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La dialectique de l'amour et de la crainte de Dieu dans la Bible hébraïque et les Evangiles

L’amour et la crainte de Dieu dans la Bible hébraïque et les Evangiles

Voici un système binaire qui a fait date et n’a pas toujours été correctement compris au gré des théologiens éclairés, les plus avertis de la chose religieuse. Peut-on craindre Dieu, peut on le redouter au sens de peur, crainte ou même angoisse ? Cette notion de crainte (en hébreu yr’a ou yr’at ha-Shem) ne s’accorde pas très bien avec une notion opposée, celle de la crainte éprouvée face au Créateur. Cette dernière notion est probablement une survivance d’anciens cultes païens dont quelques séquelles ont subsisté dans le corpus des nouvelles croyances, lesquelles n’ont pas pu évacuer tout ce qui provenait des systèmes religieux antérieurs. On conçoit fort bien cette notion de crainte dans le sens de fatum, destinée inéluctable poursuivant l’homme comme une fatalité, alors que le monothéisme de la Bible et des Evangiles se voulait avant tout une croyance éthique ; la divinité doit se comporter de façon bienveillante et amicale à l’égard des créatures humaines. La morale est donc venue apporter un correctif, comme dans la confrontation d’Abraham (Gen. 18) avec Dieu qu’il interpelle ainsi : Est ce que le juge de toute la terre ne pratiquerait il pas la justice ? Mais il faut aussi tenir compte de l’inadéquation de certaines traductions : est ce que le sens du terme hébraïque crainte (yr’a) a été correctement traduit en grec et ensuite en latin ?

Si l’on change de traduction, on vient à bout de cette relation dialectique entre la crainte et l’amour. Au lieu de craindre Dieu, on peut alors traduire par le servir, le respecter, lui témoigner au moins une crainte révérencielle ou respectueuse. Une fois de plus, c’est dans la langue allemande que l’on trouve l’équivalent le plus proche : Ehrfurcht, terme constitué de deux mots : respect et crainte. D’où l’expression crainte révérencielle.

Ces problèmes de traduction sont pour beaucoup responsables de la difficulté générant une opposition amour / crainte. Prenons l’épître aux Ephésiens 5.21 et voyons combien de traductions en ont été données : Vous soumettant les uns aux autres dans la crainte du Christ   Vous qui craignez le Christ, soumettez vous les uns aux autres     Soumettez vous les uns aux autres à cause du respect que vous avez pour le Christ   Et parce que vous révérez le Christ, soumettez vous les uns aux autres  

On le constate aisément, les traductions d’un même verset varient fortement les unes par rapport aux autres.

Mais que veut dire au juste la crainte de Dieu ou du Christ, alors que la divinité est considérée dans nos religions monothéistes comme une puissance tutélaire et protectrice ? Le passage fondateur sur la foi en Dieu, et la confiance en lui, se trouve au chapitre XV du livre de la Genèse : Abraham crut en Dieu et celui-ci le lui imputa en justice… Que ressentit Abraham à l’égard de Dieu ? De la crainte ou de la foi ?

Un peu plus loin, dans ce même livre de la Genèse, au chapitre 26, Dieu dit à Isaac : Ne crains rien… C’est donc un Dieu protecteur et bienveillant auquel on a affaire.

La notion de crainte de l’Eternel joue un rôle considérable quel que soit le sens placé derrière cette notion. Dans le chapitre XXII du livre de la Genèse, après la ligature et non le sacrifice d’Isaac, Dieu dit : je constate à présent que tu est un craignant Dieu (yeré elohim atta). Et entre les chapitres XXXVII et L de ce même livre où se déroule l’histoire de Joseph, on retrouve cette même expression : yeré elohim.

Dans le livre de l’Exode, la présence divine génère une certaine crainte, voire de la terreur. Dans l’épisode du buisson ardent, Moïse est intrigué, presque inquiet, mais lors de la révélation au pied du Mont Sinaï tout le peuple est pris de panique. Et là il est vraiment permis de parler de crainte de Dieu.

Dans les Evangiles, les épîtres attribuées à l’Apôtre Paul, notamment aux Hébreux (12 ; 28-29) ne laissent pas d’être intéressantes de ce point de vue : C’est pourquoi, recevant un royaume inébranlable, montrons notre reconnaissance en rendant à Dieu un culte qui lui soit agréable avec piété et avec crainte car Dieu est aussi un feu dévorant.

Cette notion de crainte de Dieu se retrouve même dans les tout premiers versets des Proverbes (1 ;7) : Le début de la sagesse est la crainte de Dieu… les insensés méprisent la sagesse et l’instruction.

Dans le livre du Deutéronome qui, comme chacun sait, a un statut particulier, on peut lire ceci (Dt 10 ; 12 20-22) : Maintenant Israël que demande de toi l’Eternel ton Dieu si ce n’est que tu craignes l’Eternel ton Dieu afin de marcher dans toutes ses voies, d’aimer et de servir l’Eternel ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme. Tu craindras l’Eternel ton Dieu, tu le serviras, tu t’attacheras à lui et tu jureras par son nom. Il est ta gloire, il est ton Dieu, c’est lui qui a fait au milieu de toi des choses grandes et terribles que tes yeux ont vues…

Comment interpréter l’idée de crainte de Dieu dans ce contexte ? Avoir peur de Dieu, c’est éprouver du respect pour lui ; c’est cette même crainte révérencielle évoquée plus haut (Ehrfurcht).

