Solidarité avec le peuple turc, victime du double jeu et de la duplicité de son président, R. T. Erdogan
Le terrible attentat qui a frappé il y a presque deux jours le grand aéroport international d’İstanbul est parfaitement abject et a été le fait incontestable de l’Etat islamique, furieux de voir que l’Etat turc, après l’avoir considéré comme un allié objectif contre les rebelles kurdes, retournait ses armes contre lui, bombardait ses positions en Syrie et faisait arrêter ses agents dans les frontières mêmes du pays. Cela n’enlève rien au caractère barbare de cet acte et cela nous conduit le plus sincèrement du monde à partager la douleur du peuple qui a, une nouvelle fois, payé un lourd tribut à la lutte contre le terrorisme. Mais il faut aller plus loin dans l’analyse, si l’on veut que de tels désastres ne se reproduisent plus et si l’on veut que les Turcs retrouvent enfin la paix au sein de leurs frontières.
Qui a créé cette situation prés insurrectionnelle ? Qui a monté les uns contre les autres au sein même de la nation turque, au lieu de bien intégrer les Kurdes et de créer une grande nation réconciliée ? Qui a mené une politique tant interne qu’externe, en dépit du bon sens et de l’intérêt bien compris d’un pays, censé faciliter les échanges et occuper une position médiane entre l’Occident et l’Orient ? La réponse est nette et claire : c’est la politique menée sous l’impulsion du plus haut sommet de l’Etat.
Lors d’un précédent papier nous avions énuméré les contours sinueux d’une politique étrangère erratique, inspirée par un homme que les plus grands chefs d’Etats de la planète jugent imprévisible. L’entourage de la chancelière allemande jugeait que l’homme est absolument unberechenbar, imprévisible. Comment négocier avec un responsable impétueux, qui croit qu’il a toujours raison, qui veut faire changer le monde au lieu de changer sa propre opinion sur le monde…
Une coïncidence que personne n’a relevé, tant elle était incroyable : mardi dernier, la chaîne Arte publiait un THEMA sur la Turquie et dénonçait justement la duplicité du Grand Turc… Et au même moment on apprenait le désastre survenu à Istanbul qui se solde, nous les savons désormais, par 41 morts. Un massacre ! Et je renouvelle mon soutien et mes condoléances au peuple turc qui mérite d’être mieux gouverné.
Un exemple de l’imprévisibilité de M. Erdogan : alors qu’il disait pis que pendre de l’Etat d’Israël durant six années de brouille violente, alors qu’il menaçait la Russie des pires sanctions, le voilà qui conclut hâtivement un accord avec l’Etat juif, hâte l’échange d’ambassadeurs, et par rapport à Poutine, exprime ses regrets, veut dédommager els Russes de la perte du bombardier abattu, etc… Alors qu’il y a peu, il réitérait ses menaces contre le Kremlin…
Que s’est il passé ? L’homme a enfin eu un éclair de lucidité et a compris, enfin, que l’isolement volontaire de son pays ne présageait rien de bon.. Les projets d’Erdogan ont partout failli : vers l’Europe, vers les pays arabes, vers la Syrie, vers l’Arabie saoudite, vers l’Iran, vers Israël ! Aucun succès enregistré depuis toutes ces années et toujours ces rodomontades contre la terre entière.
On constate désormais les résultats.
Vis-à-vis de Daesh le constat est encore plus dur : il ne faut jamais oublier que les Turcs, et au premier chef Erdogan, sont obsédés par les Kurdes du PKK. Tout le drame vécu a Kobané s’explique par cela. Ils se sont dit ; nous et Daesh avons le même ennemi, les Kurdes, renforçons donc Daesh. On voit la suite. Elle est dramatique.
Erdogan a laissé prospérer sur son sol une quantité inimaginable de cellules dormantes qui ont fini par passer à l’action il y a quelques jours. Le nombre élevé d’attentats depuis le début de l’année aurait dû lui mettre la puce à l’oreille.
Erdogan n’a rien voulu entendre jusqu’au jour, récent, où sa politique étrangère est devenue intenable. On aimerait bien connaître les sentiments profonds de l’armée turque devant une telle déconfiture. Même sur ce plan là, l’homme fort du pays a mal agi, en faisant condamner à de lourdes peines de prison des officiers supérieurs, accusés de fomenter des attentats pour déstabiliser le régime. Aucune armée au monde n’aime ni ne supporte que l’on traîne devant les tribunaux ses anciens chefs, surtout lorsque la preuve de leur culpabilité n’a pas été apportée.
Mais il n’est pas trop tard. Une vieille tradition, un vieux apologue soutient qu’on doit aider celui qui veut se purifier… Ha-ba léhittahér messaye’im lo.
Mais Erdogan le veut-il vraiment ? Ne va t il pas, à la première occasion, retomber dans ses errements d’antan ? A moins que…
Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 30 juin 2016