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Le statut du médecin et de la médecine dans la tradition juive

Le statut du médecin et de la médecine dans la tradition juive

Si paradoxal que cela puisse paraître, la tradition juive -qui a pourtant donné tant de brillants médecins (médecins-philosophes ou médecins-exégètes)- aux communautés dispersées de par le monde, n’a pas toujours eu un bon rapport avec ceux qui prêtent le serment d’Hippocrate. Comment s’explique ce qu’il faut bien nommer une opposition au corps médical ? Par l’affirmation primordiale de la supériorité absolue de Dieu sur toute médecin humaine. Dieu, seul, créateur des cieux et de la terre, dispensateur de vie et de santé, peut garantir le maintien de cette dernière, hors de tout concours humain. Poussant plus loin le raisonnement, les gardiens de la tradition ont parfois taxé d’hérésie ou d’incroyance ceux qui exerçaient le métier de médecin ou faisaient foi à la médecine curative.

Le statut du médecin et de la médecine dans la tradition juive

 

Citons quelques grands savants juifs qui furent aussi des médecins en leur temps : le lexicographe Abu l Walid Merwan ibn Djanah (Xe siècle), Juda ha-Lévi, l’auteur du Cousari (XIIe siècle), Moshé ben Nahman (Nahmanide, mort en 1272), le grand philosophe-herméneute Joseph ibn Caspi de Largentière (mort en 1340), le célèbre Gersonide, ou Levi ben Gershom (mort en 1344) qui surpassa Maimonide lui-même en matière de spéculation philosophique, et Moïse de Narbonne, le plus grand commentateur juif des œuvres philosophiques d’Averroès… Et il y en tant d’autres. Notamment en Allemagne au cours du XIXe siècle où les juifs formaient le contingent le plus fourni d’étudiants en médecine. Un exemple célèbre, le Dr Marcus Herz qui donna la réplique au grand Kant lors de sa soutenance de thèse de doctorat et qui est, en réalité, à moins que toute trompe, l’authentique auteur de la Prière du médecin, abusivement attribué à l’auteur du Guide des égarés… Certaines légendes ont la vie dure.

Pour ce qui est de Maimonide qui fut intégré dans l’histoire de la médecine arabe d’al-Kofti, il profita de son séjour dans la ville de Fès de 1160 à 1165 pour approfondir ses connaissances médicales dont il saura faire preuve dans son exil égyptien, devenant le médecin et le confident de la mère du sultan. Dans une lettre adressée à son traducteur, ibn Tibbon, qui formait le voeur secret de lui rendre visite en Egypte, le grand homme dissuade son traducteur de venir le voir, et lui donne son emploi du temps quotidien : le médecin de la cour égyptienne n’aurait pas trouvé le moindre instant à lui consacrer. J’avais jadis traduit sa missive dans mon Que sais-je ? consacré à Maimonide.

Mais il convient de rappeler que dans certains cercles juifs anciens et ultra-orthodoxes, la science médicale faisait l’objet d’un rejet total au motif que seul Dieu pouvait envoyer la guérison. C’est d’ailleurs ce qui ressort, en apparence, d’une prière tirée des dix-huit bénédictions de la liturgie juive : Reéfa’énou wé-nérappeh… Guéris nous Seigneur et nous serons guéris, envoie nous… le remède… car tu es un Dieu et un médecin fiable, béni sois tu Seigneur qui guéris les malades de son peuple Israël Mais une telle prière ne bannit pas entièrement l’art médical, on place en revanche l’apport divin au-dessus de tout, et notamment de toute intervention humaine, puisque la maladie, comme la pauvreté ou la mort, vient de Dieu. Pour les tenants de cette idée, recourir à l’homme dans ce cas précis revenait à remettre en cause le pouvoir de Dieu et sa volonté puisque, croyait-on, si l’on était victime d’une maladie, cela ne pouvait venir que de Dieu…

On peut s’appuyer, pour défendre cette thèse, sur un passage talmudique connu, Pessahim fol. 56a: le roi Josias, le seizième monarque de la dynastie davidique, avait donné l’ordre d’enfouir un livre de médecine afin de laisser croire que le plan divin d’une guérison plus ou moins lente, devait être respecté à la lettre. Mais Maimonide, dans son commentaire de la Mishna donne libre cours à son indignation et plaide pour une explication qui avait déjà été donnée par Rashi : ce traité médical, contenant des formules magiques, était accusé d’avoir servi de cheval de Troie à des pratiques astrologiques qui accréditaient des pratiques superstitieuses…

Pour faire pièce à ce précédent talmudique, Maimonide en produit un autre, tiré du traité Sanhedrin fol. 17a-b qui fait obligation au juif de ne résider dans un lieu que si trois conditions sont réunies : la présence sur place d’un médecin, d’un chirurgien (barbier) et d’un établissement de bains… Comme chaque référence talmudique doit être complétée par une autre, afin de se rapprocher le plus possible de la vérité, le statut du médecin était donc valorisé après avoir été quelque peu dévalorisé.

La médecin, poursuit Maimonide, est absolument nécessaire ; quiconque pense le contraire, ajoute-t-il, devrait se laisser mourir de faim et attendre qu’une intervention divine providentielle vienne le guérir… Il aura alors une meilleure appréciation de la réalité.

On trouve dans le Siracide (Ben Sira, 38 ; 1-4) l’exhortation suivante : Entoure le médecin, pour ses fonctions,, des honneurs qu’il mérite, car lui aussi le Seigneur l’a créé. C’est du Très-Haut, en effet, que vient la guérison du Roi lui-même il reçoit le don. Le savoir du médecin élève sa tête, en présence des grands il est admiré. Le Seigneur de la terre a créé les médicaments, l’homme prudent ne les dédaignera pas.

La citation est bien plus longue mais je la réduis faute de place.

Voici une dernière citation, tirée du Guide des égarés de Maimonide (I, ch. 61) où l’auteur s’élève contre les pratiques superstitieuses promues au rang de remède médical, notamment le port d’amulettes (qemi’ot) : Il ne faut pas croire en de telles superstitions ni ouvrir ton esprit à la folie de ceux qui écrivent de telles amulettes . Tu ne prêteras pas attention à ce qu’ils te diront ou écriront dans leurs textes insensés, en ce qui concerne ces noms divins sacrés…. Ils prétendent même exiger de la sainteté et de la pureté… Tous ces choses là sont des fables qu’un homme parfait ne devrait même pas écouter. Et comment ferai-il pour y croire ?

Au terme de ce petit survol historique, allant du talmud aux XIXe et XXe sicles ne passant par le Moyen Age que Maimonide, notamment, a su redonner ses lettres de noblesse à cet art quasi sacerdotal du médecin qui soigne ses congénères et apaise leurs douleurs.

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