Les chrétiens d’Orient ont ils encore un avenir?
On peut même se demander s’ils vont simplement survivre physiquement. C’est l’impression que nous a laissée l’émission thema d’hier sur Arte. Il est difficile d’avoir un point de vue tranché sur la question, je veux dire sur l’attitude des armées et des gouvernements occidentaux face à l’arabisme et à l’islamisme. On oublie souvent que les chrétiens orientaux sont aussi des Arabes mais ne sont pas des musulmans. D’où l’existence de chrétiens arabes, une espèce en voie de disparition. Ils sont une poignée de millions au milieu de 320 millions de musulmans, de plus en plus gagnés par l’intégrisme et des sentiments anti-chrétiens. Même l’Egypte qui compte quelques millions de coptes penche dangereusement vers l’intolérance et le fanatisme.. On fait tout pour bloquer ou simplement entraver le développement naturel de ces communautés qui se réduisent comme une peau de chagrin.
J’ai noté le détail suivant : pour tout ce qui touche aux lieux de culte chrétien il faut un véritable décret présidentiel en Egypte, qu’il s’agisse de réparer des latrines, renforcer un mur ou des fondations. Et chacun connaît l’ingéniosité, l’inventivité satanique de l’administration égyptienne.
J’ai été ému par ces jeunes mamans coptes conduisant leurs enfants au catéchisme plusieurs heures par semaine car elle redoutent, disent elles, des influences venues de l’extérieur et ayant pour objectif de convertir de gré ou de force les enfants ! Cela m’a rappelé la situation des juifs dans les pays arabes au début des années cinquante ou même bien avant. On a aussi évoqué la mise en scène macabre de Daesh en Libye où une vingtaine de coptes, travailleurs émigrés, ont été égorgés devant les caméras.
Mais on trouve la même volonté d’entraver la vie chrétienne en Turquie. On a entendu des témoignages émouvants d’hommes et de femmes, issus de communautés antiques, syro-chaldéennes, revenant dans des églises fort anciennes où ils furent baptisés ou y célébrèrent leur mariage, mais qui sont, aujourd’hui, fermées, dégradées, vandalisées .
Alors que les Arabo-musulmans, présents en Europe, continent chrétien, réclament à cor et à cri des mosquées qu’ils finissent par obtenir, quelle que soit la vive opposition des riverains, craignant pour leur sécurité et pour celle de leurs enfants . Vivrons nous le jour où le fanatisme acceptera de se modérer, tolérera ceux qui pensent, croient et prient autrement qu’eux ?
Il y aurait tant à dire, et notamment sur l’indifférence des puissances occidentales, plus attirées par le pétrole et les ventes d’armes que par la défense de pauvres gens, issus d’un christianisme si ancien : tous ces territoires où les chrétiens ne sont plus les bienvenus furent pourtant ceux où les adeptes du Christ firent leurs premiers pas. On a tendance à l’oublier mais le christianisme comme les deux autres religions monothéistes sont nées en Orient. Et Jésus n’était pas un jeune homme aux yeux bleus et aux belles boucles blondes mais plutôt un beau brun ténébreux… On va vivre la création d’un nouveau terme allemand : ce n’est plus judenrein (sans juifs) mais christenrein ‘sans chrétien)
Les racines de ce mal antichrétien sont profondément enfouies dans la mentalité d’une religion intégriste : qu’est ce qui sépare un Arabe musulman d’un Arabe chrétien ? Tous deux croient en Dieu mais chacun le fait à sa manière. Un verset des Psaumes fait allusion à cette situation en ces termes : Une chose a dit l’Eternel mais nous en avons entendu deux… En clair, pour reprendre une exégèse de Paul Claudel, l’infinie plénitude de sens, la polysémie incomparable du verbe divin ne peut pas être cernée par l’homme, son intellect n’est pas à la hauteur.
Je me demande comment nous devons nous y prendre pour convaincre un certain islam que l’essence divine est profondément amour et n’a strictement rien à voir avec la contrainte en matière religieuse. Certes, Averroès l’a dit au Moyen Age, il a quitté cette terre en 1198 et n’a guère eu d’héritiers dans sa propre communauté religieuse. Lo ikraha fi al din : pas de contrainte en matière de foi… C’est pourtant très clair.
J’avoue que cette émission, si riche, si documentée, si tragique, m’a bouleversé. Il est loin le temps où la France, protectrice des chrétiens d’Orient, envoyait un corps expéditionnaire sur place, comme du temps d’Ernest Renan qui se trouvait au Liban vers 1860, pour défendre une minorité menacée et rétablir l’ordre. Par un surprenant raccourci aux conséquences tragiques, certains musulmans identifient leurs concitoyens chrétiens avec je ne sais quels descendants de croisés, donc avec une sorte de cinquième colonne qu’il convient de neutraliser.
On comprend mieux, à présent, l’attitude d’Israël et son aspiration à la paix dans l’une des régions les plus dangereuses du monde.
Même les USA ne considèrent pas que le sauvetage de ces pauvres chrétiens d’Orient a une importance stratégique. Le président Obama fait le calcul suivant : l’Irak est devenu un protectorat iranien, la Syrie voisine n’est maintenue sur pied que grâce (aux Russes) et aux Iraniens… Obama pourrait réduire l’Etat Islamique en deux semaines s’il envoyait une seule division blindée de son armée… Mais s’il le faisait, il ouvrirait un boulevard aux Mollahs de Téhéran qui essuient des pertes de plus en plus lourdes. Alors que fait-on ? On épuise les Iraniens mais parallèlement on permet la mort ou l’exode d’innombrables être humains.
Avec un tel raisonnement, ces pauvres chrétiens d’Orient ne peuvent plus compter que sur la Grâce et recommander, comme le Psalmiste, leur âme à Dieu.
Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 18 mai 2016