Hegel et les Juifs
C’est un vaste sujet qu’on va tenter de focaliser autour de la philosophie politique de cet auteur qui a marqué la pensée occidentale, puisqu’on parle de la spéculation depuis l’Ionie jusqu’à Iéna. Cet homme disait de lui-même qu’il avait fait le tour des concepts philosophiques et qu’après lui, on ne fera que répéter ce qui avait été dit auparavant.
Hegel, mort en 1832 conservera sa chaire de professeur à l’université de Berlin jusqu’au bout. Ce qui signifie que ses idées en des matières cruciales seront celles de toute l’Allemagne pensante et croyante. Mais pas uniquement puisque, comme le rapporte Ernest Renan, Victor Cousin, l’étoile montante au firmament français de la pensée, ira écouter, de l’autre côté du Rhin quelques conférences de l’illustre penseur sur la philosophie de l’histoire.
Enfin, le célèbre philosophe judéo-allemand Franz Rosenzweig, mort en 1929, consacrera sa thèse de doctorat à la philosophe politique de Hegel. Son directeur de thèse, Friedrich Meinecke sera le chef de file des hégéliens de droite, lui qui publia un ouvrage qui fera date, Cosmopolitisme et et état national. Et là nous arrivons au cœur du sujet, in medias res.
En effet, pour traiter le sujet, à savoir Hegel et les Juifs, il faut tenir compte d’un élément crucial, sous son double aspect, l’antisémitisme du début des années 1820, environ une décennie avant la disparition de Hegel, et l’Emancipation des juifs. La question de l’état moderne, dont Hegel fut l’un des principaux contributeurs, était posée : dans quelle mesure cet Etat, originellement chrétien, pouvait il accepter en son sein des éléments allogènes, leur accorder des droits civiques et en faire des citoyens comme les autres. En gros, l’Etat devait il rester chrétien ou devait-il, au nom des idéaux de l’Aufklärung, s’ouvrir à tous en traitant autrement des rapports entre l’Etat et la religion.
On l’aura compris, l’intérêt de cette question tiendra à la manière dont Hegel abordera cette question, à une époque où l’antisémitisme européen, en Allemagne notamment, était florissant. C’est aussi l’époque où les juifs, désireux d’échapper à cette éviction sociale, se convertissaient en masse, au point que l’on a parlé d’épidémie de conversions (Taufepidemie). On se souvient, par exemple, des propres cousins de Rosenzweig (les Ehrenberg, Rosenstock, etc…)
Il faut rappeler qu’à cette époque, si proche de la Révolution française, les idées de restauration avaient le vent en poupe alors qu’en France révolutionnaire, l’atmosphère était tout autre : il fallait bannir toute idée de restauration de l’Ancien Régime, alors que la tendance de l’autre côté du Rhin était à l’opposé…
De la nature de l’Etat dépendaient sa conception du droit et des institutions sociales et politiques. Deux tendances se faisaient face : soit on était attaché à la restauration aristocratique avec toutes ses implications (notamment concernant l’éviction des Juifs), soit on plaçait l’attachement à la Raison et aux structures démocratiques, et en conséquence on ne considérait plus les juifs comme des parias. La religion n’emprisonnait plus les débats politiques au sein de la société.
Cependant, il convient de se garder d’un penchant naturel qui consiste à projeter nos critères contemporains sur les réalités socio-politiques de l’époque : diviser les forces en présence en réactionnaires, d’une part, et en progressistes, d’autre part. Les clivages existants jadis recouvraient des réalités bien plus complexes. Par exemple, l’introduction, d’un antisémitisme racial, avant la lettre, serait parfaitement inadéquate, même si les différentes phases de cet antisémitisme (que certains Allemands ou Autrichiens ont sucé à la poitrine de leurs mères) ont, pour ainsi dire, fait la courte échelle à l’horreur de la Shoah, deux petits siècles plus tard…
C’est pourtant à cette époque, vers 1820, alors que les tendances antisémites étaient en passe de se renforcer, que Hegel a réussi à mettre sur pied une doctrine juridique ambitieuse, de grande portée sociale, annonciatrice d’une théorie de l’Etat moderne. En oeuvrant de la sorte, Hegel rejoint les idéaux du siècle des Lumières et se révèle être un partisan du droit naturel qui dépasse, et de très loin, le cadre des conceptions religieuses précédentes. Et le droit rejoint la morale, dans ce cas précis, car plus rien ne saurait le limiter. C’est le triomphe de l’universalité de la loi éthique. En posant de telles exigences, Hegel prouve sa grande supériorité par rapport aux autres théories de son époque. Certes, le système ainsi échafaudé n’est pas à l’abri de certaines contradictions que Hegel tente par la suite de résoudre.
