Alya aglan, La France à l’envers. La guerre de Vichy (1940-1945)
Au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture de cet ouvrage passionnant, on se demande comment, en plus de l’étrange défaite, un peuple aussi évolué que le peuple français a pu confier son destin à un octogénaire que plusieurs esprits lucides et même très courageux, ont tourné en dérision en ces termes : un vieillard qui faisait une sieste d’une heure tous les quarts d’heure… Mais face à cette expression de dérive et de désarroi, un homme, un simple général nommé à titre provisoire a pu, sauvant ainsi la face à son pays, s’écrier en toute sincérité et en toute franchise : … moi, général de Gaulle, ai conscience de parler au nom de la France. En effet, c’est l’(homme du dix-huit juin qui a sauvé le pays, sa réputation et son avenir. Pourtant, le chemin de la renaissance et de la dignité retrouvée était semé d’embûches.
Alya aglan, La France à l’envers. La guerre de Vichy (1940-1945)
Ce livre est très bien documenté, rédigé dans un style élégant et sobre, sans fioritures, abordant les sujets les plus inattendus comme les réactions de simples citoyens face à l’occupant nazi qui profanait ce que le pays de Jeanne d’Arc, de Voltaire, de Victor Hugo et de Léon Blum avait de plus sacré : l’honneur d’être français, d’être une grande nation, celle de la proclamation des droits de l’homme et du citoyen. Et voici qu’il se trouva un ancien sauveur de la nation, le vainqueur de Verdun qui crut pouvoir traiter dans l’honneur, en soldat avec d’autres soldates (l’ennemi), pour finir par abandonner toute souveraineté aux mains de l’occupant.
Je laisse à d’authentiques spécialistes dont je ne suis pas le soin d’approfondir la discussion sur la nécessité ou non de signer un armistice avec l’ennemi alors que l’essentiel des forces armées françaises était encore en état de poursuivre le combat. Mais, pour commencer, est-ce qu’un octogénaire qui avait eu son heure de gloire des décennies auparavant, avait-il l’énergie nécessaire pour être encore porteur d’un projet et animé d’une vision de l’avenir ? L’histoire a apporté la réponse : c’est l’homme du 18 juin, l’homme isolé, exilé dans l’île voisine, qui l’a emporté et c’est bien lui qui a pu parler au nom du pays légitime, contre des autorités qui se présentaient comme la voix légale de la France. Les juristes de la France libre, dont René Cassin, ont bien exposé cette dichotomie entre le légitime et le légal. De Gaulle a été condamné par les tribunaux de son pays, mais ce furent des magistrats, sortis du cadre républicain, qui ont prononcé cette condamnation. Partant, elle ne vaut pas grand’ chose. Et le général l’a traitée avec dédain.
Pétain et ses affidés ont récusé l’héritage de la Révolution, jetant par dessus bord la fameuse devise Liberté, Egalite, Fraternité. Des valeurs qui ont assuré et incarné à elles seules toute l’histoire glorieuse de ce pays. Cette trilogie fut remplacée par une pâle formule : Travail, Famille, Patrie . Les partisans de la résistance et de l’indépendance de la France ont lu cette formule autrement : Tracas, famine, patrouille… Mais les gaullistes, les partisans de la France libre ne furent pas très nombreux. Une poignée de fidèles entouraient alors le général à Londres. Et ce fut grâce à sa persévérance et à son courage que l’allié britannique qui ménageait un peu, au début, le régime de Pétain, finit par miser totalement sue l’homme du 18 juin.
Ce livre, qui en impose tant par le nombre de pages que par la richesse de sa documentation, donne un éclairage fort intéressant sur l’avenir de l’empire français après juin 40,, tant en Afrique du Nord qu’en Asie ou en Cochinchine. A qui donc les gouverneurs de ces colonies françaises devaient ils aire allégeance ? Certains, gaullistes de la première heure, n’hésitèrent pas un seul instant, jugeant que la signature d’un armistice était un déshonneur et que la défaite de juin 40 n’était pas définitive, que la France pouvait espérer des jours meilleurs. Elle a perdu une bataille, mais pas la guerre. De Gaulle le rappelle dans ses Mémoires de guerre lorsqu’il fait l’inventaire des ressources humaines de l’empire, des réserves d’or mises à l’abri afin de les soustraire à l’appétit de l’ennemi ; en gros, la France avait encore de grandes réserves et elle avait l’espoir de l’emporter avec le temps, pour peu que son peuple en décidât ainsi. C’est cette impulsion décisive sui faisait défaut au camp de ceux qui n’espéraient qu’une chose : l’arrêt des hostilités et la reprise d’une vie normale, même sous la botte de l’occupant nazi.
