Lettres d'Israël I et II
Lettres d’Israël I
Paris 18 mai vers 20h45. Je finis tout juste ma conférence mensuelle à la mairie du XVIe arrondissement sur Heidegger et l’antisémitisme, prononcée devant un auditoire nombreux et attentif, qui posa beaucoup de questions, ce qui explique mon arrivée tardive à la maison où Danielle s’impatientait. Un auditeur compréhensif consent à me véhiculer en raison de la pluie battante.
Sitôt arrivé je m’installe pour dîner avec Danielle qui s’inquiétai de mon retard quand soudain le téléphone sonne. Mais qui est ce donc ? EL AL appelle pour savoir si nous pouvons différer ou avancer notre départ prévu pour le lendemain vers 11h40, en raison de je ne sais quel prétendu ennui mécanique de l’appareil. Danielle refuse tout net et le lendemain ce fut une pagaille monstre à Roissy mais au moins le vol était assuré, avec quelque retard.
La libéralisation du ciel israélien, notamment avec l’arrivée d’Easyjet va contraindre EL AL a changer certaines de ses habitudes héritées d’une occupation exclusive du marché. La concurrence a du bon car EL AL agissait comme bon lui semblait, imposant des tarifs indus et des pratiques difficiles. Mais reconnaissons ceci ; quand vous entrez dans l’appareil d’EL AL, vous vous sentez en sécurité et déjà un peu chez vous.
Installé dans l’avion, je me livre à mon passe temps favori, hormis la lecture : scruter le visage de ceux qui m’entourent dans ce type de vol ethnique où je retrouve tant de gens qui me connaissent ou qui me lisent. Les Juifs m’ont toujours intrigué, ils ne ressemblent à aucun autre peuple. Ils n’ont pas vraiment d’histoire ou plutôt leur histoire fut écrite ou dictée par d’autres. A commencer par Dieu en personne qui a lancé une terrible OPA sur eux.
On assiste aussi sur la ligne Paris Tel Aviv à des péripéties qui ne se produisent nulle part ailleurs. Les Juifs adorent les psychodrames : ce n’est pas la bonne place, les sièges sont trop étroits, on met trop de temps à les servir, bref, même entre soi il y a de l’insatisfaction. Pourtant ils ont tous ou presque un très bon fonds et quand ils touchent la terre ferme ils sont très contents et ne pensent qu’a une chose : rentrer chez eux, embrasser leurs proches et alors ils sont réconciliés avec la terre entière. Aucun n’est le même homme. Ah, les Juifs et leurs embrassades. Jusqu’à cette grand mère tunisienne classique qui se croit chez elle dans sa cuisine ou son salon alors qu’elle obstrue l’allée, embrasse ses petits enfants avec passion, les trouvent beaux, charmants uniques… Evidemment, ce sont les siens.
On est vendredi vers 18h, heure israélienne, le pilote a rattrapé le retard car l’entrée du chabbat est proche. Les bagages arrivent vite et la récupération de la voiture est accélérée. Quand nous abordons l’autoroute, celle-ci est déserte… Au bout d’une petite heure, nous arrivons à Natanya ou nous nous installons avec les surprises israéliennes habituelles : l’électricité, l’eau chaude, la télévision, la climatisation, etc…
Mais un message d’une amie de Danielle qui fete ce soir même son anniversaire dans un hôtel de Herzliya nous change les idées. Elle nous invite à la rejoindre avec sa famille à l’hôtel A… Que faire, ce que femme veut, Dieu le veut. Danielle conduit et veut s’y rendre. Nous arrivons sur place et trouvons la dame en question attablée avec une partie de sa famille.
Je regarde autour de moi, voilà une triple salle à manger, pleine à craquer ; des buffets surchargés de victuailles à perte de vue. De la nourriture abondante, mangeable, mais aucune finesse gastronomique comparable à nos restaurants étoilés. Mais cela plaît aux gens qui se contentent de bien manger.
Je me suis souvent interrogé sur le rapport que les Juifs entretiennent avec la nourriture. Surtout le jour du chabbat. Ils ont tendance à marier nourritures terrestres et nourritures spirituelles. Ce rapport à la nourriture s’explique peut être aussi par certains aspects de l’histoire juive : une communauté pourchassée, affamée, tourmentée, parfois même assassinée purement et simplement. Avoir suffisamment à manger rassure. Et je ne parle même pas des survivants de la Shoah ni de leurs enfants pour lesquels ce ne fut une simple enquête historique mais un histoire douloureusement vécue.
Sur un mode plus léger : quand j’étais jeune lycéen à l’école Maimonide à Boulogne sur Seine, nous avions un professeur un peu spécial de talmud. Parlant des joies du chabbat, il avait dit qu’il fallait manger du poisson, au sens où on dit viande ou passion… Ce soir là, il faut les deux. Et il citait le fait suivant : la valeur numérique du terme DaG en hébreu est sept ; donc, le septième jour, il faut du poisson. Allons donc ! CQFD.
Je me souviens aussi de ce folio talmudique qui m’avait jadis bien amusé ; le disciple des Sages choisit la nuit du vendredi au samedi pour honorer son épouse… On a déjà des rabbins dans nos cuisines et voilà qu’on en met aussi dans nos chambres à coucher !! GHershom Scholem avait dit un jour dans une interview que vivre à la juive revenait à vivre dans un sursis permanent : on repousse toujours tout. Meilleur exemple : l’an prochain à Jérusalem, une litanie que nos ancêtres ont répété deux mille ans durant. Mais elle a fini par se réaliser.