Le concept d’autonomie joue un rôle majeur dans toute cette affaire puisqu’il se fonde sur la Raison objectivée qui se présente à l’individu sous la forme de la loi, du droit et des institutions politiques. Cette objectivité est générée par la Raison dans la mesure où les individus dépassent leur subjectivité en s’en remettant aux lois de la société. Parallèlement à cela, les êtres seront en mesure de vivre selon leur éthique.
Certes, toute cette savante construction n’st pas à l’abri de contradictions puisqu’on parle souvent de la divinisation de l’Etat chez notre philosophe. Et l’individu n’y trouve pas toujours son compte. Hegel pouvait être en avance sur son temps mais il en restait tout de même, le fils Il demeure, cependant, que Hegel fonde son concept de l’Emancipation des Juifs sur des idées démocratiques proches des Etats de droit contemporains. Un point mérite d’être souligné : en dépit des opinions politiques opposée et des fortes résistances à toute intégration, pleine et entières, des Juifs au sein du groupe social, Hegel réussit à ancrer sa doctrine morale dans un ensemble laïque… Portant, on trouve même chez Kant, Fichte et Schelling des appels à conserver certaines idées religieuses chrétiennes, aux côtés d’une éthique moderne.
Mais ceci n’est pas le fin mot d’l’histoire car parfois on a cultivé une sorte de Transcendance impénétrable qui aurait placé en l’homme les principes mêmes de l’éthique alors qu’on aurait plutôt aimé voir en l’éthique un principe tiré de la Raison pratique.
On est bien loin de Fichte qui déniait aux Juifs le droit d’être considéré comme les autres citoyens ; il n’acceptait que ceux des juifs dont la tête ne comportait pas une seule idée juive ! Curieuse conception de la part d’un philosophe. Fichte dont l’antisémitisme est connu, appréciait pourtant grandement Salomon Maïmon, lequel avait une attitude très critique à l’égard de la tradition ancestrale. Il lui reconnaissait aussi le mérite d’avoir développé la philosophie transcendantale. Maimon était le bon juif de Fichte. Il accusait les juifs d’avoir une double morale, l’une pour eux mêmes et l’autre, hostile à l’égard des autres…
Hegel n’était pas le pire ennemi des Juifs puisque les jeunes gens qui créèrent le fameux Culturverein, destiné à revitaliser le judaïsme, s’inspiraient largement de sa philosophie. Mais le philosophe qui avait rédigé une petite biographie de Jésus ne pouvait pas se débarrasser de deux millénaires de pensée chrétienne laquelle ne fut pas précisément favorable aux juifs et au judaïsme
L’image demeure donc contrastée. Hegel a transposé dans de domaine de la philosophie politique certaines idées issues du kantisme, et notamment le principe de l’universalité de la loi morale.
Dans l’histoire de la philosophie politique, il y eut des gens qui interprétaient Hegel dans un sens pluraliste et ouvert, et d’autres qui optèrent pour un aspect opposé.
