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tefan Zweig, Pas de défaite pour l’esprit libre : Ecrits politiques (1911-1942)

 

 

Stefan Zweig, Pas de défaite pour l’esprit libre : Ecrits politiques (1911-1942)

A voir les livres et les œuvres de cet auteur judéo-autrichien qui paraissent ou réapparaissent à intervalles réguliers, on serait tenté de croire que le stock est inépuisable. Aujourd’hui, ce sont des écrits épars, d’assez petite taille qui sont mis sur le marché, pour notre plus grande joie. Il s’agit ici d’écrits politiques, c’est-à-dire de contributions destinées à éclairer des problématiques du temps présent et qui touchaient les contemporains au plus profond d’eux-mêmes. Surtout quand on pense que peu après 1911, éclatait la Grande Guerre qui allait durer quatre longes années, laissant derrière elle une Europe en ruine et exsangue : plusieurs dizaines de millions de morts et un nouvel ordre géopolitique qui portait en germe une nouvelle épreuve, bien plus dévastatrice que la précédente, ls seconde Guerre mondiale. On omet parfois de le rappeler, mais c’est bien cette déflagration mondiale qui a détrôné les anciennes puissances européennes (La Grande Bretagne et la France) et les remplaça par les USA… L’Europe ne s’est jamais remise de cette saignée à blanc.

Les tout premières contributions qui ouvrent ce nouveau volume portent sur des sujets assez banals Il est question de plaider en faveur des quinquagénaires, de demander à l’Etat d’aider les gens de lettres qui ne peuvent pas vivre de leur plume tant qu’ils n’ont pas encore obtenu la consécration de leurs nombreux lecteurs, etc…

 

 

Stefan Zweig, Pas de défaite pour l’esprit libre : Ecrits politiques (1911-1942)

Mais comme l’époque, nourrie par la concurrence anglo-allemande, s’achemine vers une confrontation armée, Zweig commence à céder à un penchant antibritannique de plus en plus fort. Notamment pour ce qui touche au canal de Suez et aux agissements de la flotte britannique qui en prend le contrôle progressivement, par la ruse et la corruption. On l’oublie aujourd’hui, mais à l’époque précédant la Grande Guerre, les budgets miliaires alloués à la marine britannique ou à la marine allemande par les parlements nationaux étaient surveillés par ces deux puissances rivales comme le lait sur le feu.

Certains accents pro-germaniques et pro-autrichiens peuvent heurter nos oreilles et notre sensibilité aujourd’hui ; il faut donc se replacer dans le contexte haineux de la Grande Guerre. Les journaux de l’Entente, notamment belges et français reprochaient aux armées allemande de commettre des atrocités sur des civils (couper le sein des femmes, couper la main droite des hommes, etc…). Etant lui-même enrôlé dans l’armée autrichienne en tant que sous officier chargé des archives et de la propagande, Zweig défend sa patrie qui est en guerre et rejette toutes ces accusations de barbarie. Il va même jusqu’à ériger le peuple allemand en modèle et l’esprit allemand en parangon de l’universalisme : l’esprit allemand, dit il comme Goethe, ne s’est pas limité à lui-même mais a voulu appréhender l’infini… Mais avec les années et notamment avec l’accession de Hitler au pouvoir, le ton va changer du tout au tout… Il partagera le calvaire de ses frères juifs d’Allemagne mais aussi d’Autriche, son pays de naissance…

Mais dans cet intervalle, et notamment au beau milieu de l’affrontement entre les puissances, l’auteur développe un vibrant plaidoyer en faveur des germano-américains, pris entre deux feux : l’amour pour leur patrie de naissance et la lo-yauté envers leur nouvelle patrie, les USA ; or, les USA penchent de plus en plus en faveur d’une aide et d’un soutien au camp de l’Entente. Zweig énumère tous les avantages de cette immigration germanique qui est très enrichissante pour le pays des Pilgrim father (Père Pèlerins). On découvre en Zweig un admirateur sans borne de l’esprit et de la culture germaniques, ce qui n’a rien d’étonnant puisque nul ne pouvait connaître ce que nous réservait l’avenir immédiat…. Et, au fond, tout cela était naturel et normal. Quant ) nous, lecteurs, on observe soi-même une petite réserve car nous connaissons la fin de l’histoire alors que l’écrivain Zweig ne la connaissait pas…

Ceux qui nous lisent dans ces colonnes se souviennent des volumes de la correspondance entre Stefan Zweig et Romain Rolland. Souvent, les mêmes thèmes sont traités ou évoqués, ici et là-bas. Il y a donc parfois des répétitions. Mais ces écrits dits politiques infligent un démenti absolu à ces critiques littéraires qui accusaient Zweig d‘esthétisme pur et d’un désintérêt total pour la vie concrète des gens, autour de lui : il n’aurait eu d’yeux que pour son art, la littérature et la poésie. Les textes réunis dans le présent volume attestent le contraire.

