Philip Roth, J’ai épousé un communiste (Gallimard) I
Voici un livre qui mêle deux problématiques assez éloignées l’une de l’autre : l’intégration au monde de vie américain des masses d’immigrants, notamment juifs venant d’Europe orientale et centrale, d’une part, et le développement de l’idéologie socialiste, voire communistes, d’autre part. En effet, ces masses laborieuses étaient naturellement exposées à la tentation d’aller grossir les rangs d’un parti politique qui prenait la défense des travailleurs. L’auteur a lui-même un peu succombé à cette attirance et l’ensemble du livre offre à la fois un aspect autobiographique et un développement politique au plan de tous les USA. Le jeune Philip Roth parle de ses lecture guidées par des congénères plus âgées et donc plus impliqués dans cette adhésion syndicale qui, assez souvent, conduisait à rejoindre un parti communiste prosoviétique.
Philip Roth, J’ai épousé un communiste (Gallimard) I
A la fin de la Seconde Guerre mondiale qui avait provoqué l’engagement direct de centaines de milliers de soldats américains sur le sol européen, ces mêmes soldats avaient vécu des évènements qui les avaient fortement transformés ; les sections militaires composées de soldats noirs souffraient du racisme de leurs camarades blancs. Roth nous donne à lire tout un discours où il stigmatise cette haine à l’égard de gens venus du même milieu social qu’eux et qui devraient, en bonne logique, s’allier pour sauver leur vie et améliorer leurs conditions d’existence au sein de la société. En gros, que les petits blancs souffraient d’une double aliénation : ils étaient eux-mêmes limités dans leur ascension sociale et persécutaient des gens qui souffraient de la même ségrégation, au lieu de s’allier à eux pour s’en sortir. Roth parle d’un juif communiste, plus vieux que lui-même d’une décennie et qui avait été gravement molesté par un groupe de soldats blancs qui lui reprochaient d’ «aimer les nègres»…
L’auteur relate comment ces ouvriers qui avaient commencé par accepter toutes sortes de petits boulots, réussirent à animer les émissions de radio les plus suivies par le public des classes moyennes. Il détaille les conseils pratiques que les plus aguerris parmi eux donnaient à leurs recrues, si je puis dire. Il fallait soigner sa présentation, lire le plus de livres possible, soigner sa langue anglaise tant écrite que parlée, veiller à développer des argumentaires simples et clairs, bref donner à une classe ouvrière émergente la nette impression qu’on s’occupait d’elle et qu’on voulait améliorer son existence. Les juifs, par nature, inclinaient vers ce souci d’égalité sociale. Roth explique quels furent les livres qu’il avait acheté de ses propres deniers dès leur parution tandis qu’il s’était inscrit à la bibliothèque municipale pour accéder aux ouvrages trop onéreux. Ce sont ces lectures qui ont façonné sa conscience politique dès son plus jeune âge.
Le phénomène ne manqua pas d’attirer l’attention des autorités qui redoutaient le pire ; une trop forte extension de l’idéologie socialo-communiste dans le pays. On nous parle des différentes campagnes présidentielles où l’affrontement des deux camps était tranché ; la gauche d’un côté, la droite, de l’autre. Et c’est ainsi que fleurirent les commissions d’enquête du Sénat et du FBI : des instituteurs, des professeurs, des hommes politiques, des journalistes, tous ceux qui pouvaient passer pour des faiseurs d’opinion, étaient soumis à des interrogatoires, voire dénoncés purement et simplement. Des pédagogues furent suspendus de leurs fonctions suite à l’accusation de propagande communiste. Ce fut l’âge d’or du maccarthysme.
Comme je le notais plus haut, on ne manquera pas d’être frappé par l’implication, réelle ou supposée, de tous ces juifs miséreux qui prônaient une sorte de judaïsme laïcisé ou sécularisé, et qui s’était substitué à l’antique messianisme biblique. C’est ainsi que j’interprète cette soif de justice sociale, ce souci de Autre, bref cette volonté de changer le monde.
Mais comme je le notais précédemment dans mes éditoriaux consacrés ici même à cet auteur, il a la dent très dure à l’égard de ses propres coreligionnaires. Même quand ceux-ci ne sont pas racistes, il signale leurs maladresses dans la voie de l’assimilation à l’américanisation. Leur mimétisme trahit leur arrivisme. Ils imitent certaines attitudes de manière très artificielle, se composent un personnage qui manque assurément de naturel. Et toutes ces simagrées afin d’occulter leur origine au sein du groupe social qu’ils rêvaient d’intégrer. Je rappelle ce que j’écrivais ici même durant la période estivale ; quelques associations juives ont accusé Roth d’antisémitisme, tant certaines critiques acérées de la petite bourgeoisie juive les avaient heurtées…
L’intégration réelle des juifs aux USA n’a pas toujours été un jardin de roses. Avant la guerre déjà, leur entrée sur le sol américain n’avait pas été facilitée. Mais même après la fin de la guerre, l’antisémitisme filait bon train dans diverses couches de la société. A ce moment là, Roth commençait tout juste sa vie d’adolescent et cette séparation entre le Juif et l’Américain moyen l’a bien fait souffrir. Lui qui ne voulait qu’une seule : être un Américain comme les autres… Mais pour de multiples raisons, les Juifs de Newark restaient entre eux, et cette réserve était soit voulue soit, au contraire, imposée.
En évoquant la vie et les déboires de son ami et confident Ira, Roth évoqua aussi longuement les grandes figures juives de la mafia locale, qui était en guerre permanente avec les Italiens qui veillaient jalousement sur les intérêts de leur propre communauté. Il y a dans ces longues évocations une certaine gravité à laquelle il faut évidemment faire un petit rennoi (p (pp 116-117) :
En Murray Ringold, l’insatisfaction, pensais-je, a trouvé son maître. Il a survécu à l’insatisfaction. Voici ce qui reste quand tout est passé : Le stoïcisme qui tient sa tristesse en bride ; voici la retombée de la fièvre. Pendant longtemps, la vie brûle, tout est tellement intense, et puis peu à peu, la fièvre tombe, on refroidit , puis viennent les cendres. L’homme qui m’a appris le premier à boxer avec un livre, est venu aujourd’hui démontrer comment on boxe avec la vieillesse. Et c’est son talent stupéfiant, un noble talent car rien ne nous apprend moins que d’avoir à vieillir que d’avoir vécu une vie robuste…
(A suivre)