Un nouveau livre sur l’Holocauste… (Laurence Rees, Albin Michel)
J’avoue avoir quelque peu hésité avant de commander ce bel ouvrage, massif et si instructif, me demandant simplement comment on pouvait apporter quelque chose de nouveau à la littérature déjà existante sur ce terrible sujet. Et pourtant, c’est un pari réussi de l’auteur, Laurence Rees, ancien des services historiques de la très sérieuse BBC. Et mon attente n’a guère été déçue. L’auteur adopte un plan naturel, en apparence, il enveloppe, par tranches chronologiques successives, tout ce qui a conduit à la catastrophe, à ce que les Nazis appelaient la solution finale (Endlösung) ; et il ne fait jamais doublon avec les travaux fondamentaux de grands historiens comme Raoul Hilberg et Saül Friedländer.
Le non-spécialiste que j’avoue être y a trouvé maintes analyses nouvelles et des détails assez savoureux. Par exemple, Joseph Goebbels, l’infatigable propagandiste du régime, fut, dans son prime jeunesse, très amoureux d’une jeune institutrice d’origine juive à laquelle il tresse bien des couronnes dans son journal intime… avant de rompre avec elle et d’épouser en 1931, une belle blonde aux yeux bleus qui avait déjà été mariée et qui lui donnera une nombreuse progéniture. En lisant ce livre sur l’Holocauste, j’ai appris que c’est un capitaine juif, Hugo Gutmann, officier comandant le caporal Hitler lors de la Grande guerre, qui demanda sa décoration de la croix de fer de première classe afin de récompenser sa bravoure au front… Et cela, Hitler s’est toujours gardé de le faire savoir.
Un nouveau livre sur l’Holocauste… (Laurence Rees, Albin Michel)
L’auteur montre très finement comment la population allemande des bourgs et des villages a réagi lors du déversement de tonnes d’injures, de caricatures et d’accusations à l’encontre des Juifs. Certains ne comprenaient pas toute cette haine au motif qu’ils ne décelaient pas parmi leurs compatriotes juifs de tels défauts, voire l’essence même du mal et de forces démoniaques. On lit maints témoignages d’adultes qui relatent ce que fut leur vie au collège ou au lycée après ce terrible 30 janvier 1933, le jour où Hitler accède enfin à la chancellerie du Reich… Et peu de temps après, à la mort du président le maréchal Paul von Hindenburg, il obtiendra un appui massif à sa proposition de faire fusionner les fonctions de président et de chancelier du Reich.
Hitler s’est toujours gardé de donner des ordres écrits, signés de sa main, concernant l’extermination de la population juive. On suit même une progression assez subtile dans son approche de cette question. Certes, il y eut la levée de boucliers des juifs du monde entier, multipliant les manifestations, les articles dans tous les organes de presse, notamment aux USA. Cela finit par provoquer une sorte de boycott des produits allemands, contrariant grandement le développement économique d’un pays, sorti exsangue d’une terrible guerre, perdue, et suivie par des révoltes et des combats de rues… Goering, Goebbels et quelques autres eurent le front de proposer l’horrible marché suivant : plus les Juifs vivant hors d’Allemagne attaquent le régime nazi et boycottent les produits allemands et plus la main des autorités retombera d’autant plus lourdement sur les Juifs pris dans les frontières du Reich …
On lit aussi ici des lignes intéressantes sur un accord politico-économique entre les nazis et les mouvements sionistes : il s’agit de la ha’avara, en hébreu transfert. Les Juifs autorisés à quitter le Reich pour la Palestine mandataire n’emportaient pas leurs biens avec eux. En revanche, leur argent était utilisé pour acquérir des engins et des machines agricoles livrables en Terre sainte… Il faut bien dire que certains ministres-techniciens du Reich n’étaient pas nécessairement aussi antisémites qu’Hitler qui souffrait, à ce sujet, d’une psychose obsessionnelle. Ce livre cite quelques passages de Mein Kampf mais aussi d’autres attestations écrites prouvant que Schacht, par exemple, ministre de l’économie, avait maintes fois protesté contre les agressions anti-juives dont les SA (Sturmabteilung) étaient coutumiers. Certains témoignages sont à peine croyables.
En effet, ce qui se passait dans les tout premiers camps de concentration est insoutenable : les tabassages étaient des plus cruels. Après, les détenus n’arrivaient même plus à s’asseoir, à marcher ni à dormir allongés. Les atrocités des gardes du camp de Dachau, non loin de Munich, rendirent nécessaires une reprise en main de la part de H. Himmler en personne. A un certain moment, les SS ne voulurent pas rentrer dans le rang et envisagèrent même d’armer les détenus pour leur prêter main forte en cas d’intervention violente des forces de police venues les chasser du camp. L’affaire finit par se régler pacifiquement. Dans ce contexte, il faut souligner l’habileté de Hitler à se débarrasser des gêneurs et à s’entourer de sbires d’une fidélité à toute épreuve : le concours de Himmler et de ses SS furent déterminants pour casser les SA et neutraliser leur chef Röhm… Si Cela n’avait pas eu lieu, la sanglante épopée hitlérienne se serait arrêtée là…
Dès son installation à la chancellerie, Hitler jugea bon de parler avec tous les chefs de l’armée, leur assurant que celle-ci ne sera pas contrainte d’admettre les SA dans ses rangs. Les officiers généraux, presque tous de l’aristocratie prussienne n’avaient que du mépris pour des voyous sans foi ni loi. Hitler avait compris que l’armée pouvait, en cas de malaise, se débarrasser de lui. Il importait donc de lui donner quelques assurances.
