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Léon BLum,  Souvenirs sur l’Affaire (Gallimard, 1935) II

Une déflagration comme l’Affaire n’a pas pu se produire sans un environnement particulier composé de révolution avortée (le boulangisme), de scandales financiers et de bruits de bottes. Ces événements extérieurs et en apparence distincts du sujet lui-même, ont joué un rôle de catalyseur selon Léon Blum. Ce fut l’alignement de tous ces éléments qui a nourri cet humus antisémite particulièrement fécond. Blum me semble avoir raison : si Dreyfus n’avait pas été juif, l’Affaire n’eût jamais existé ni pris de telles proportions. Et sur cette judéité imaginaire, charriée par deux millénaires de haine chrétienne à l’égard des juifs, se sont greffés tous les poncifs antisémites que Blum a évoqués avec beaucoup de lucidité. Il montre aussi comment l’affaire a tourné à la crise politique, une crise sans précédent.

Blum se demande, au cours de ses développements, comment tant de millions d’hommes de bonne foi ont pu gober les théories complotistes que les adversaires de la République leur serinaient.

Dans les pages suivantes, Blum passe en revue les amis et les adversaires. Il évoque avec tant d’admiration le cas de Jaurès et le soutien d’Anatole France auquel il ne s’attendait guère. Il cite une belle phrase de cet écrivain, à la fin d’un meeting : Nous aurons raison parce que nous avons raison…

On lit aussi tout un chapitre sur les partisans et les adversaires de renom du capitaine Dreyfus. Toute la classe des intellectuels de l’époque est passée en revue. A commencer par Clémenceau, Barrès, Gide et quelques autres moins connus. Blum s’était chargé d’aller convaincre Maurice Barrès de rejoindre, en vain, le camp des dreyfuards. On sent chez le Léon Blum de l’âge mûr un vrai regret d’avoir échoué dans sa mission. Il était encore jeune et n’avait pas compris que la phrase : je vous écrirai… valait refus de la part du grand écrivain. Mais Blum conclut en relevant que la quasi totalité de l’université française avait décidé de rejoindre  le camp de la vérité et de la justice.

Le problème auquel se heurtaient les partisans de Dreyfus était la définition d’un objectif. A ce stade de la discussion, il ne restait plus qu’une chose, la révision du procès. Or, cette étape décisive relevait exclusivement du gouvernement, lequel ne semblait pas vraiment désireux de prendre l’initiative. La question était : comment faire admettre cette mesure ( la révision) à l’armée ? Sur des pages et des pages, Léon Blum nous explique qu’aucun parti politique, aucune association, ni même aucune famille ne connaissait d’homogénéité. L’affaire avait divisé tous les groupes, qu’ils fussent politiques ou professionnels. Certains parlementaires  entretenaient un certain mystère sur leurs intentions profondes. Même l’impératrice Eugénie faisait l’objet de spéculations quant à son appréciation de ce problème.

Mais les choses allaient prendre une tout autre tournure. Pour faire court ; je reprendrai la phrase de Blum à la fin d’un paragraphe : L’acquittement d’Esterhazy, à l’unanimité, sans discussion, tomba sur nous comme un coup de massue (p 128)

Tout paraissait perdu pour les amis de Dreyfus. Leurs espoirs semblaient être réduits à néant, quand soudain… L’Aurore publia Je j’accuse de Zola. Blum raconte avec force détails comment il apprit la nouvelle : il habitait jadis un rez-de-chaussée rue du Luxembourg, et à côté il y avait un marchand de journaux. L’apercevant de loin, le kiosquier lui dit : Tenez, lisez ça, c’est Zola ! Et Blum de commenter : comme mon dentiste, ce marchand de journaux, savait lui aussi que j’étais pour le capitaine.

Le réquisitoire était terrible, implacable. Et l’opinion ne pouvait rester insensible à une telle violence. Elle allait réagir. Blum ne tarit pas d’éloges sur ce texte qui mit le feu à tout Paris en une seule nuit. Mais le gouvernement ne l’entendait pas de cette oreille. Et après bien des tergiversations, Zola se retrouva devant ses juges. Jeune juriste à l’époque, Blum fit une offre de service à l’avocat principal du prévenu Zola. Il a donc participé à l‘organisation de sa défense. Sans, toutefois, s’attribuer les premiers rôles.

Par malheur, Zola fut condamné, ce qui était bien prévisible. Car acquitter le courageux pamphlétaire, c’eût été condamner Esterhazy. Donc, démonter tout l’édifice frelaté sur lequel s »était élevée la condamnation du capitaine. La tristesse, nous dit Blum, s’abattit sur le camp des dreyfysards, quand, après la seconde défaite venait le second miracle.

Même le suicide mystérieux du colonel Henry ne sonna pas la fin de la partie, de cette parodie de procès. Or, c’était sur lui que reposaient les documents les plus accusateurs de Dreyfus. Il avoua au président du conseil que les lettres des attachés militaires (allemand et italien) étaient son œuvre. Aussitôt arrêté il fut conduit dans une cellule du Mont Valérien où il mit fin à ses jours..

Blum relate comment il prit connaissance de ce suicide. En vacances en Suisse, le réceptionniste de l’établissement où il séjournait lut une dépêche de la presse locale et s’empressa de lui en faire part. Tant de bouleversements, tant de retournements de situation, et pourtant on en était toujours au même point : le verrou de l’état-major et le soi)disant honneur des forces armées qui avaient, à deux reprises, condamnée Dreyfus, une fois directement et une autre fois indirectement en innocentant Esterhazy…

En fin de compte, l’acquittement tant espéré ne vint point. Il fallut accepter la grâce présidentielle, ce qui n’était qu’un demi succès : Dreyfus devait encore livrer bataille pour retrouver sa pleine innocence et son honneur d’homme et de soldat. Mais Blum a raison de souligner que l’Affaire, avec tout ce qu’elle avait d’unique et d’original, était terminée. Quoi qu’il pût arriver, Dreyfus était ramené de son île et n’y retournerait plus. Il suffisait désormais de trancher le dernier appendice. Certes, les membres de l’extrême droite s’agitaient encore de temps en temps, mais ce n’était plus la flambée d’avant. Ces derniers rebondissements prouvaient suffisamment que Dreyfus n’avait jamais trahi son pays.

Voici le bilan que Léon Blum tire lui-même de cette évocation de l’affaire, plus de trois décennies après les faits :

L’Affaire que je viens d’évoquer ainsi, c’est celle qui a été gagnée, franchement et complètement  gagnée, puisque Dretfus a pu servir pendant la guerre avec ses galons d’officier, puisqu’il vient de mourir vieux et tranquille entre les siens, puisqu’il n’existe plus au monde, dans aucun pats, aucun sujet  pensant qui puisse concevoir un doute sur son innocence, puisque l’Histoire qui retiendra son nom et sa légendaire aventure a déjà rendu d’avance son jugement. (pp 174-175)

On ne saurait mieux dire.

Mais la France est elle sortie grandie de cette épreuve ? A t elle su faire de cette épreuve une force ?

 

 

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