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Michel Cugnet & Fausto Fantini, Outils et symboles. Pour mieux comprendre la Franc-Maçonnerie. (Slatkine, Genève) ; collection Architectes de la sagesse.

Michel Cugnet & Fausto Fantini, Outils et symboles. Pour mieux comprendre la Franc-Maçonnerie. (Slatkine, Genève) ; collection Architectes de la sagesse.

Pour couper court à toute méprise sur le sens de ce compte-rendu que je m’apprête à rédiger, je signale d’emblée qu’il n y a ici ni message subliminal, ni volonté apologétique, ni même de parti paris en faveur du sujet traité. Il s’agit simplement de prendre connaissance des outils de travail et de leur signification profonde dans les loges maçonniques. Et cette enquête sérieuse s’avère passionnante.

Michel Cugnet & Fausto Fantini, Outils et symboles. Pour mieux comprendre la Franc-Maçonnerie. (Slatkine, Genève) ; collection Architectes de la sagesse.

Les membres des Loges se veulent un ordre chevaleresque, et aussi une sorte de société philosophique, soucieuse d’éclairer, à sa façon, les hommes et à œuvrer au bien commun de tous. Par malheur, certaines déformations ont bien eu lieu au cours de l’histoire, et des accusations, fondées ou infondées, furent brandies à l’égard de certains membres de cet ordre : double morale, l’une pour les frères et l’autre pour les autres, etc. C’est donc tout l’intérêt d’un ouvrage comme celui-ci qui explique au novice que je suis l’objectif poursuivi par routes ces loges qui fournissent un indiscutable travail au service de nos sociétés.

C’est donc à un fascinant voyage au sein de ce symbolisme que nous convie cet ouvrage dont la lecture se veut aisée et captivante à la fois. Il est difficile de s’attarder, comme il conviendrait, sur chaque entrée de ce petit dictionnaire de la franc-Maçonnerie mais on se limitera donc aux points les plus importants, dont le tout premier est la roche ou la pierre, véritable entrée en matière de cette société philosophique. On part de la roche brune que le novice ou apprenti doit tailler, ayant conscience que c’est son propre être, son soi, son être intérieur qu’il veut peaufiner : et cette entreprise de toute une vie devrait lui permettre, s’il tient la distance, de gravir les échelons et d’aboutir à ce qu’on nomme la pierre de couronnement. Mais pour ne pas couper cet être du reste de la société ou de l’humanité il doit façonner cette roche en une pierre qui s’agence et s’intègre harmonieusement dans l’édifice… La roche brune est donc le symbole d’une humanité à l’état brut, bien imparfaite car brune, donc sombre.

Et ce détail m’a fait penser aux métaphores de la lumières si courantes au Moyen Âge, notamment dans l’épître sur Hayy ibn Yuqzan du médecin-philosophe ibn Tufayl, l’homme qui détermina la vie du célèbre Averroès puisque ce fut lui qui le présenta au calife Al-Mu’min : lorsque le solitaire Hayy, exilé sur une île déserte, loin de tout et n’ayant jamais vu d’autre être humain, s’exerce à comprendre ce qui l’entoure, on nous dit que son âme qui ressemblait à l’origine à un miroir opaque devient progressivement un miroir poli à force d’exercices sur soi et de méditation.(l’entrée miroir se trouve plus loin dans le livre).

Au fur et à mesure qu’il s’abîme dans cette contemplation cosmique, le solitaire Hayy se sépare des hommes de l’île voisine dont l’âme ressemble à un miroir rouillé, opaque qui ne laisse pas passer la lumière. L’auteur, ibn Tufayl, dit même : O mon frère ! Aiguise donc ton âme pour ne pas ressembler à ces miroirs. On parle alors de la pierre spéculaire polie, par opposition à la pierre spéculaire opaque…

Ce travail sur soi évoque un peu cette taille de la pierre qui représente notre conscience franchissant les différentes étapes menant à la perfection. On peut donc dire que cette symbolique de la roche ou de la pierre est l’interprétation allégorique ou une sorte d’alchimie spirituelle. Arracher l’homme à sa condition première afin de l’élever vers les sommets de la spiritualité, symbolisée par la lumière. Ce symbolisme lumineux est évidemment omniprésent dans la littérature sapientiale de la Bible, en particulier dans la littérature prophétique et dans les Psaumes (Dessille mes yeux pour que je contemple tes prodiges… Car ta rosée est une rosée de lumières…).

La seconde entrée de ce dictionnaire ne pouvait être que le tablier, blanc de préférence, et les gants de même couleur. Ici le symbolisme est moins recherché, si j’ai bien lu ; à l’origine, nous dit-on, il s’agissait de se protéger durant son travail et petit à petit c’est devenu une marque ou un signe d’appartenance, un élément unificateur qui rend l’homme conscient de son appartenance à un si noble ordre. Quant aux gants, les auteurs ont raison de rappeler que cela a toujours fait partie de la panoplie vestimentaire des personnalités importantes (la noblesse de robe, le clergé, les grands aristocrates, etc…). Mais je préfère l’opinion qui affirme qu’une main gantée de blanc ne laisse passer que les ondes positives et retient celles qui ne le sont pas…

Un rapprochement avec une scène dans les toutes premières pages du Zohar s’impose à mon esprit : le grand mystique juif, Siméon bar Yochaï, demande à ses disciples de former un cercle et d’unir leurs mains à celles de leur voisin car à travers ce geste, l’influx circule de l’un à l’autre pour que ce cercle fait de tant de disciples ne soit plus qu’un seule personne, une âme unique.

