Algérie, le grain de sable qui peut tout compromettre…
On est bien peu de chose, m’a dit mon amie la rose.
Il y a une petite chanson que j’ai entendue un matin très tôt sur RFI, On est bien peu de chose m’a dit mon amie la rose… La version orientalisée de Natacha Atlas se termine par une belle mélopée arabe qui m’a rappelé des souvenirs de ma très tendre enfance…
Quelques semaines plus tard, ce fut la surprise la plus totale lorsque cette même radio annonçait la disparition brutale du régent de l’Algérie, le général Ahmed Qaide Salah, inamovible chef d’état-major de l’armée algérienne, l’homme qui a géré à sa façon l’intérim et qui, une fois son devoir accompli, est soudainement passé à l’éternité.
Algérie, le grain de sable qui peut tout compromettre…
On est bien peu de chose, m’a dit mon amie la rose.
La chanson avait donc raison : on est bien peu de chose puisque les hommes les plus puissants sur cette terre, notamment ceux qui disposent de la force armée, disparaissent du jour au lendemain, sans prévenir. Je ne sache pas que ce presque octogénaire, à peine moins âgé que le président Bouteflika qu’il a chassé du pouvoir, ait eu des antécédents cardiaques. Et je dois même avouer qu’avant de faire un éditorial sur la situation en Algérie depuis des moins, je n’avais jamais envisagé cette issue fatale.
Oui, la chanson, très triste et peu animée d’espoir puisqu’on parle de la lune qui veille la rose qui n’a duré qu’un jour , a raison… son âme enfin libérée de sa prison corporelle s’en va rejoindre le monde d’en-haut. Un exemple à méditer. On dit en français mais aussi en allemand : un tel ou tel autre a été surpris par la mort (er wurde vom Tode ereilt). Quelle tristesse, mais effectivement la mort ne prévient pas… Qui pouvait bien savoir que cette éventualité était bien là, à part son cardiologue, son médecin personnel ? Car à un tel poste et à un tel âge, il est évident que cet officier supérieur, vice ministre de la défense de son pays, devait être suivi médicalement…
Ecartons d’emblée la thèse complotiste qui imaginerait je ne sais quelle conspiration ourdie par des proches de ceux qu’il fit condamner à de lourdes peines de prison, parmi lesquels non seulement de très puissants hommes d’affaires mais aussi d’anciens généraux, considérés comme intouchables en raison, justement de leur grande influence. Je pense, en ce qui me concerne, que l’homme a trop présumé de ses forces surtout à son âge et qu’il s’est usé à diriger tout un pays au cours d’une crise institutionnelle sans précédent. Cela a dû lui coûter beaucoup d’énergie, et pour finir, cela lui a coûté la vie. Le rythme et la pression étaient trop forts dans la direction d’un pays dont la jeunesse, majoritaire, est réputée turbulente et défilait semaine après semaine dans les rues de la capitale.
Reconnaissons que ce général a fait preuve de retenue, même s’il a fait arrêter des centaines de manifestants, sana jamais avoir donné l’ordre d’ouvrir le feu. Il est vrai que, de leur côté, les manifestants, que je sache, n’ont pas commis de dégradations.
Mais au risque de me répéter, je dois dire que c’est tout autre chose qui m’intéresse : la fragilité de l’être humain, la triste éventualité pour lui de disparaître sans crier gare, et en ce jour fatidique tous ses projets sont réduits à néant. Je reviens là-dessus : on est bien peu de chose. Et je suis presque certain que ses adversaires, et il en avait quelques uns, n’avaient jamais imaginé un tel dénouement. Y compris ceux qui se morfondent dans leurs cellules où il les a enfermés. Certains y verront une main providentielle, d’autres un simple hasard qui doit, un jour ou l’autre, espérons le le plus tardivement, nous toucher tous, sans exception aucune.
Il y a au moins deux écoles dans le rapport à la mort, grosso modo ; il y en a bien plus mais résumons les innombrables cas sous deux rubriques opposées : ceux qui croient, les théologiens, que la durée de vie est décrétée par Dieu (et Maimonide était de ceux là puisqu’il rédigea un opuscule sur la durée d’une vie humaine), et les philosophes qui pensent tout simplement que la mort est inhérente à vie, comme le sont l’échec, la maladie, la malheur, etc…
Mais dans cette mort du général il y a plus d’un enseignement à tirer car cette mort imprévisible va changer la donne de tout un pays. Voici comment : certes, le nouveau président élu doit son fauteuil non seulement à un homme mais aussi à toute l’institution militaire, laquelle tient toujours fermement les rênes du pouvoir. Mais les sensibilités sont différentes, les approches, les analyses de la situation présente ne sont pas identiques. Il n y aura pas de remise en cause généralisée mais certains accommodements sont envisageables : d’abord, la libération de manifestants emprisonnés et puis aussi des mesures de clémence au bénéfice des puissants d’hier, notamment les hommes d’affaires et les anciens généraux de la sécurité militaire.
La mort a peut être ruiné les plans de quelques uns car l’avenir n’appartient pas aux hommes mais à Dieu ou bin aux esprits, ce qui revient au même. Donc, le nouveau président algérien n’est plus l’obligé d’un homme, aujourd’hui disparu, mais de toute une institution militaire qui, quoiqu’on en dise, veille au grain, si l’on veut bien me permettre cette expression figurée.
L’Algérie est un pays important. Sa stabilité est nécessaire, notamment pour la France . si le désordre venait à s’y installer, tôt ou tard on en ressentait le contre coup de ce côté ci de la Méditerranée. Les autorités françaises suivent la situation de très près, surtout en raison de la montée puissance du terrorisme en Afrique subsaharienne. Les généraux algériens ont toujours refusé de s’encager aux côtés de l’Europe dans cette chasse aux bandes armées qui évoluent pourtant pas très loin de leur territoire. Or, l’apport de l’armée algérienne serait très apprécié dans la situation actuelle.
Mais c’est la chanson qui a raison : On est bien peu de chose, m’a dit mon amie la rose…