Comment définir les types de relation à Dieu ? Par l’amour, la crainte, le respect, le service, la foi en lui. En fait, la crainte n’est qu’une expression, elle doit laisser place à la confiance (Vertrauen).. C’est bien ce que dit le Psalmiste (19 ;10) : la crainte de Dieu est pure, elle est immuable (yir’at ha-Shem tehora, omédét la’ad)

Dans la Bible hébraïque la crainte et l’amour ne sont pas séparés par une tension polaire, l’une n’est pas située aux antipodes de l’autre. Mais on doit bien reconnaître cette spécificité de la Bible hébraïque où amour et crainte vont de pair. Dans les Psaumes, par exemple, cette opposition a tendance à s’évanouir (103 ;18) : la crainte de Dieu signifie se souvenir de son alliance et accomplir sa volonté. Encore un exemple qui illustre bien cette approche : Ps. 34 ; 12 : Venez fils que je vous apprenne la crainte de Dieu ( yr’at ha-Shem alamédekhém)

Document majeur de la littérature de la sagesse au sein du corpus biblique, l’Ecclésiaste (2 ;8) se lit ainsi : Vous qui craignez le Seigneur, ayez confiance en lui. Est ce que la crainte de Dieu n’est pas aussi une façon de lui manifester notre fidélité ? Psaume 22 ;24 dit : vous qui craignez le Seigneur, louez le, toute la race de Jacob, glorifiez le, redoutez le, toute la race de Jacob. On peut observer le crescendo des procès : on commence par la glorification pour aboutir à la crainte…

Même la littérature prophétique fait appel à cette idée de crainte pour marquer l’attachement d’Israël à son Dieu. Isaïe (8 ;11-13) : c’est lui qui sera l’objet de votre crainte et de votre terreur. Et même le chapitre 11 ;2 de ce même livre prophétique parle de la crainte divine en évoquant le Messie : Dieu déposera en lui… un esprit de connaissance et de crainte du Seigneur. Dans cette recherche du salut, même l’Apôtre Paul ne dédaigne pas de parler de crainte dans son épître aux Philippiens (2 ;12-13) : Travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut ! Mais le même Apôtre n’hésitait pas à dire dans son épître aux Romains ceci ( (8 ;15) : Et vous n’avez point reçu un esprit de servitude pour être encore dans la crainte…

Le passage de l’Ancien au nouveau Testament n’est pas étranger à la formation de cet antagonisme entre l’amour et la crainte, le christianisme se présentant communément comme la domination de l’amour sur la colère et la violence. Le Dieu des Juifs étant souvent présenté comme une divinité vengeresse, colérique et inflexible face au Nouveau Testament où ces valeurs sont inversées. . Il n’est pas étonnant que le Nouveau Testament fasse un suage restreint de cette notion de crainte. Mais cette même crainte prend différentes significations selon le contexte. On trouve deux occurrences chez Luc 1 ;30 2 ;9) où la présence de Dieu est génératrice de crainte.

Quand on parle de la crainte de Dieu, c’est aussi pour souligner la disproportion entre la sainteté, la souveraineté de Dieu, d’une part, et la nature pécheresse et très limités de l’homme, d’autre part. Une disproportion entre la transcendance et la subjectivité

La crainte de Dieu est aussi la crainte du ciel, mais l’amour semble bien l’emporter sur tout le reste, comme le montre cette citation de Jean (I, 4 ;18) : la crainte n’est pas de l’amour mais l’amour parfait banni la crainte car la crainte suppose un châtiment et celui qui craint n’est pas parfait dans l’amour.

Ce terme crainte est rendu différemment en hébreu selon les contextes ; yr’ah est réservé à la crainte de Dieu, les autres termes comme Pahad et Eyma sont d’acception plus générale, même si le terme Pahad apparaît comme l’ancienne divinisé tutélaire d’Isaac (Pahad Ytzhak)

Alors que la crainte est visiblement relégués à l’arrière-plan dans les Evangiles pour les raisons exposées supra (la loi est dépassée, Jésus est mort pour le rachat des péchés de l’humanité), dans la Bible hébraïque (Proverbes et Psaumes), la crainte de l’Eternel et la sagesse sont liées. Exemple ; Ps. 2 ;11 : Servez l’Eternel avec crainte et réjouissez vous avec tremblement.

Mais l’amour n’est pas un besoin, c’est un don.

En approfondissant cette dialectique de l’amour et de la crainte de Dieu, on se rend compte du rôle déterminant que cette opposition artificielle a joué dans la séparation progressive du judaïsme et du christianisme. Voyez certaines tragédies de Racine où l’on récuse sans ménagement , je cite, le Dieu cruel des Juifs…

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