global. Un commentateur allemand connu a relevé que sans les problèmes liés au communautarisme et à l’islamisme, les journalistes n’auraient plus grand chose à dire ni à écrire.
Dans ce domaine, je pense que le chef de l’Etat a enfin pris conscience de la nature de l’enjeu. Il faut une le plus lecture politique des événements, et notamment de ce qui se passe en Corse. Ce qui m’a le plus frappé dans cette affaire, c’est la réaction des gens d’Ajaccio qui ont dit verbatim qu’ici on ne restera pas inerte, comme c’est toujours le cas sur le continent lorsque des individus attaquent les forces de l’ordre ou même les pompiers…. Imaginez ce qui se passerait sien France métropolitaine, des individus décidaient d’imiter les Corses… Ce serait la guerre civile.
Certains signaux constituent autant d’indices inquiétants, dont le moindre n’est pas cette phrase sibylline, utilisée par l’ancien président dans ses vœux au pays : Rester français… Tout un programme !
C’est pourquoi l’exécutif a raison de tenir à cette déchéance de nationalité qui déchaine les passions et transforme le camp de la gauche en un vaste champ de ruines. C’est une bonne mesure, une bonne initiative, mais le Premier Ministre n’a pas encore trouvé le juste ton ni le bon mode. Il fait preuve d’un tempérament un peu ibérique, un peu enflammé. Cela dit, révérence gardée. Il faut des arguments pas des invectives… Cela ne calme pas les choses.
L’année 2016 qui s’annonce n’a pas besoin d’un regain de tension, car déjà en l’état, elle promet d’être assez agitée. Je ne suis pas d’un naturel pessimiste, en tout cas pas comme mon ami Jacques Attali qui, dans son blog abrité par l’Express, ne présage rien de bon. C’est un avenir apocalyptique qu’il déroule sous nos yeux.
On peut lire l’excellente interview de Son Eminence Mgr Barbarin dans le Figaro de la semaine dernière, la veille de Noël ; le prélat a développé avec adresse uns superbe dialectique entre deux concepts séparés par une forte tension polaire : le devoir de fraternité et l’obligation de réalisme. En termes plus clairs : il ne faut pas céder au pire, pas plus qu’il ne faut fermer les yeux sur ce qui se passe réellement. L’analyse de ce texte me pousse à déplorer ce bannissement insensé du discours religieux dans la France d’aujourd’hui. Le cardinal a regretté cette amputation de la spiritualité dans la France d’aujourd’hui. Mais la déploration ne saurait constituer un discours politique. Il faut se ressaisir, il faut choisir intelligemment un cap et s’y tenir. J’espère que les vœux du chef de l’Etat le 31 décembre iront dans ce sens.
On finira par un rappel à la célèbre phrase de Carl von Clausewitz : Les conflits ne naissent pas de la volonté des hommes mais de la rupture d’équilibre.
Et l’équilibre, c’est vraiment ce dont la pays va avoir grand besoin…
Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 29. 12. 2015