Brûlant secret de Stefan Zweig (Gallimard)
Ou la défense des droits des enfants face aux adultes …
Zweig a bâti son inusable notoriété sur un talent littéraire indiscutable et il est même très probable que le prix Nobel de littérature lui aurait été décerné dans le sillage d’auteurs germaniques comme Thomas Mann et Hermann Hesse, s’il n’avait mis fin à ses jours un sinistre jour de février 1942. Réfugié au Brésil, ayant mis un immense océan entre lui et ses poursuivants nazis qui l’avaient déchu de sa nationalité autrichienne après l’Anschlusse de son pays, il aurait pu attendre encore trois années pour vivre et commémorer la victoire alliée sur les barbares… Hélas, tel ne fut pas le cas. Le désarroi moral l’a anéanti, probablement aussi l’éloignement de ses lecteurs, puisqu’il n’écrivait qu’elle allemand, tout en maîtrisant parfaitement la langue de Voltaire. Avec une minutie toute germanique il commença en cette fatale journée de février par préparer dans des enveloppes séparées, ce qui devait être envoyé à son éditeur (notamment la Schachnovelle : la partie d’échecs) ainsi que d’autres destinataires… Une fois qu’il avait réglé toutes ses affaires, il avala une quantité létale de barbituriques et se mit au lit, suivi par la jeune femme, Mademoiselle Altmann (une fille de rabbin britannique) qui partageait sa vie et l’avait suivi en Amérique du sud… C’est le lendemain qu’un commis découvrit les corps inanimés du couple.
Brûlant secret de Stefan Zweig (Gallimard)
Ou la défense des droits des enfants face aux adultes …
Le genre littéraire qu’il affectionnait et dans lequel il excellait était la nouvelle. Le texte que nous analysons ici en fait partie : en une petite centaine de pages mais de grande qualité, Zweig nous introduit dans un monde à lui, un monde où il pénètre la plupart des secrets tapis dans les replis de l’âme humaine. Surtout l’âme féminine et chacun se souviendra de ce chef d’œuvre qu’est la nouvelle intitulée Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme…
L’auteur s’est intéressé aux femmes à tout point de vue. Elles furent pour lui, toutes, quel que fût leur classe sociale ou leur origine, une inépuisable source d’inspiration. La présente nouvelle ne fait pas exception à cette règle. Nous ne raconterons pas l’histoire qui n’est pas haletante mais qui vaut surtout par les analyses psychologiques d’une mère entre deux âges, en l’occurrence de religion juive, et de son enfant de douze ans qui doit passer sa convalescence à la montagne afin de s’exposer au soleil et de respirer de l’air pur.
La mère s’occupe donc de son enfant qui recouvre d’une grave maladie, le père, célèbre avocat viennois, est tout à son travail ; la suite de l’histoire va nous montrer que la maman n’est pas vraiment épanouie au plan affectif ou sexuel, ce qui crée un manque surtout à son âge et dans sa situation…
Comme d’habitude chez Zweig, l’histoire commence dans un train ou dans un véhicule. On bouge, ce n’est pas statique. Un homme, jamais nommé, mais dont on dit qu’il est un aristocrate, se rend lui aussi dans le même lieu de villégiature que la mère et son enfant. Très porté sur les relations avec le beau sexe, il espère faire au moins une belle rencontre sur place, faute de quoi il risque d’être victime d un ennui mortel. Arrivé dans son hôtel il effectue un premier tour d’inspection, mais Zweig parle carrément de chasseur et de proie, voire même de gibier, ce qui révèle un aspect un peu autobiographique. C’est loin d’être une âme romantique qui cherche l’âme sœur afin de vivre un grand et éternel amour, c’est un chasseur qui ne va pas tarder à repérer la belle femme juive, un peu vieillissante, mais encore désirable à ses yeux.
Il met au point un fin stratagème mais finit par trouver le défaut de la cuirasse, c’est le petit enfant, malade, isolé sans un seul camarade dans un monde d’adultes, qui passe son temps à parler aux portiers, aux femmes de chambre, bref qui ne sait que faire de son temps. Le soi-disant baron, qui n’a ni nom ni rien de marquant (on dit même qu’il n’est pas joli garçon), va parler au petit garçon, fait des promenades avec lui dans les bois, invente des histoires ou des aventures vécues en Inde lors de chasses aux tigres, monté sur des éléphants, bref émerveille le petit que ne se doute de rien, dans son innocence. Une innocence sur laquelle Zweig insiste pour magnifier la pureté des enfants, êtres jeunes et neufs, non encore gâchés par l’existence et chez qui les valeurs humaines d’amour et d’amitié ne sont pas encore édulcorées par la vie et ses épreuves.
En quelques heures, notre baron, toujours attiré par la belle Juive, prend ses repas avec elle et son fils, lequel ne peut plus se passer de cette exaltante compagnie. Hélas, il ne va pas tarder à déchanter : dès que le baron fait vibrer la corde amoureuse dans l’intimité de cette femme, il se désintéresse entièrement du petit garçon qui ne lui a servi que de cheval de Troie. Pire, il fait tout pour l’évincer dans le cœur de sa mère, invite cette dernière à des randonnées sans lui, bref revendique la mère ou plutôt cette femme si désirable pour lui tout seul.. Zweig qui connaît les secrets de l’âme féminine se donne pour objectif de ressusciter la femme dans le corps d’une mère. Cette dernière est déchirée, écartelée entre deux impératifs. Le petit garçon se rend compte de ce qui se passe sous ses yeux. Et là Zweig rédige des pages immortelles, impérissables sur les souffrance intimes des enfants, les oubliés du divorce de leurs parents, ceux qu’on abandonne parfois pour vivre pleinement le bonheur d’être une femme désirée et plus uniquement une mère attachée aux soins à donner aux enfants.
Cette nouvelle se veut éthique puisque le petit garçon finit par se jeter sur le séducteur malhonnête , le frappe de ses petits poings et finit par le mordre. Le baron est en sang, discrédité, il filera à l’anglaise, laissant la mère et le fils dans un triste état. C’est alors que commence la régénérescence, la résilience. Cela tient en un mot : l’amour, l’amour entre un fils et sa mère qui traverse les affres propres à son âge : femme ou mère…
C’est une très belle nouvelle, remarquablement bien traduite de l’allemand..