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De l’exclusivisme au dialogue

De l’exclusivisme au dialogue

Oui, de l’exclusivisme religieux au dialogue interreligieux ! La mort ignominieuse de ce pauvre prêtre catholique, Jacques HAMEL, aura peut-être eu, parallèlement au drame incommensurable qu’elle représente, au moins un effet positif, et on peut dire qu’il est de taille, s’il comporte, ce que nous espérons, la dose requise de sincérité : que des musulmans croyants se rendent enfin dans des églises et que des chrétiens soient, à leur tour, reçus dans des mosquées durant l’office religieux.

Il faut se méfier de la sensiblerie, de l’optimisme béat et des bons sentiments en général. Ce ne sera pas la panacée mais, sauf erreur de ma part, depuis de nombreuses décennies, c’est bien la première fois que l’organe officiel des arabo-musulmans de France lance un tel appel, notamment à se rendre dans des églises ! Ce n’est pas rien, surtout qu’l ne s’agit plus de la présence convenue de quelques officiels, blanchis sous le harnais, qui effectuent mécaniquement un rite. Non point. Cette fois-ci, c’est un appel, sans ambiguïté aucune (ce qui est un progrès) au musulman lambda, l’encourageant à se rendre compte, de ses propres yeux, de ce qui se passe dans les églises…

Si l’appel est suivi d’effet, et à moins que tout ne trompe, il devrait l’être, cela sera une véritable révolution copernicienne au sein de la représentation arabo-musulmane du christianisme. Pourquoi ? Faisons une brève rétrospective historique, sans toutefois tomber dans la cuistrerie. Allons au fond des choses et découvrons la vérité historique sur la naissance de l’islam.

L’islam est né principalement pour contrer la sainte Trinité ; il est né parce que l’époque ne pouvait pas s’accommoder de la divinité trine que les bédouins et les chameliers du désert d’Arabie assimilaient à un trithéisme. Or, comme nous le rappelle le grand Ernest Renan dans ses écrits, le cri de ralliement de l’islam : Dieu est Un et il est unique. Le terme arabe ALLAH n’est que la vocalisation arabe d’un terme sémitique ancien désignant la divinité et qui se trouve présent dans trois grandes langues sœurs du sémitique nord : l’arabe, l’hébreu et l’araméen…

Allons plus loin. Les musulmans ont fait de l’unité divine absolue la pierre de touche de leurs croyances religieuses, ce qui, presque automatiquement, les mettait en conflit avec le christianisme qui parlait du Fils et de la Mère (la sainte Vierge) de Dieu…… Or, dans le Coran même, il est spécifié que cette conception n’est pas véridique, qu’elle ne correspond pas à la représentation que se faisait de Dieu le premier et le père de tous les croyants (mu’minim), le patriarche Abraham. Il est même écrit que Dieu n’engendre pas ni n’est engendré (la youlid wa-la youlad). Partant, ceux qui professent la sainte Trinité et adorent la sainte Vierge Marie passaient nécessairement pour des kouffar, des infidèles et des mécréants. La racine de ce terme redoutable se retrouve en hébreu et connote la même idée : ruiner les fondements de la foi (kaffar ba-‘ikkar).

Tous mes lecteurs comprendront dès lors qu’avec cette invitation à aller voir au moins une fois ce qui se passe dans les églises on a franchi une barrière infranchissable. J’ai vu, quand j’était professeur à l’Université de Heidelberg un imam, refusant de toucher un missel gentiment offert par le prêtre du diocèse. Quel chemin parcouru, alors que le religieux catholique avait de bonne grâce, accepté le Coran qui lui était offert.

A quand remonte cet ostracisme infondé à l’égard de la religion chrétienne ? Dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, alors que l’église commençait à peine à consolider ses bases théologiques (naissance virginale, forme divino-humaine de Jésus, parousie, etc…), l’islam jugeait qu’il devait combattre une foi qui, à ses yeux, ne respectait pas le dogme intangible de l’unité divine.

Posons nous la question suivante qui demeure au centre même de la controverse : est ce l’on sait de quoi l’on parle quand on se penche sur la sainte Trinité ? Sans même parler du cardinal qui réunit en conclave les meilleurs théologiens de son temps afin qu’ils lui donnent la réponse tant attendue et qui répondirent après bien des sessions : non possumus (Nous ne pouvons pas), on doit s’en référer à un théologien juif du Moyen Age, ennemi de la philosophie néo-aristotélicienne qu’il avait pourtant bien assimilée sans jamais y adhérer.

Juda ha-Lévi (1079-1141), l’auteur du Cusari, portait sur le christianisme un regard étonnamment favorable et positif. Au sujet de la Trinité il écrit que les Chrétiens pensent Un tout en disant trois. Cela paraît anodin mais c’est gigantesque car, avec une telle remarque il lavait la religion chrétienne de tout soupçon d’impiété. Il l’extrayait du polythéisme pour l’insérer dans le giron du monothéisme.

Mais voilà, ce théologien juif écrivait dans la langue philosophique de son temps, à savoir l’arabe et il n’est pas exclu que des théologiens musulmans aient eu vent de cela. Ha-Lévi ajoutait aussi un détail fondamental : les deux autres monothéismes, écrivait-il, le christianisme et l’islam déploient eux aussi de louables efforts pour hâter la venue de la Rédemption sur cette terre…

On comprend mieux, je l’espère, ce qui sa cache derrière cette heureuse initiative des Arabes de se rendre dans les églises et de considérer ceux qui y prient comme des croyants à part entière, comme leurs frères en humanité, partie prenante de la filiation spirituelle abrahamique. La liturgie musulmane accorde une large part à ces prières abrahamiques (salawat ibrahimiya) où elle prie pour le Prophète, ses amis et tous ceux qui se reconnaissent en ce patriarche fondateur du monothéisme éthique. N’oublions pas que selon les premiers chapitre du livre de la Genèse (ch. 12 au ch. 25) Abraham a tout fait pour sauver de la destruction les deux villes pécheresses Sodome et Gomorrhe… Il s’est prévalu de l’ordre éthique universel : le juge suprême (Dieu) de toute la terre ne pratiquerait-il pas le justice ? Incroyable : Abraham qui fait la leçon à Dieu !!

Une dernière remarque : en écoutant la réaction de la haute hiérarchie catholique, tant en France qu’à Rome, j’ai réalisé que dans cette terrible épreuve elle a appelé au jeûne et à la prière… Cette attitude est intrinsèquement juive ! Le couronnement de cette pratique est incarné par la journée de kippour où l’on implore Dieu d’accorder la rémission des péchés en priant et en jeûnant. Les Arabes aussi jeûnent durant le mois de Ramadan. Tant il est vrai que les hommes ont à leur disposition tous les moyens de vivre en paix, s’ils le voulaient.

Quand on a le même héritage biblique on a aussi les mêmes valeurs universelles.

Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 30 juillet 2016

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