La vie au quotidien sans Dieu: le défi français de la laïcité à l’islam…
Mon éditorial de ce matin part du constat suivant ; j’ai écouté une conversation en langue arabe entre deux musulmans dans l’espace public. La scène se passe dans un grand établissement place Victor Hugo à Paris. C’est à cet échange entre deux personnes que j’ai pensé en prenant connaissance de la réunion importante convoquée par le maire de Fréjus dans sa ville et dont les thèmes récurrents n’étaient autres que l’islam, le respect de la laïcité, le grand remplacement, l’immigration, la délinquance, etc… Tous ces débats avaient pour dénominateur commun, l’islam, sa place dans nos sociétés dites laïques. Il est dommage que la grande presse n’ait pas accordé à ce colloque géant (près de deux mille personnes de toutes obédiences politiques ou philosophiques). Cela aurait permis de lancer un vaste débat, sérieux, objectif et instructif.
Or c’est là que le bât blesse : nous, partisans d’une France laïque, de la séparation entre les églises et l’Etat, n’avons jamais pu ni voulu examiner les présupposés culturels, éthiques ou simplement religieux des populations que nous voulons convertir non pas à la confession judéo-chrétienne, mais à nos mœurs, à nos valeurs et à notre mode de vie.
Prenons quelques exemples tout simples : la permissivité, la liberté des mœurs, la révolution sexuelle, la place de la psychanalyse dans la vie sociale, le libre examen des Ecritures saintes, l’égalité homme / femme et, dernier mais non moindre, le bannissement presque complet de Dieu dans la vie de tous les jours. Car dans la conversation entre mes deux interlocuteurs, le nom de Dieu (Allah) a connu au moins quinze occurrences en quelques minutes. Je traduis les formules les fréquentes : plaçons notre espoir en Allah, si Allah le veut bien, il n’y de force ou de bravoure qu’en Allah, tout est entre les mains d’Allah… et je ne prétends pas à l’exhaustivité.
Quelle conclusion pouvons nous en tirer ? Ou plutôt d’abord une remarque d’ordre philologique : ce terme d’Allah n’est que la vocalisation atabe de la racine sémitique ALH qui a donné en arabe Allah, et en hébreu Elo’ah ou Elohim ou simplement El… Mais cet argument philologique qui nécessité d’être un fin lettré spécialiste de philologies sémitiques comparées n’est pas le bien commun de tous les êtres concernés, vivant sur notre territoire.
Alors qu’en penser ? Eh bien, une fois qu’on a bien compris la réalité, essayons de voir ce qu’on exige des adeptes de cette religion vivant sur notre sol : on leur demande pratiquement un auto-reniement, une autre Weltanschauung, une autre façon d’être, une autre sensibilité, toutes choses qui sont aux antipodes de leur culture originelle.
Il faut expliquer à nos compatriotes musulmans qu’il y a des règles de base qui ne portent nullement atteinte à leur essence profonde, que toute religion doit, pour vivre avec les autres, être éclairée par une approche philosophique et que les hommes vertueux et de bonne volonté ne sont pas des antagonistes. Comme me l’avait dit un jour l’inoubliable Théodore Monnod, quand on monte, quand on part en quête de spiritualité, on finit toujours par se rejoindre. Plus loin de nous, Gottlob Ephraïm Lessing, l’ami de Moses Mendelssohn a placé dans la bouche de Dieu la phrase suivante, dans son Nathan le Sage : je n’ai jamais voulu que tous les arbres de la forêt aient la même écorce. Splendide image qui signifie deux choses : l’humanité est nécessairement diverse et variée, quant à sa culture mais au fond d’elle-même, en son essence profonde, elle est partout la même et obéit aux mêmes règles.
Certes, on me dira que ceci est l’approche d’un philosophe ou d’un savant, et ne saurait être la mentalité d’un conseiller d’Etat qui vérifie la constitutionnalité des lois… Erreur ! Les lois sont faites par des hommes et pour des hommes. Il faut en tenir compte.
Or, les aspirations à la spiritualité ne sauraient être mises en parenthèse ; en revanche, on doit veiller à ce que les manifestations de cette quête légitime de spiritualité ne portent pas atteinte aux autres. A ceux qui pensent, croient et prient autrement.
Il faut faire très attention. Ne laissons pas se multiplier des rencontres comme celle de Fréjus. L’Europe a eu sa question juive au XIXe siècle, n’ayans pas une question musulmane au XXIe siècle.
Les gens ont parfaitement le droit de se réunir et de débattre, mais sans propager les ferments de la discorde, comme le disait le général de Gaule.
Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 30 mai 2016