Comment ne pas parler du maillet et du ciseau, symbole (surtout pour le premier) de la puissance et de la force, mais aussi de la lumière et de l’intelligence du cœur : le ciseau est lumière et le maillet est un coup de tonnerre… Et dans la Bible, ne l’oublions pas, le cœur est le siège de l’intelligence (hochmat lév). Ce coup de marteau me fait penser à une métaphore du talmud qui compare l’exégète de la Torah à un forgeron dans sa forge. Il donne de puissants coups de marteau au point que des étincelles jaillissent de la barre de fer… Rabbi Aqiba (IIe siècle de notre ère) recommande d’en faire de même avec les versets de la Torah : une infinie polysémie, une innombrable quantité d’étincelles de sens, de significations surgissent alors comme des étincelles dans la forge….

Pour une société philosophique qui se veut constituée de bâtisseurs, la règle, en tant qu’instrument, joue un rôle fondamental. Elle est ce qui permet de vérifier si l’édifice érigé correspond bien au modèle et s’il respecte bien les normes prescrites. Au plan philosophie et éthique, la règle est symbole de rectitude et de droiture. Et tout cela a un rapport, certes ténu mais réel, avec la kabbale lourianique, ainsi nommée du nom de son fondateur Isaac Louria, au XVIe siècle, et qu’il faut distinguer de la vieille kabbale espagnole dont le livre Zohar est l’œuvre la plus achevée.

On lit qu’il existe deux règles, l’une lisse et l’autre graduée en 24 pouces. Ce nombre renvoie à une subdivision de notre journée en quatre parties distinctes : six heures pour sa journée de travail, six heures pour se reposer, six heures pour sa famille et enfin six heures pour le travail que l’on entreprend sur soi-même. Le Talmud de Babylone, repris et modifié par Moïse Maimonide, subdivise la journée en trois parties : huit heures pour l’étude de la Bible, huit heures pour l’étude du talmud et enfin huit heures pour celle de la philosophie…

L’excursus sur la kabbale lourianique que je lis ici est intéressant : En-sof, le sans fin est incognoscible et domine les sefirot dont il est la source tout en étant radicalement coupé. Car les sefirot sont l’émanation d’un univers divin qui ne l’est déjà plus. Les trois premières Kéter, Hockhma et Bina sont inatteignables, seules le sont les sept suivantes, appelées sefirot de l’édifice, celui de la création évidemment. Car on est passé du monde virtuel n’existant que dans l’intellect divin à celui de la sagesse primordiale et ensuite au monde des quatre éléments, celui du discernement, là où les choses peuvent être appréhendées distinctement. L’Adam kadmon, l’homme primordial est la représentation imagée de cette nomenclature séfirotique…

Comme le travail sur soi est au fond la pierre angulaire de la franc-Maçonnerie et donc de ce livre, la référence à la fameuse maxime delphique (Connais toi toi-même) ne pouvait pas en être absente. Ce qui est aussi intéressant, c’est que même les religions révélées, en l’occurrence l’islam philosophique, ont récupéré cette idée, la transformant légèrement afin de l’adapter à leur propre milieu religieux : O homme ! Connais ton âme et tu connaîtras ton Dieu. Toujours cette référence à la dualité de la constitution humaine en corps et en esprit…

Je m’arrête un instant sur le symbole de la truelle, outil par excellence du bâtisseur ; l’interprétation allégorique ou symbolique éclate dans la belle expression «passer la truelle», ce qui signifie réconcilier les frères, apaiser les passions, surmonter les différences, à l’instar de la truelle qui lisse, égalise et scelle le mortier à d’autres pierres d’un même édifice. On comprend que cet outil joue un rôle majeur dans les loges. C’est une sorte de principe architectonique qui git au fondement de tout…

Toutes ces notices que je n’ai pu que survoler, aident à dégager une sorte de philosophie de la Franc-Maçonnerie : une forme d’humanisme sur fond de tolérance et de solidarité avec les êtres, d’où qu’ils viennent, quelle que soit leur origine ou leur foi… Le fait même de porter le nom qu’elle porte, incite cette société philosophique à construire et parfois même à reconstruire pour neutraliser des dégâts subis, suite à des troubles, des guerres ou des dysfonctionnements de tout ordre. Un détail historique concernant cet altruisme, cette ouverture à l’Autre, dans un esprit universaliste : c’est une loge maçonnique de Francfort-sur-le-Main qui, dès le milieu du XVIIIe siècle, a accepté que des juifs, véritables parias de l’Europe chrétienne de l’époque, puissent se constituer en une loge portant le nom de OR ZARAH : l’aube qui se lève ou la lumière qui brille…

On en revient toujours à la métaphore lumineuse car la lumière, même intellectuelle, est toujours préférable aux ténèbres de l’ignorance.

Cette collection Architectes de la sagesse est dirigée par Monsieur Jean-Noël Cuenod

 

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