Le génie allemand de Philippe Meyer (Perrin)
Je ne souhaite pas être injuste envers l’auteur, homme de culture, attentif à ce qui se passe en Allemagne depuis la fin de la guerre. C’est aussi un avocat talentueux de l’amitié franco-allemande. C’est donc un livre bienvenu et attendu qu’il vient de publier. Mais sans chercher le moins du monde à amoindrir ses mérites, je dois bien dire que ce n’est pas ce que j’attendais quand j’ai demandé l’envoi de ce travail.
Le génie allemand de Philippe Meyer (Perrin)
Je comprends bien l’intention première qui gît au fondement de l’ouvrage : montrer sous un jour favorable l’esprit allemand et la contribution germanique à la culture de notre continent et même, bien au-delà, du monde. Mais c’est un côté-à-côte (ein Nebeneinander) au lieu d’être un (Ineinander), une synthèse résultant d’un authentique principe architectonique qui, pourtant, existe bien dans ce livre, mais n’a pas été suffisamment exploité. Tout au long de multiples entrées, comme dans un répertoire ou une encyclopédie portative, l’auteur résume, le plus souvent dans un style journalistique mais toujours élégant et sombre, des détails, rarement nouveaux, de ce que nous savons sur l’histoire intellectuelle et spirituelle allemande. Mais il y a ajouté des notices biographiques sur des ingénieurs, des mathématiciens, des médecins et de musiciens, donnant l’impression désolante d’un fourre-tout… C’est bien dommage car la matière était là pour faire ici de la bel ouvrage.
Une chose aussi m’a frappé : l’absence de définition du génie et aussi de qu’est ce qu’un Allemand ? Qu’est ce que la culture allemande, quel élément la rend spécifiquement allemande ? Est ce le donné religieux ? Et dans ce même sillage, j’ai noté l’absence substantielle de penseurs et d’écrivains juifs ayant puissamment contribué à la Kultur de l’autre côté du Rhin ? Pourquoi ne pas avoir consacré une entrée digne de ce nom à Moses Mendelssohn même si l’auteur est maintes fois cité et célébré, je veux bien le reconnaître. L’antisémitisme est nettement condamné, mais ne fait jamais l’objet d’un traitement an und für sich, en bonne et due forme, pour parler en allemand. Certes, une longue notice est consacrée à Hannah Arendt mais point à Walter Benjamin…
Il fallait une belle introduction d’ensemble, coiffant toutes ces personnalités à travers les siècles puisque l’auteur commence avec Arminius (Hermann) et finit avec la présentation des derniers chanceliers de la République Fédérale, la réunification, la disparition de la RDA etc… Alors, qui parle au nom de cette Allemagne spirituelle (das geistige Deutschland), qui connut une terrible éclipse entre 1933 et 1945 ? Manquent aussi au tableau des notices tant espérées sur les rapports entre judéité et germanité… Aussi une vraie notice sur Hermann Cohen qui a dit des choses si importantes sur le protestantisme. Et je ne parle même pas de Martin Buber ou de Franz Rosenzweig.
Mais nous ne formulons ces critiques amènes que dans l’espoir qu’elles inspireront une réédition revue et corrigée que nous souhaitons prochaine car l’auteur a dépensé un réel talent littéraire auquel il convient de rendre hommage .
Quand on parle du génie ou de la contribution spécifique d’une peuple ou d’une nation à la culture européenne ou mondiale -et c’est largement le cas pour ce qui est de l’Allemagne- on se doit d’en définir la nature et les limites. Je répète ma question : qui est Allemand ? Qui parle ou a parlé au nom de cette nation qui nous adonné en milieu du XXe siècle le meilleur et le pire ? Oublie-t-on que rien qu’au cours du siècle passé, un régime nazi a déchu de la nationalité allemande au moins deux écrivains nobélisables et / ou nobélisés (Thomas Mann, Hermann Hess). Ces deux écrivains ont enrichi la littérature mondiale d’œuvres magnifiques ; je n’en citerai que deux : Doktor Faustus pour l’un et Le jeu des perles de verre pour l’autre…
L’histoire allemande s’est souvent trouvée à la croisée des chemins. Ce pays a une histoire mais a souvent dû lutter contre sa géographie. Et même si, aujourd’hui, tout danger est conjuré, ses voisins ont souvent eu à subir ses excès, notamment son expansionnisme.
Même son option pour l’adhésion à l’Europe ne s’est pas faite sans hésitations. On se souvient de l’Ostpolitik du chancelier Willy Brandt qui avait d’ailleurs la faveur de l’opinion publique de son pays. L’Allemagne a adhéré à l’Europe mais ses diplomates ont eu l’intelligence de faire d’une pierre deux coups : on adhère à l’Europe en entraînant dans son sillage les pays d’Europe de l’est et toute la Mittelaeuropa, traditionnelle zone d’influence de Berlin depuis le Saint Empire Romain Germanique…
Quand on parle du génie d’une langue ou d’une culture, on doit rédiger une sorte d’introduction synthétique reliant les parties au tout, sinon le résultat est disparate, épars et laisse derrière soi une impression d’un produit manquant de fini. L’auteur a fait le choix qu’il a voulu et celui-ci se laisse bien défendre. Mais franchement dans un livre qui parle de Luther, de Nietzsche et d’Einstein, fallait-il ajouter des personnalités marginales dont je tais le nom par politesse ?
Quand on sait l’apport fondamental du protestantisme à cette culture, et aussi du judaïsme (fidèle à la tradition ancestrale ou ayant rejeté celle-ci pour adhérer le plus souvent à l’église évangélique), on s’interroge sur de telles absences.
Au plan philosophique, les notices sont plutôt bien faites mais on ne comprend pas pourquoi un homme comme Salomon Maimon brille par son absence alors qu’il fut le premier lecteur averti du criticisme kantien et que cela fut reconnu officiellement par le principal intéressé …
On pourrait multiplier les exemples. Mais ce n’est pas l’objectif visé. Ce que nous visons, c’est de livrer un tableau complet, ou, à défaut, le plus large possible, bien conçu et justement articulé.
Gageons que ces remarques amènes contribueront à une prochaine réédition et à une rediffusion de ce bel ouvrage sur la contribution essentielle de l’esprit allemand à la culture universelle et à la cause de la paix.