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Hegel, Histoire de la philosophie ou introduction à la philosophie ? III

Hegel, Histoire de la philosophie ou introduction à la philosophie ?

Durant de nombreux semestres, de 1823 à 1828, Hegel exposera son introduction à la philosophie devant ses étudiants berlinois. A sa manière, détaillée et systématique, il définira différents concepts et continuera d’approfondir la notion même de philosophie et de l’acte de philosopher. Bien des nuances sont à distinguer ici, les unes des autres. D’abord, l’idée de faire l’historique du philosopher, n’est-ce pas là un paradoxe puisque la philosophie est censée établir la connaissance du vrai, alors que l’histoire doit intégrer à son exposé toutes choses, y compris certaines doctrines fausses et qui se sont fait passer pour de la philosophie authentique.

 

Hegel, Histoire de la philosophie ou introduction à la philosophie ?

 

Par ailleurs, et Hegel le dit dès les toutes premières lignes, l’histoire de la philosophie ne se distingue pas de l’exposé ou de l’introduction aux doctrines philosophiques. Car, quand on envisage l’esprit dans sa totalité, ou dans son universalité, on rend compte de toutes les formes qu’il a investies ou générées dans sa recherche. L’histoire philosophique, c’est l’exposé doctrinal de celle-ci. C’est parler de son contenu. La raison pensante ne connaît pas que des activités dignes d’être envisagées comme de la philosophie, il faut parcourir un certain processus au terme duquel s’ouvre à nous le domaine de l’activité philosophique proprement dite. La matière de la philosophie, dit Hegel, se rencontre d’abord dans la religion, les mythes et l’art en général. Ces formes différentes de l’activité intellectuelle seront appréhendées sous l’angle de la philosophie. A quand remonte cet exercice de l’esprit ? Aux premiers penseurs grecs qui illustrèrent leur considération de l’esprit scientifique.

L’histoire de la philosophie se confond avec l’histoire de la pensée. Partant, lorsque l’homme se concentre sur cette partie de son être, sur cette faculté spécifique qui le distingue de l’animalité, il n’a plus affaire qu’à lui-même, c’est alors qu’il est apte à philosopher. Cette activité présuppose une certaine profondeur qui montre que l’on se préoccupe de l’essence des choses. Et cette essence est bien la vérité des choses, elle est ce qui demeure, ce qui est pérenne, ce qui est éternel. C’est ce qui est invariable, ce ne sont pas des détails contingents. C’est aussi ce qui est universel, cela existe partout et cela répond, partout, aux mêmes critères de l’approche scientifique. L’éternité de la connaissance n’a rien à voir avec les traits contingents. Comme le dit Hegel dans son style habituel : ce qu’il produit ainsi, c’est la philosophie.

On peut être d’accord ( c’est mon cas, évidemment) ou pas ; les adeptes des philosophies sensualistes, les sceptiques, les disciples de Carnéade, les empiristes ne seront pas d’accord, notamment avec cette autre phrase du grand maître : la pensée est la substance générale de l’esprit… L’histoire de la philosophie est donc l’histoire de la pensée. Dans les autres sciences, la forme et le contenu sont séparés l’un de l’autre, la philosophie, la pensée et son objet se confondent. Ce dernier passage est important car, bien des siècles auparavant, durant la période médiévale, les aristotéliciens musulmans ont repris la formule philosophique désignant Dieu comme la pensée suprême qui se pense. Un intellect suprême qui pour créer l’univers n’a besoin que de s’auto-intelliger ; en d’autres termes, la pensée divine, en tant que produite par l’intellect suprême qu’est Dieu, est productrice d’être. Il lui suffit d’intelliger une chose pour que celle-ci soit appelée à l’existence. On le voit, l’intellectualisme hégélien a des sources dans le Moyen Age judéo-arabe puisque même Maimonide et ses commentateurs adhéraient à cette définition de l’esprit ou de l’intellect.

Il est un élément inséparable de la philosophie et de l’acte de philosopher, c’est la liberté. Car la pensée philosophique appréhende même l’infini, elle ne connaît aucune barrière, ce qui pose la question, insoluble à ce jour, de la relation entre la politique et la philosophie qui remet en question, interroge la réalité, et parfois aussi conteste l’ordre social. Et je ne parle même pas des dogmes religieux qui sont indiscutables, surtout dans la période médiévale. On l’a déjà relevé dans les précédents articles sur Hegel, celui-ci accorde une place considérable aux dicta religieux, citant maintes fois les paroles du Christ avec un profond respect.

Hegel croit déceler un paradoxe entre l’histoire et la philosophie, si la philosophie a pour objet l’invariant, le stable, l’éternel, alors que l’histoire recense ce qui cesse de changer. Donc, tout le contraire. Car, en histoire, on expose ce qui varie, ce qui s’est passé, a été, a fini, a disparu dans la nuit du passé, ce qui n’existe plus. Mais la pensée n’est pas susceptible de changement, mais elle est.

C’est un peu plus loin dans ce premier chapitre de la troisième partie que Hegel répond à la question qu’il a soulevée : Nous verrons, dit-il, que cette diversité, non seulement ne fait pas tort à la philosophie - à sa possibilité- mais qu’elle est nécessaire à cette étude. Partant du principe avéré que la philosophie ne surgit pas dans un milieu éthérique et qu’elle a, nécessairement, des relations avec le monde ambiant (le régime politique, la religion, les arts, etc…), Hegel se pose la question suivante : Quel est le rapport historique qui existe entre la philosophie d’une époque et la religion, l’art et la politique de cette époque ?

Cette interrogation est cruciale. Plus d’un demi millénaire avant Hegel, le grand commentateur arabo-andalou d’Aristote Ibn Rushd (Averroès, ob. 1196) qui a dû louvoyer et naviguer entre différents écueils pour ne pas être inquiété par le pouvoir politique en place, a été confronté à ce problème. Et pourtant, toute cette prudence ne l’a pas empêché de tomber en disgrâce. Léo Strauss qui a échappé à la Shoah grâce à l’obtention d‘une bourse de recherche aux USA, sur recommandation de… Carl Schmitt) et qui beaucoup étudié Maimonide et Averroès, avait justement écrit un livre sur le sujet : Persécution et l’art d’écrire (Glencoe, 1951). Il y montre que les penseurs médiévaux devaient dissimuler leur pensée profonde afin d’échapper aux fourches caudines des gouvernants orthodoxes.

                                                                                                         (A suivre)

 

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