On ne doit pas oublier que l’auteur a envoyé plusieurs articles à la Neue Freie Presse de Vienne, où Théodore Herzl l’avait si aimablement recommandé et accueilli.. Il y vante alors, à deux reprises et longuement, l’hospitalité et la neutralité suisses. Il parle même de la Suisse comme de l’asile de la conscience européenne, en allusion à ce lieu de rencontre des ennemis européens, cherchant un terrain neutre afin d’y mener des négociations discrètes. Mais il y a bien plus : la Suisse, dit-il, accueille tous les réprouvés de la terre sans autre forme de procès. Cette attitude changea au cours de la dernière année de la guerre, les contrôles se firent plus rigoureux et les lois d’accueil plus strictes. Sans toutefois qu’on puisse parler d’une vague de xénophobie. Une kyrielle d’écrivains allemands (Hermann Hesse, etc…) y avaient trouvé refuge, notamment en Suisse alémanique, sans oublier Romain Rolland ( Au-dessus de la mêlée, Jean-Christophe) en personne qui résidait dans le quartier de Champelle, à Genève.

Dans le second texte, le ton change du tout au tout car la situation n’est plus la même : les grands hôtels sont déserts, les rues vides de passants, les villes semblent assoupies ; on ne voit que des internés, c’est-à-dire des réfugiés en transit, d’anciens prisonniers. D’un article à l’autre, l’écrivain ne voit plus la situation du même œil…

La paix, ce vocable infini, c’est en ces termes magiques que Zweig salue l’arrêt des hostilités et le début des pourparlers de paix. Dans un texte d’une très grande beauté où le lyrisme devient la voix d’un homme épris de paix et de vie, Zweig dépeint tout ce qui l’entoure dans sa résidence suisse sous les couleurs de l’arrêt des violences. C’est comme si la nature elle-même participait à ce renouveau. Je renvoie aux lignes qui célèbrent la beauté et le goût du vin dont la couleur rouge n’évoque plus le sang mais la joie de vivre, le bonheur et la paix enfin revenue. Cet article est un véritable hymne à la paix.

Mais cette paix tarde à venir, à entrer dans les secteurs de la vie quotidienne d’hommes et de femmes qui ont perdu tant de proches. Zweig dont le renom grandit sans cesse et qui prend cette sinistre situation à cœur, parle de reconstituer l’Internationale de l’esprit, une sorte de panacée éthique, spirituelle, pour panser des plaies sanglantes. En effet, on voit dans sa correspondance que lui-même et son maître et ami Romain Rolland n’ont jamais cessé de manifester leur foi inébranlable en l’esprit, une valeur qui a perduré en dépit de ces longues années de guerre, au cours desquelles on appelait l’ennemi des frères qu’il fallait tuer pour sortir victorieux de cette tuerie (sic).

Bien que non-allemand mais simplement autrichien, Zweig n’hésite pas à pourfendre publiquement le comportement du président de la République de Weimar, Philipp Scheidemann qu’il accuse d’être le responsable du prolongement de cette terrible guerre. Il cloue au pilori la décision de cet homme politique de suspendre les travaux de l’Assemblée constituante jusqu’en mars alors qu’on est en janvier… Pourquoi, interroge t il, ont ils tant besoin de vacances alors que les choses ne peuvent plus attendre ?

