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L’avenir d’Erdogan coïncide-t-il avec celui d’une Turquie forte et démocratique?

 

L’avenir d’Erdogan coïncide-t-il avec celui d’une Turquie forte et démocratique?

 

Ce n’est pas faire preuve de mauvais esprit que de se poser la question. Les récentes déclarations, ou plutôt vociférations de l’actuel président turc, montrent, sans l’ombre d’un doute, qu’il ne recule devant rien, pas même de graves crises diplomatiques avec les Européens pour parvenir à ses fins. Quelles sont elles ? Régner sans partage sur une Turquie qui ne sait plus où elle va, une Turquie, secouée par les sursauts d’un coup d’Etat manqué que rien ne laissait prévoir mais qui signe de graves dysfonctionnements de l’appareil d’Etat.

 

Le fait qu’une grande partie de l’armée, corps le mieux organisé du pays, qu’une part non négligeable de la société civile ait emboîté le pas aux mutins, prouve que le régime d’Erdogan n’a pas choisi la bonne voie et que d’autres mauvaises surprises sont à craindre. La Turquie a besoin de stabilité, de calme et de sérénité. Or, la voie choisie par M. Erdogan suscite bien des interrogations. Ce désarroi, ce cours en zigzague est particulièrement frappant dans le domaine de la politique étrangère : après avoir traité Israël de tous les noms, Erdogan s’en est rapproché : nous saluons cette sage évolution mais elle renforce par son caractère soudain la forte imprévisibilité de l’homme qui est aux commandes  sur le Bosphore. Le même changement du tout au tout est à observer vis-à-vis de la Russie : d’abord on abat un avion de chasse qui avait prétendument violé l’espace aérien turc et ensuite on se jette dans les bras de Moscou dont on avait précédemment dénoncé les visées en Syrie. Et le tout en restant membre de l’Otan. Ô mânes  de Descartes !

 

Aujourd’hui, la dérive du régime est bien plus grave. Les parlementaires européens qui ont enterré depuis longtemps  tout espoir d’accueillir la Turquie au sein de l’Union dénoncent son chantage aux réfugiés et ses tentatives d’intimidation. Dois-je revenir sur les accusations absolument inacceptables de racisme, de nazisme, de partialité, articulées contre la Hollande et l’Allemagne, au motif que ces deux pays au moins eurent le courage de dire non à Erdogan et d’interdire des meetings électoraux sur leur territoire ?

 

Il est évident que la tactique turque vise à monter en épingle des péripéties secondaires afin de mieux pincer la corde très sensible du nationalisme turc. C’est peut-être efficace mais c’est aussi très dangereux. Pas plus tard que ce matin même, j’entendais sur France-Info un député européen stigmatiser en termes particulièrement vifs les agissements d’Erdogan, dénonçant ses tentatives de soumission (sic) et sa volonté d’intimidation grossière. De fait, l’homme s’est soudain excité quand il a pris conscience que sans l’appui massif de la diaspora turque son référendum ne passerait pas. Madame Merkel qui sait que la situation économique en Turquie est préoccupante et que son pays contribue à un fort flux de devises à son profit, ne s’en est pas laissé conter : elle a vertement répondu au grand Turc, lui a rappelé les règles élémentaires à respecter et a dénoncé ses projets : rester au pouvoir jusqu’en 2029 !!

 

Ce n’est pas commettre d’ingérence que de manifester ses inquiétudes de voir un homme, un seul, tout décider pour un grand pays, certes encore sous développé, comme la Turquie, mais appelé à un bel avenir. On ne peut pas concentrer entre ses mains tous les pouvoirs. En outre, en l’espace d’une décennie, bien des choses peuvent changer, à commencer par la capacité à gouverner durant une si longue période.

 

L’avenir de la Turquie moderne doit être mieux orienté. Ce pays risque de connaître des réveils douloureux si les forces vives de cette nation ne se sentent plus concernées par ce qui se prépare.

 

Il faut rebâtir une grande nation turque, donner une place aux minorités, notamment aux Kurdes afin qu’ils se sentent enfin bien dans le cadre national existant. Il faut aussi faire un louable effort concernant l’Histoire et les Arméniens. Enfin, la Turquie devrait redevenir une force de paix et de stabilité dans la région.

 

Toute la question est de savoir si cela est possible avec l’agenda du leadership actuel. Il est, par ailleurs, évident, qu’après les saillies d’Erdogan, un tel horizon s’éloigne chaque jour un peu plus.

 

L’Europe civilisée, judéo-chrétienne, ne demande qu’à vivre en paix avec le reste du monde. Mais elle ne saurait céder au chantage ni se passer autour du cou la corde de la soumission.

 

Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 18 mars.

 

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