Friedrich Meinecke, le directeur de thèse de Rosenzweig était le meilleur représentant de l’hégélianisme de droite… Cet homme qui mourut tranquillement dans son lit, bien après la fin de la guerre, avait applaudi à l’entrée des troupes nazies en Pologne …
Hegel et les Juifs
C’est un vaste sujet qu’on va tenter de focaliser autour de la philosophie politique de cet auteur qui a marqué la pensée occidentale, puisqu’on parle de la spéculation depuis l’Ionie jusqu’à Iéna. Cet homme disait de lui-même qu’il avait fait le tour des concepts philosophiques et qu’après lui, on ne fera que répéter ce qui avait été dit auparavant.
Hegel, mort en 1832 conservera sa chaire de professeur à l’université de Berlin jusqu’au bout. Ce qui signifie que ses idées en des matières cruciales seront celles de toute l’Allemagne pensante et croyante. Mais pas uniquement puisque, comme le rapporte Ernest Renan, Victor Cousin, l’étoile montante au firmament français de la pensée, ira écouter, de l’autre côté du Rhin quelques conférences de l’illustre penseur sur la philosophie de l’histoire.
Enfin, le célèbre philosophe judéo-allemand Franz Rosenzweig, mort en 1929, consacrera sa thèse de doctorat à la philosophe politique de Hegel. Son directeur de thèse, Friedrich Meinecke sera le chef de file des hégéliens de droite, lui qui publia un ouvrage qui fera date, Cosmopolitisme et et état national. Et là nous arrivons au cœur du sujet, in medias res.
En effet, pour traiter le sujet, à savoir Hegel et les Juifs, il faut tenir compte d’un élément crucial, sous son double aspect, l’antisémitisme du début des années 1820, environ une décennie avant la disparition de Hegel, et l’Emancipation des juifs. La question de l’état moderne, dont Hegel fut l’un des principaux contributeurs, était posée : dans quelle mesure cet Etat, originellement chrétien, pouvait il accepter en son sein des éléments allogènes, leur accorder des droits civiques et en faire des citoyens comme les autres. En gros, l’Etat devait il rester chrétien ou devait-il, au nom des idéaux de l’Aufklärung, s’ouvrir à tous en traitant autrement des rapports entre l’Etat et la religion.
On l’aura compris, l’intérêt de cette question tiendra à la manière dont Hegel abordera cette question, à une époque où l’antisémitisme européen, en Allemagne notamment, était florissant. C’est aussi l’époque où les juifs, désireux d’échapper à cette éviction sociale, se convertissaient en masse, au point que l’on a parlé d’épidémie de conversions (Taufepidemie). On se souvient, par exemple, des propres cousins de Rosenzweig (les Ehrenberg, Rosenstock, etc…)
Il faut rappeler qu’à cette époque, si proche de la Révolution française, les idées de restauration avaient le vent en poupe alors qu’en France révolutionnaire, l’atmosphère était tout autre : il fallait bannir toute idée de restauration de l’Ancien Régime, alors que la tendance de l’autre côté du Rhin était à l’opposé…
De la nature de l’Etat dépendaient sa conception du droit et des institutions sociales et politiques. Deux tendances se faisaient face : soit on était attaché à la restauration aristocratique avec toutes ses implications (notamment concernant l’éviction des Juifs), soit on plaçait l’attachement à la Raison et aux structures démocratiques, et en conséquence on ne considérait plus les juifs comme des parias. La religion n’emprisonnait plus les débats politiques au sein de la société.
Cependant, il convient de se garder d’un penchant naturel qui consiste à projeter nos critères contemporains sur les réalités socio-politiques de l’époque : diviser les forces en présence en réactionnaires, d’une part, et en progressistes, d’autre part. Les clivages existants jadis recouvraient des réalités bien plus complexes. Par exemple, l’introduction, d’un antisémitisme racial, avant la lettre, serait parfaitement inadéquate, même si les différentes phases de cet antisémitisme (que certains Allemands ou Autrichiens ont sucé à la poitrine de leurs mères) ont, pour ainsi dire, fait la courte échelle à l’horreur de la Shoah, deux petits siècles plus tard…
C’est pourtant à cette époque, vers 1820, alors que les tendances antisémites étaient en passe de se renforcer, que Hegel a réussi à mettre sur pied une doctrine juridique ambitieuse, de grande portée sociale, annonciatrice d’une théorie de l’Etat moderne. En oeuvrant de la sorte, Hegel rejoint les idéaux du siècle des Lumières et se révèle être un partisan du droit naturel qui dépasse, et de très loin, le cadre des conceptions religieuses précédentes. Et le droit rejoint la morale, dans ce cas précis, car plus rien ne saurait le limiter. C’est le triomphe de l’universalité de la loi éthique. En posant de telles exigences, Hegel prouve sa grande supériorité par rapport aux autres théories de son époque. Certes, le système ainsi échafaudé n’est pas à l’abri de certaines contradictions que Hegel tente par la suite de résoudre.