Dans un bel article intitulé Les limites de la défaite, Zweig se fait à la fois moraliste et philosophe. L’admiration qu’on lui voue, y compris en France et dans le monde entier, nous fait oublier qu’il appartient au camp des agresseurs et des vaincus, en sa qualité de sujet de la monarchie austro-hongroise. Voici une belle citation de ce texte :

Car l’homme véritable ne vit pas l’Histoire ; il vit sa propre existence, il a en lui-même son lot, inné, de joie de vivre, sur quoi même le destin n’a pas de prise , parce que l’individu l’emporte sur son destin, en l’aimant par son amor fati. Les éléments éternels ne savent rien de la valeur de l’argent. La paix intérieure n’entend pas les lamentations nostalgiques des faibles ; là où l’homme n’appartient plus à l’Etat, mais à soi-même, là passe la limite de la défaite, fût-elle la plus terrible (p 161)

Citons cet article passionné de Zweig qui se rangeait avec détermination dans le camp des abolitionnistes et qui exprime son indignation en apprenant que près de quarante hommes se sont portés candidats pour un poste de… bourreau ! Il n’admet pas que des bourreaux puissent devenir des fonctionnaires d’Etat. Comment peut-on vouloir devenir bourreau au point d’acquérir une certaine honorabilité dans sa petite ville et percevoir une rente à vie, au terme de bons et loyaux services ?

On trouve aussi dans ce recueil des discours prononcés dans le cadre des congrès. Il s’agit ici de ranimer l’esprit de l’Europe, de susciter un esprit européen, donc des valeurs de notre continent et de s’en prendre à l’ennemi sempiternel d’un tel projet, le nationalisme. Découragé, Zweig relève que le combat ne se fait pas à armes égales : le nationalisme dispose de structures étatiques existantes sur lesquelles il peut s’appuyer et compter. Il n’en va pas de même de l’esprit de solidarité européen qui ne dispose pas de masse média. Il s’interroge : qui, parmi la classe ouvrières, connaît l’existence de la Société des Nations ? Le fait que l’Europe n’ait pas de capitale joue gravement en sa défaveur . Zweig fait la proposition suivante : que tous ses multiples congrès qui se tiennent tout au long de l’année, jettent leur dévolu sur une seule ville, par exemple Genève, et que pendant toute l’année en question la ville choisie serve de capitale. Et l’année suivante, on en choisira une autre…

On trouve dans ce volume, vers la fin, une proposition de Zweig de rédiger collectivement un manifeste en guise de défense du peuple juif que les lois raciales des Nazis tentent de rabaisser et de déshonorer. Ce texte est unique en son genre et démontre, contre l’opinio communis que Zweig s’identifie à son peuple dans le malheur, qu’il ne se dérobe pas à son devoir de le défendre et à porter haut et fort sa lutte. Zweig n’avait pas publié ce texte car il s’agissait d’une prise de contact avec les dirigeants communautaires, en vue d’une action commune au plan national et même international. Nous y reviendrons dans un éditorial à part… Il existe un second texte allant dans le même sens et qui est une prise de parole dans la demeure d’un membre d’Edmond de Rothschild, le 30 novembre 1933 à Londres.

Dans ce dernier texte sur lequel nous reviendrons dans un prochain article, Zweig dépeint les ravages que ce sentiment d’infériorité, imposé par l’idéologie raciste des Nazis déchire le tissu de l’âme (S. Freud) et instille dans ces enfants des sentiments haineux qui leur sont, normalement absolument étrangers. Il est visiblement très ému lors de son discours chez Edmond de Rothschild et donne des exemples concrets des drames vécus par des enfants qui ne comprennent pas ce qui se passe ni l’hostilité générale qui s’abat si soudainement sur eux. Zweig mentionne même le cas d’un écolier juif qui ne comprend pas que ses parents ne lui achètent pas, à lui aussi, comme tous ses camarades, l’uniforme que le système scolaire nazi avait imposé aux écoles du IIIème Reich : l’enfant ne pouvait pas comprendre que son étant-juif dressait une barrière infranchissable entre lui et les autres, tous les autres…

En conclusion, la fibre juive de Stefan Zweig a toujours existé. Certes, il n’a pas repris dans ses œuvres complètes une nouvelle (Im Schnee, Sous la neige) où il dépeignait la mort dans le froid glacial de toute une communauté juive fuyant l’arrivée chez eux d’un horrible pogrome… Mais les quelques textes ayant trait aux juifs et au judaïsme nous présentent un écrivain qui œuvre pour un peuple auquel il s’identifia jusqu’à son suicide ce terrible 22 février 1942, au Brésil où il s’était réfugié pour ne pas assister à l’engloutissement d’une monde, le monde d’hier.

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