Les suites du Brexit
Je note avec une certaine surprise le fait suivant : les philosophes recommandent une chose avant tout le reste : savoir dominer, maîtriser sa émotivité. Quid, qu’est ce à dire ? Ne pas être le jouet de ses émotions, remplacer le sentiment, l’émotion par une réaction fondée sur la saine raison. Ce n’est pas à la porté de tous et c’est ce que nous vivons depuis avant-hier. C’est seulement ce matin que la gueule de bois s’estompe, que les vapeurs de l’ivresse du 23 juin disparaissent. Rien ne va changer dans l’immédiat ; le Royaume Uni va continuer a recevoir sa subvention de l’Europe et à verser sa côte part ; les parlementaires européens britanniques continueront à siéger et il faudra presque deux ans pour couper les liens institutionnels existants. En outre, une fois le coup de massue disparu, on se rend compte, en relisant bien, ce fameux article 50 du traité que l’Etat démissionnaire peut réintégrer l’Union Europe et qui lui faudra pour cela reprendre le chemin d’une toute nouvelle demande d’admission. Dans l’intervalle, les langues se délient et de nouvelles initiatives apparaissent, des plus fantaisistes aux plus sérieuses. Cent mille signataires demandent au musulman maire de Londres de faire sortir la capitale britannique du cadre souverain du royaume (bien désuni désormais) tandis que d’autres, plus sérieux sont plus de six cents mille a demander un nouveau scrutin. D’autres, enfin, dénoncent les mensonges des partis anti UE pour capter les suffrages des électeurs. Il ne faut pas céder à la panique, en revanche, les changements vont se produire, là où on les attend les moins. Un mot, cependant, pour condamner l’attitude de ceux qui sont en pleine déconfiture politique mais qui entendent se relancer politiquement à la faveur de la crise européenne. Ils s’agitent, voyagent, reçoivent à tour de bras, brassent de l’air, mais en vain car les choses effectives se passent à Berlin : comment voulez vous avoir voix au chapitre quand vous êtes mal assurés au sein de l’Euro, quand le chômage augmente, que vous sombrez dans les sondages ? On connaît les défauts de l’Europe réunie sous la bannière allemande, mais on connaît aussi ses avantages. Sans le grand voisin d’outre-Rhin, l’Euro aurait disparu depuis belle lurette. Les partis populistes ou simplement de gauche dénoncent l’Europe de l’austérité, de l’ultra libéralisme mais s’ils arrivaient au pouvoir l’économie sombrerait et la crise financière ferait des ravages. Les pays de l’est européen le savent et ils sont dépendants de l’Europe, mais d’autres continuent à se bercer d’illusions. Même les Grecs qui ont été sévèrement punis ne pensent pas pouvoir tirer profit de la situation pour renégocier je ne sais quoi. L’Europe doit serrer les rangs. En revanche, les dirigeants actuels à Bruxelles devraient partir. Ils ont failli sur toute la ligne.
Mais revenons un instant sur les conséquences au sein même de la Grande Bretagne. A terme, les électeurs ont voté pour la fin programmée du Royaume Uni. La première leçon à tirer est que les îles britanniques ne sont plus unies entre elles. Les uns veulent rester en Europe, les autres ne sont plus heureux d’y être. On parle déjà de velléités d’indépendance, de séparation, de désunion. Au fond, de Gaulle avait raison face à Churchill qui optait pour le grand large et non pour l’Europe.
Selon nous, les Britanniques n’ont pas rejeté l’Europe, mais seulement l’Union européenne avec ses eurocrates, sa tyrannie, sa volonté de tout réglementer, de tout contrôler et qui en sont aujourd’hui pour leurs frais. Cela faisait longtemps que les braises couvaient sous les cendres. Rendez vous compte : ces pantins de Bruxelles qui entendaient imposer aux Etats européens des réfugiés syriens, afghans et irakiens dont ils ne voulaient pas. C’est le monde à l’envers. Et qui voulaient imposer des sanctions financières aux réclacitrants.
On dit que la nuit porte conseil. Le temps a besoin de temps pour faire son œuvre. Le temps passe vite et les peuples finissent par retrouver leurs esprits. Les Anglais disent, I did not have my wits about me : je n’avais pas toute ma tête.
C’est le cas de le dire. Attendons et ayons ce que le grand Hegel appelait la patience du concept pour déjouer la ruse de l’Histoire.
Maurice-Ruben HAYOUN in La Tribune de Genève du 26 juin 2016