Il est très instructif de voir comment Winston Churchill a tenté de contrôler les actions de De Gaulle ; l’auteur dresse une comparaison entre le nombre d’heures consacrées à la situation en France par la BBC : au début de la guerre environ deux heures et vers la fin de celle-ci, plus du double…
Un mot au sujet du titre : la France à l’envers qui peut paraître déroutant à première vue. Vichy a voulu imposer un ordre nouveau en France et, plus grave encore, dans l’Europe entière. Je ne sais pas si les partisans de la collaboration avec l’Occupant se doutaient du rôle peu enviable que les Nazis entendaient faire jouer à la France dans un continent totalement soumis à leur volonté. Selon certains, il s’agissait de dépecer le pays, d’intégrer au Reich de larges territoires annexés de force et modifier durablement la carte, le tout pour écarter à jamais la moindre menace française. Les mêmes stratèges escomptaient un effondrement de la Grande Bretagne à plus ou moins brève échéance… Une France ramenée à sa plus simple expression, une Grande Bretagne disciplinée par le fer et le feu, et l’aube de la domination allemande se lèvera sur le monde tout entier.
A l’envers a pour corollaire à l’endroit. Ce qui signifie dans ce cas précis, que le pays changeait absolument d’orientation : la France, sous Vichy, s’est repliée sur elle-même, a émis des distinctions entre ses fils (Charles Maurras : pas de métèques, pas de communistes, pas de juifs…) et instauré une terrible législation anti-juive à l’image de ce qui existait dans le Reich hitlérien depuis les lois raciales de Nuremberg… Bref, si l’on en croit les manchettes des journaux internationaux de cette époque, la France de Pétain n’était plus la France qu’on avait connue jusqu’ici. Pire encore : son effondrement militaire si soudain et si inattendu, frappa de sidération tous les observateurs
L’idéologie pétainiste a procédé à un étroit maillage du pays, créant une suite ininterrompue de groupements, d’associations, de jours fériés, de camps de jeunesse, de prestations de serment de fidélité à la personne du maréchal et bien entendu de nombreux services de sécurité pour encadrer, voire espionner la population. Pourtant, petit à petit des noyaux de résistance commencèrent à se former, les premiers attentats contre des soldats et des officiers allemands eurent lieu (et à Nice aussi contre des officiers italiens) ; les premiers sabotages entraînèrent des réactions de la part des autorités punissant de lourdes peines de prison ceux qui s’en prenaient aux forces d’occupation. Et en représailles, les Nazis ne manquèrent pas de fusiller des otages.
Il est aussi un aspect, un peu plus humain qui a retenu mon attention, il s’agit de ces femmes françaises (je ne les juge pas) qui eurent des relations intimes avec des soldats de l’armée d’occupation, tant de la SS que de la Wehrmacht. L’auteure avance le chiffre de cent mille enfants nés de ces amours interdites. Alya Aglan nous indique aussi le nombre de maisons closes existantes et de prostituées qui y exerçaient leur coupable industrie, pour reprendre une expression toute faite, Ces établissements qui ont inspiré bien des cinéastes étaient réservés aux soldats et aux civils allemands. Interrogées sur cette question, certaines de ces femmes répondirent qu’elles ne pouvaient pas subsister autrement. Les guerres avec leurs interminables cortèges d’horreurs sont aussi, hélas, des formes de communication avec des hommes d’autres origines.
Philosophiquement, cela pose le problème de la culpabilité collective : les horreurs commises par les hordes nazies engagent-elles le peuple allemand dans son ensemble ? Non, évidemment, mais que dire de celles et de ceux qui laissèrent faire alors que la Shoah se déroulait à quelques encablures de chez eux… Là, la philosophie morale s’écarte de la philosophie politique. Mais le jour où il faut rendre des comptes, la première reprend le pas sur la seconde : les crimes contre l’humanité, les criminels de guerre ne peuvent plus s’abriter derrière la prescription…
Le régime de Vichy s’est fait connaître par l’abdication de son autorité au profit des Nazis qui condamnaient à mort et exécutaient qui ils voulaient. Le chapitre qui traite de ces mises à mort est particulièrement émouvant. On y décrit comment les résistants étaient exécutés sur le Mont Valérien ou guillotinés dans les prisons de Paris et ou de province . Les pelotons d’exécution étaient composés de soldats de la SS qui étaient parfois à pied d’œuvre de 7 heures du matin à 11 heures… Les exécutions se faisaient par groupes de cinq, attachés les mains derrière le dos au poteau ; même les SS étaient atteints par des sentiments d’écœurement et on devait parfois les soutenir à l’aide de boissons fortes ( schnaps, cognac, etc…), Au terme de cette sordide besogne, un médecin de l’armée allemande vérifiait que les suppliciés avaient bien rendu l’âme. Certains avaient préalablement demandé que leurs familles fussent informées de leur mort,… Les effets personnels des condamnés étaient mis à la disposition des familles qui pouvaient les récupérer à la préfecture de police. Cela atteste de la vitalité des groupes de résistants qui, au péril de leur vie, se livraient parfois à des coups de main très audacieux. Notamment ceux qui étaient d’obédience communiste, un parti appelé le parti des fusillés… Un parti qui n’a jamais pris ses distances avec Moscou, même après la signature du pacte de non agression germano-soviétique. C’est seulement après l’invasion de l’URSS par Hitler que les choses changèrent.