Mais revenons à ces interminables buffets où je me sers pour me sustenter. Ce n’est pas du Pierre Gagnière mais au moins c’est cacher. Et pour ce soir, c’est ce qui compte.
Robert B. récite l’action de grâce après le repas, c’est un sympathique jeune et alerte octogénaire qui suggère que nous marchions un peu le long de la jetée. Nous faisons le chemin ensemble, les dames suivent derrière… Finalement, nous arrivons au pied d’une belle demeure au gazon finement tondu ; c’est là qu’il habite. Il insiste pour que nous entrions prendre un dernier verre. Eu égard au respect que j’ai pour cet homme, j’accepte même si j’avais de bonnes raisons de refuser. Un calme intense nous entoure dans la pénombre car aucune lumière électrique n’était là en raison du chabbat.
Bien avant minuit, nous prenons congé. Une nuit d’un sommeil réparateur nous attend. Le lendemain matin, je comptais me rendre à la synagogue britannique de rue Mac Donald mais à mon réveil il est déjà dix heures. Ce sera pour une autre fois..
(prochaine lettre d’Israël II/ sur la route de Kfar Witkin)
Lettre d’Israël II : sue la route de Kfar Witkin
Dans un folio talmudique, les disciples des sages voulant glorifier leur pays d’origine, même quand ils durent s’exiler en Babylonie avaient dit une phrase unique en son genre : l’air d’Eréts Israël rend intelligent ( Awirah shél Eréts Israel mahkim)… Moi je dirai cela autrement : en Israël, c’est un ciel toujours bleu et un soleil rayonnant.
C’est ce que je constate en ouvrant les yeux au premier matin du séjour. Il fait beau, la mer est à nos pieds. Mais en ce mois de mai il n ‘ y a pas encore cette clameur de bruyants touristes du mois d’août, issus des banlieues parisiennes. Le vent souffle sans être très fort…
Devons nous aller à la mer de suite ou nous promener à Tel Aviv. La ville blanche un samedi, c’est difficile. Nous jetons notre dévolu sur un petit village, kfar Witkin où Danielle avait, l’année précédente, savouré une pizza unique, paraît il, en son genre. Après maintes demandes, maintes traversées de petites localités, nous finisssons par trouver le lieu en question. Et en effet, il s’agit d’un village agricole où la proximité des vaches laitières et surtout de leurs émanations de gaz ont indisposé les riverains, et notamment la pizzeria qui se nomme Pizza Shabbetaï.
Par chance, au moment de notre arrivé, ce n’est pas encore la grande affluence des familles de jeunes Israéliens qui arrivent avec leurs bébés. Oui, j’ai rarement vu autant de nourrissons dans un restaurant. Et les pizzas, remarquables par leur pâte fine, leurs recettes et autres, sont succulentes. Pas une trace de viande dans et établissement, tout est halavi, laitier et les vaches, si nombreuses dans les étables voisins, sont là pour l’attester.
On commande les pizzas à la taille et aux ingrédients. Ayant eu peu d’appétit, on prend une taille moyenne de pizza et de la bierre israélienne en pression. Une jeune américaine vient prendre la commande. C’est une charmante demoiselle qui travaille pour financher ses études, comme cela se fait en Israël. C’est tellement bon qu’on commande une autre pizza à emporter. Vingt minutes plus tard, elle arrive empaquetée dans une boîte. Mais ce n’est rien par rapport aux autres pizzas qui passent sous notre nez, elles sont destinées à dix personnes au moins.
De retour à Natanya, nous avons le loisir d’admirer les petits mochavim avec de coquettes petites maisons, des jardinets proprets mais aussi de vastes orangeraies bien alignées. On oublie souvent de dire que les Juifs ont fait refleurir le désert, asséché les marais, défié au péril de leur vie la malaria et résisté aux actions terroristes de leurs voisins. aujourd’hui, c’est très facile de revendiquer un territoire que d’autres ont mis à profit et mis en valeur.
Le soir venu, je croise des fidèles sortant de la synagogue voisine, pour se rendre chez eux réciter la prière de la havdala. Petit à petit, les magasins d’alimentation rouvrent mais impossible de trouver la moindre pitta qui ne sortira du fournil que le lendemain. Là aussi les Juifs sont uniques en leur genre : ils ont du temps une conception bien à eux. Franz Rosenzweig, Abraham Heschel et Emmanuel Levinas ont souligné cette spécificité : le Juif insère dans le temps qui passe une dose d’éternité. Ceci est patent dans l’Etoile de la rédemption de Rosenzweig mais encore plus dans The Shbbath and its meaning for the modern man de Heschel. Le jour du chabbat n’est pas un jour comme les autres. La temporalité est autre, et c’est ainsi que les Juifs religieux y investissent une durée peu commune aux autres jours de la semaine.
En Israël, quand j’observe le soleil couchant le samedi, je pense à ma ville natale d’Agadir où mon père me conduisait à la synagogue chez son neveu, le Dayyan de la ville, le défunt grand Rabbin Yehouda Chetrit, futur rabbin d’Afoula en Israël. L’enfant que j’étais était terrorisé par le ciel rougeoyant. Mon père me parlait de ce folio talmudique où l’on dit reconduire les damnés dans leur enfer, rougeoyant comme une fournaise solaire…
(Prochaine lettre d’Israël III : Dans le souk ancien de Natanya)