Donc, Hitler avançait assez prudemment et devait souvent s’en expliquer auprès de certaines têtes brûlées de son parti (NSDAP) qui rêvaient d’en découdre, notamment et en priorité avec les Juifs. Les nazis voulaient établir une sorte de nation soldatique et une société ethnique d’où toute trace juive était bannie. C’est ainsi que Hitler voulut promouvoir l’eugénisme au rang de valeur sociale suprême : il entendait stériliser même de simples alcooliques, par crainte de les voir transmettre héréditairement leur propre addiction ! Mais les Allemands ne suivaient pas vraiment ; d’après des enquêtes de la Gestapo, le peuple ne comprenait pas toujours cette haine à l’égard des juifs et continuait, au début, du moins, à commercer avec eux. Par exemple, jusqu’en 1937/38, les marchands de bestiaux de la région de Berlin étaient en majorité juifs. Ce qui n’était pas pour plaire aux nazis qui firent de gros efforts pour les chasser de cette position dominante. Selon les idéologues nazis, il fallait donc rééduquer (umschulen) les citoyens, leur faire comprendre qu’il fallait haïr les Juifs, en dépit de leurs efforts déployés pour être aimables et bien vus.
Je n’ai pas parlé de l’interdiction promulguée par décret d’Etat d’avoir des relations intimes avec des Juifs (ves). Certes, les SA, avant leur reprise en main, n’hésitaient pas à sévir contre de tels couples mais ils furent sévèrement rappelés à l’ordre : la lutte contre les Juifs, dirent les autorités, relève des autorités centrales du Reich et non du premier chefaillon venu… Constamment, les nazis ont adapté leur politique anti-juive selon les circonstances : ainsi, à l’approche des Jeux Olympiques de 1936, les panneaux interdisant aux Juifs de fréquenter les parcs et autres lieux publics avaient disparu… pour réapparaître quelques semaines après la fin de ces Jeux.
Est ce que la solution finale, la mise en œuvre de la Shoah a vraiment commencé après l’invasion de la Pologne, et, plus généralement, l’entrée en guerre de l’Allemagne nazie contre tous les pays voisins ? La question est délicate mais il faut bien convenir que lorsque tous ces pays furent conquis et occupés, le nombre de leurs habitants juifs alla croissant. Se posa alors la question de savoir comment s’en débarrasser au mieux. Et là, la lecture de ces pages devient soudain éprouvante au plus haut point. C’est vraiment inosutenable.
La volonté obsessionnelle de Hitler d’éradiquer les malades mentaux, les victimes de maladies incurables et autres qui ouvrit hélas la voie : le chef du IIIe Reich demanda à des médecins et à des chimistes comment on devait procéder. L’un d’entre eux, qui venait de soutenir sa thèse de doctorat depuis tout juste un an, rendit sa réponse : le gaz était la meilleure solution. On expérimenta le procédé dans une salle d’hôpital hermétiquement fermée où se trouvaient les victimes qu’on avait déshabillées pour une prétendue douche… Après l’asphyxie, on brûla les corps. C’est exactement ce qui allait se passer pour Auschwitz où le procédé fut porté à des dimensions absolument gigantesques.
Les livres sur l’Holocauste font souvent référence à l’écœurement éprouvé par les officiers ou par certains SS (mais pas par la majorité) devant une telle barbarie, mais Himmler veillait et recadrait aussitôt les plus démoralisés. Quant à Hitler en personne, quand lui parvint le rapport du général commandant toute l’armée de terre, qui s’indignait du travail qu’on lui faisait faire, il répliqua qu’on ne fait pas la guerre avec les méthodes de l’armée du salut…
Ce livre n’omet pas de parler aussi de certains dirigeants juifs des ghetti (Judenräte) qui se montraient presque aussi cruels que leurs bourreaux. Certains se sont conduits comme de véritables tortionnaires, maltraitant même des femmes captives, issues de leurs propres communautés. C’est toute l’inhumanité de l’univers concentrationnaire que l’auteur analyse. Pour finir, redonnons lui la parole : (p 618) J’espère montrer dans ce livre que le parcours jusqu’à l’Holocauste a été progressif, plein de tournants et de détours, jusqu’à ce qu’il trouve son expression finale dans les usines de la mort nazie. Je crois enfin, même si le contenu de ce livre est éprouvant, qu’il est important de comprendre pourquoi et comment ce crime a eu lieu. Car ce que cette histoire nous dit, en définitive, et peut-être plus qu’aucune autre, c’est ce dont notre espèce est capable.