Jean-christian Petitfils, Histoire de la France. Le vrai roman national. Fayard
Sans atteindre la haute fréquence qu’a connue le XIXe siècle en matière de publication sur l’histoire de la France, on peut dire que cette question, couplée avec celle de l’identité nationale suscite toujours de l’intérêt, en raison, notamment, des questions que le pays et ses habitants se posent sur leur devenir. Et l’intégration européenne n’est pas seulement une chance ou un succès, mais aussi un défi, surtout si l’on y ajoute la question des réfugiés. En effet, l’histoire de la France présuppose que persiste dans l’existence une nation française…
Jean-christian Petitfils, Histoire de la France. Le vrai roman national. Fayard
L’auteur de cette nouvelle Histoire du pays de Jeanne d’Arc et d’Henri IV, est un écrivain connu, réputé pour ses belles biographies des rois de France, et précédé aussi, il faut bien le dire, d’une certaine réputation qui, en dépit de son indéniable ouverture d’esprit, ne le place vraiment à la gauche de l’échiquier politique. Je précise que personnellement je ne saurais le lui reprocher puisqu’il annonce clairement la couleur, notamment sur les racines chrétiennes de notre continent, mais moi j’aurais préféré une vision plus large, en parfaite conformité avec la précédente, en d’autres termes, j’aurai souligné les racines judéo-chrétiennes car la structuration du christianisme est fournie par le judaïsme : sans synagogue, pas d’église.. Après tout, même un grand Français comme le philosophe d’origine lituanienne Emmanuel Levinas disait ceci : l’Europe, c’est la Bible et les Grecs. Quant à la France, son pays d’adoption, il nous rapporte que dans les miséreuses communautés juives l’Europe orientale on pensait que la France est le pays où les prophéties se réalisent. Allusion à l’héritage de la Révolution et à l’universalisme des révolutionnaires… Proclamation des grands principes, universalité de la loi morale, admission de tout ce qui porte sur visage les traits de l’humain. Ce qui rappelle beaucoup le discours de grands prophètes hébreux.
Cette histoire de la France est donc bien écrite, très équilibrée et permet à son auteur de développer ce qu’il considère comme l’authentique roman national de l’Hexagone. En guise d’entrée en matière, l’auteur élabore quelques principes fondamentaux qui gisent au fondement même de cette France dont il va s’ingénier à scruter les replis les plus intimes. J’ai retenu à la fin de ces préliminaires l’expression suivante définissant les relations dialectiques de ce gigantesque réel en devenir qu’est l’Histoire : les tensions maîtrisées… J’eusse préféré qu’elles fussent apaisées, mais cela aurait été contredit par les faits. Notamment en cette période où le pays tout entier est bloqué par la reforme du système des retraites… Donc, pas question d’apaisement. Feu le président Georges Pompidou avait déjà souligné l’espsir rebelle de ses concitoyens et prédit qu’un jou ce serait un homme casqué et botté qui trancherait le nœud gordien…
Lorsque nous étions jeunes étudiants en Sorbonne, nos maîtres nous mettaient justement en garde contre une confusion entre l’actualité et l’histoire, le temps court et le temps long, mais aussi le danger qu’il y avait à privilégier la mémoire par rapport à l’objectivité historique. L’auteur de cet ouvrage ne tombe dans aucun de ces travers et adopte une attitude équilibrée entre les extrêmes, sans renoncer à ses propres convictions.
L’historiographie est un art difficile, écrire l’histoire, c’est déjà l’orienter dans une certaine direction. Hérodote, considéré comme le père fondateur de la discipline, n’a rien à voir avec son successeur latin Tacite dont les témoignages ne correspondent pas vraiment à ce qu’on entend par histoire de nos jours. Au fil des siècles, certains penseurs ou écrivains, ont posé des conditions à toute prétention historienne. Novalis, par exemple, auteur du roman de formation (Bildungsroman) Heinrich von Ofterdingen, pensait que les historiographes doivent être des craignant Dieu… De nos jours, de telles personnes se verraient contester définitivement le titre d’historien.