Quelques développements bienvenus sur la notion de collaboration, vue de Vichy et vue de Berlin. Du côté français, on voulait croire qu’il y avait là matière à discussion et qu’une véritable négociation devait s’engager, sur une certaine renaissance de la souveraineté française, le retour de tous les soldats captifs en Allemagne, en somme un regain d’autonomie administrative (la ligne de démarcation par exemple). Or, les Allemands ne l’entendaient pas de cette oreille, ce que Göring ne s’est pas privé de rappeler au maréchal lors d’une entrevue : c’est l’Allemagne, puissance victorieuse, qui dicte ses conditions, c’est la France qui a le plus besoin d’une bonne collaboration avec elle et non l’inverse… Et même l’amiral Darlan, pourtant porté aux plus hautes fonctions, ne réussit pas à modifier la donne : les Nazis voulaient qu’une France, défaite sur le champ de bataille, suive docilement son alliée de circonstance, mette ses richesses ainsi que ses armes à sa disposition, lui emboîte le pas dans les déclarations de guerre aux USA, par exemple. Ceci est un point très délicat de l’histoire de cette période douloureuse de notre histoire : c’était l’ambassadeur allemand à Paris, Otto Abetz, qui avait l’oreille d’Hitler, qui dictait les différents remaniements ministériels en cours. Il réussissait à obtenir le départ des généraux peu favorables à son pays et à imposer ses propres candidats. En d’autres termes, là où les Français de Vichy croyaient pouvoir négocier, aux yeux de leurs interlocuteurs, la collaboration signifiait imposer à Vichy tous ses desiderata… Vichy n’avait qu’n droit : accepter les exigences nazies et s’y soumettre. Et cette manière d’être à la remorque de l’Allemagne n’a pas trouvé grâce aux yeux d’un nombre croissant de Français qui commençaient à se reconnaître dans la France libre de De Gaulle que dans la capitulation de Vichy.
Ce régime a le triste privilège d’avoir pratiqué un véritable antisémitisme d’Etat. Il comptait dans ses rangs des antisémites invétérés qui allaient souvent au-devant ou au-delà des demandes nazies. Les aryanisations d’entreprises, la spoliation d’œuvres d’art,, le pillage d’appartements (e.g. Georges Mandel, Léon Blum, etc…, la saisie de tous les biens juifs (triste expression pour masques du vol pur et simple), tous ces graves méfaits n’auraient pas été possibles sans le concours efficace et délibéré des autorités françaises de l’époque. La liste n’a pas de fin, surtout si l’on y ajoute la liste des déportés, les rafles effectuées par la police et la gendarmerie françaises… Rappelons nous du discours préparé par Christine Albanel pour Jacques Chirac : … ce jour-là, la France a commis l’irréparable…
Mais les mâchoires de l’iniquité (livre de Job : Malt é’ot ‘awel) ont fini par être brisées. Sans le moindre esprit de vengeance, que l’on revoie donc ce vieillard assis sur le banc des accusés, n’entendant pas bien ce que dit le procureur, le regard vide, percevant difficilement sa condamnation à mort (heureusement commué en prison à vie).
Vichy et son régime se sont écroulés comme un château de cartes. Mais ce fut une véritable tache dans l’histoire de France. Le régime de Vichy a infligé à la République française et au n peuple français des dommages quasi irréparables. Après la fin de la guerre et bien que la France fît partie des vainqueurs, l’influence de notre pays, se puissance et son aura dans le monde ont été soumis à rude épreuve. Moins de deux décennies après le traité de paix, le pays a perdu ses colonies et son ancienne puissance. Mais il lui reste sa dignité retrouvée et son ancrage dans l’univers de la démocratie.