La situation politique en France : essai d’une analyse
La France vit probablement un épisode inédit de son histoire politique. Pour la première depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing qui avait eu maille à partir publiquement avec son Premier Ministre d’alors, Jacques Chirac, lequel n’était pas du même parti politique, nous assistons à une véritable révolte contre le chef de l’exécutif, manifestée par les plus hauts personnages de l’Etat. Le journal Le Monde qui ne brille pas par ses prises de position extrêmes n’hésite pas à titrer en manchette et en caractères gras : le discrédit de François Hollande… C’est du jamais vu : jamais on n’a ainsi parlé d’un président en exercice, qui plus est, dans les colonnes d’un journal réputé à gauche, depuis au moins la Libération !
Que se passe t il donc ? Il faut tenter d’être objectif mais sans complaisance aucune, ni utiliser la langue de bois.
Il y a un problème dont la parution du fameux livre des deux journalistes du Monde (encore lui !) n’a fait que hâter la manifestation sans vraiment le créer. En raison de la crise, des problèmes tant internes qu’externes, du terrorisme et des attentats, la majorité du peuple français ne fait plus confiance à l’exécutif actuel. Il faut être juste : la situation est grave mais on n’a pas le droit de tout imputer à l’impéritie, réelle ou supposée, de l’actuel président. Certes, il a commis des erreurs, il a perdu du temps, il a parfois même confondu stratégie et tactique, mais sommes nous sûrs que d’autres auraient vraiment fait mieux que lui ? Ce n’est pas évident. On n’a si souvent repoussé les réformes nécessaires et cette accumulation a fini par se faire sentir sur toutes les couches de la société française.
Certains pensaient, mais il est désormais trop tard, qu’un gouvernement d’union nationale eût été bienvenu et je l’ai moi-même parfois pensé, tout en sachant que c’était irréalisable quand vous avez à l’Assemblée Nationale une écrasante majorité de députés de votre parti. Jamais le député PS de base ne l’aurait accepté. Mais il semble que le chef de l’Etat ne l’a jamais envisagé…
Ne revenons pas sur le passé et voyons ce qui se passe sous nos yeux : le président de l’Assemblée a brandi l’étendard de la révolte en séance privée, il a posé le problème de l’incarnation, rien de théologique, que l’on se rassure, mais il veut dire que ce n’est pas à François Hollande de se présenter sous la bannière du PS. Le Premier Ministre qui, depuis l’Afrique, vient d’atténuer ses critiques, avait pourtant fait très fort en parlant de lassitude, de honte et d’exaspération croissante… Mais où allons nous ? Et il y a aussi l’actuel Premier Secrétaire du PS qui fait semblant d’hésiter en parlant d’autres candidats potentiels en citant, comme si de rien n’était, le nom du Premier Ministre.
Je me trompe sûrement mais je ne sache pas que, par le passé, on ait eu à connaître un tel alignement défavorable de planètes ! Le premier ministre, le président de l’assemblée et le premier secrétaire du parti majoritaire… Et tout ceci vient de la gauche, censée soutenir le président et appliquer, voter sa politique. Est ce à dire que les frondeurs ont procédé à des recrues de choix, voire de premier choix ?
Autre circonstance aggravante : j’écoutais il y a quelques instants les commentaires d’analystes politiques professionnels et chevronnés, ils exposaient la théorie de l’empêchement… En d’autres termes, comment faire pour que l’actuel chef de l’Etat ne puisse pas se présenter, pas même à la primaire qu’il court, selon eux, le risque de perdre… Et il s’agit bien sûr de personnalités de son camp. Tout ceci est déprimant. Le premier Ministre a lancé un appel à l’unité, aussitôt rejeté par tous les anciens ministres qui ont quitté son gouvernement. On comprend que l’homme parle de lassitude.
Pour ma part, je ne me laisse pas facilement gagner par le pessimisme ambiant et je me suis donc plongé dans le livre de Jean-Pierre Jouyet (Ils ont fait la Révolution sans le savoir, Albin Michel*) dont les premières pages portant sur les mœurs intimes du siècle de Louis XIV m’ont bien fait rire tout en m’apprenant beaucoup de choses. L’actuel secrétaire général de la présidence de la République recourt à la juste dose de provocation pour montrer qu’il ne se prend pas au sérieux. Et aussi parce que sa position fait de lui un observateur unique de cette grande comédie qu’est, aux yeux du philosophe, l’exercice du pouvoir et la fabrication des légendes nationales. L’unique antidote à la déprime et au découragement : la réflexion philosophique et aussi l’humour.
* J’en reparlerai plus longuement plus tard.
Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 30 octobre