Le concept d’autonomie joue un rôle majeur dans toute cette affaire puisqu’il se fonde sur la Raison objectivée qui se présente à l’individu sous la forme de la loi, du droit et des institutions politiques. Cette objectivité est générée par la Raison dans la mesure où les individus dépassent leur subjectivité en s’en remettant aux lois de la société. Parallèlement à cela, les êtres seront en mesure de vivre selon leur éthique.
Certes, toute cette savante construction n’st pas à l’abri de contradictions puisqu’on parle souvent de la divinisation de l’Etat chez notre philosophe. Et l’individu n’y trouve pas toujours son compte. Hegel pouvait être en avance sur son temps mais il en restait tout de même, le fils Il demeure, cependant, que Hegel fonde son concept de l’Emancipation des Juifs sur des idées démocratiques proches des Etats de droit contemporains. Un point mérite d’être souligné : en dépit des opinions politiques opposée et des fortes résistances à toute intégration, pleine et entières, des Juifs au sein du groupe social, Hegel réussit à ancrer sa doctrine morale dans un ensemble laïque… Portant, on trouve même chez Kant, Fichte et Schelling des appels à conserver certaines idées religieuses chrétiennes, aux côtés d’une éthique moderne.
Mais ceci n’est pas le fin mot d’l’histoire car parfois on a cultivé une sorte de Transcendance impénétrable qui aurait placé en l’homme les principes mêmes de l’éthique alors qu’on aurait plutôt aimé voir en l’éthique un principe tiré de la Raison pratique.
On est bien loin de Fichte qui déniait aux Juifs le droit d’être considéré comme les autres citoyens ; il n’acceptait que ceux des juifs dont la tête ne comportait pas une seule idée juive ! Curieuse conception de la part d’un philosophe. Fichte dont l’antisémitisme est connu, appréciait pourtant grandement Salomon Maïmon, lequel avait une attitude très critique à l’égard de la tradition ancestrale. Il lui reconnaissait aussi le mérite d’avoir développé la philosophie transcendantale. Maimon était le bon juif de Fichte. Il accusait les juifs d’avoir une double morale, l’une pour eux mêmes et l’autre, hostile à l’égard des autres…
Hegel n’était pas le pire ennemi des Juifs puisque les jeunes gens qui créèrent le fameux Culturverein, destiné à revitaliser le judaïsme, s’inspiraient largement de sa philosophie. Mais le philosophe qui avait rédigé une petite biographie de Jésus ne pouvait pas se débarrasser de deux millénaires de pensée chrétienne laquelle ne fut pas précisément favorable aux juifs et au judaïsme
L’image demeure donc contrastée. Hegel a transposé dans de domaine de la philosophie politique certaines idées issues du kantisme, et notamment le principe de l’universalité de la loi morale.
Dans l’histoire de la philosophie politique, il y eut des gens qui interprétaient Hegel dans un sens pluraliste et ouvert, et d’autres qui optèrent pour un aspect opposé.
Friedrich Meinecke, le directeur de thèse de Rosenzweig était le meilleur représentant de l’hégélianisme de droite… Cet homme qui mourut tranquillement dans son lit, bien après la fin de la guerre, avait applaudi à l’entrée des troupes nazies en Pologne …