Pour bien illustrer ce que je veux dire, je ferai un petit détour par la Bible et sa fiabilité, sa valeur (ou sa non-valeur) en matière d’objectivité factuelle. Or, nous savons qu’il n’en est rien, la Bible n’est pas un livre d’histoire car elle procède à une lecture théologique de cette même histoire. Or, la foi ne doit imprégner que les chroniques religieuses qui ignorent, pour la plupart, les causes intermédiaires, pour ne retenir que les causes lointaines, en l’occurrence Dieu. Et dans l’histoire de France où la royauté a occupé tant de siècles, les monarques se sont considérés comme des monarques de roi divin : s’en prendre à eux revenait à commettre un sacrilège… D’où les couronnements à la cathédrale de Reims ou à la basilique de Saint-Denis…
Monsieur Petitfils tient à préserver l’héritage (judéo)-chrétien, ses racines en propre, et il a bien raison de le faire. On ne saurait amputer une histoire nationale de l’un de ses constituants-clés au motif que l’air du temps (Zeitgeist) s’y oppose. De même, l’auteur souligne bien que la France est une entité politique et historique qui a une identité. Ce n’est pas un espace géographique ouvert qui se balade au gré du vent. Il vient de quelque part et va quelque part. Mais tout en tenant fortement à sa quête identitaire, il admet que les nouveaux-venus ne renoncent point à leurs racines, dans la mesure où celles-ci ne sont pas un frein à leur assimilation dans leur nouvelle patrie. Cette précision n’est pas superflue puisqu’on est confronté depuis peu à un communautarisme agressif qui a parfois, mais pas toujours, fait le lit du terrorisme On s’est trouvé face à des gens qui habitent un pays autre que celui de leur naissance mais qui n’y vivent pas. En d’autres termes, ils ne s’identifient pas à son histoire nationale, ne vibrent pas à l’évocation de son passé et ne font que profiter des avantages de la politique sociale. Et là on salue l’initiative de l’auteur qui cite un beau témoignage de Marc Bloch, lui-même juif d’origine alsacienne, mais ne cache pas son émotion en chantant le chant des Fédérés…
En un peu plus de mille pages, réparties en cinquante chapitres de taille sensiblement équivalente, l’auteur réussit un véritable tour de force. Il commence avec le début du IXe siècle et s’achève avec la présidence d’Emmanuel Macron. Les jugements ne sont pas trop tranchés, même si les différents dangers que doit éviter le pays sont clairement identifiés, parmi lesquels je relève le multiculturalisme. Mais il en existe un autre que l’auteur désigne de manière implicite, c’est la haine de soi, chère au penseur judéo-allemand Théodore Lessing (ob. 1933 à Marien Bad). Certes, l’auteur qui aime son pays, et c’est très bien ainsi, dresse la liste de ses points positifs, mais tout observateur impartial conviendra qu’il manque l’étincelle permettant au moteur français de repartir, de se remettre en marche ; pour le moment, on a un véritable archipel dirigé par des hommes sans envergure ni projet évident. Le gaullisme, en dépit de tous ses aspects surannés, avait imposé sa propre légende nationale aux habitants, il avait donné l’illusion que la France était toujours une grande puissance alors qu’elle se reposait sur ses lauriers.
Henry Kissinger, le flamboyant Secrétaire d’Etat Us avait trouvé la formule assassine pour définir le pays : la France, dit-il, est une grande puissance de taille moyenne… Tout est dit ! Déjà, certains de ses alliés parlent de la priver de son siège permanant au Conseil de sécurité de l’ONU. Et au plan économique, elle ne dispose plus de leviers assez forts pour voler de ses propres ailes. Il suffit de penser à la situation de la monnaie européenne, l’Euro, pour le constater. Il faut que ce pays retrouve son enthousiasme, son esprit de conquête, sa confiance en soi.
Pour finir, je ferai une simple remarque : jadis, on disait de tel ou tel homme politique qu’il était un ancien ministre du général de Gaulle. Aujourd’hui, qui oserait dire ancien ministre de Chirac, de Sarkozy, de Hollande ou de Macron ?
C’est peut-être cela le vrai drame, à défaut d’une vraie légende nationale.