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Léon Blum, Le congrès de Tours. Le socialisme à la croisée des chemins (1919-1920)

Léon Blum, Le congrès de Tours. Le socialisme à la croisée des chemins (1919-1920)

Après une copieuse introduction qui introduit le lecteur à la problématique de ce petit recueil et l’exposé des grands moments de la vie de Léon Blum (1872-1950), on peut prendre connaissance de plusieurs textes de l’auteur, notamment Pour être socialiste dédié à son fils Robert Blum. Certes, ce texte a vieilli, même si le PS a continué de l’éditer pour ses militants jusqu’au début des années quatre-vingts Mais c’est un document de premier ordre pour mesurer le degré d’adhésion de l’auteur à de tels idéaux, comme la liberté de l’homme, l’égalité intrinsèque de tous les hommes, la nécessité de faire régner la justice et la fraternité sur notre terre. Mais moi, j’ai senti aussi autre chose qui fait remonter à la surface les origines juives de Blum, lequel n’a jamais songé à les dissimuler ni à les nier.

Léon Blum, Le congrès de Tours. Le socialisme à la croisée des chemins (1919-1920)

 

Dans ce vibrant plaidoyer en faveur d’une meilleure répartition des richesses entre toutes les classes sociales, et d’une solidarité entre les nations, j’ai senti comme une inspiration des vieux prophètes ! d’Israël, des visionnaires comme Amos ou Isaïe. Blum évoque dans ce discours débutant les religions, mais pas le judaïsme spécifiquement, et on le comprend. L’antisémitisme a prospéré partout, jusques et y compris dans les partis socialistes ou socio-démocrates. Cette social-démocratie allemande dont Blum étudiera toutes les sources afin de s’opposer à ceux qui prônaient un ralliement à la III Internationale. Ce qui aurait équivalu à un alignement sur les thèses léninistes, ce même Lénine qu’il qualifiait de révolutionnaire professionnel. Il préférait le juif allemand Eduard Bernstein qui incarnait des idées plus proches des siennes

On sent ce souffle prophétique qui exalte les idéaux de liberté et de fraternité ; et en disant cela, je ne fais pas violence au texte : les prophètes d’Israël ont développé des idéaux que les doctrines politiques à venir ont sécularisés ou laïcisés, les détachant de leur terreau religieux originel afin de les employer dans le cadre de sociétés civiles. Un peu avant, vers 1904, un théoricien et juriste allemand du nom de Carl Schmitt, éphémère compagnon de route des Nazis, avait publié quatre conférences sous forme de livre, avec le titre suivant : Politische Theologie… Il y expliquait que la plupart des idéaux des démocraties provenaient de la Bible et avaient subi un processus de sécularisation.

Après cette entrée en matière, Blum revient à la lexie marxiste qui parle de patron et de salarié, de possédant et de non possédant, de pauvres et de riches, d’héritiers et de nécessiteux. Bref, on retombe dans l’ornière… Blum parle d’avoir un pied dans l’idéal et un autre dans le réel. Et il est intéressant de noter qu’en parlant d’achat et de vente, bref de transactions financières, Blum évoque le cas d’un personnage biblique Esaü qui vendit son droit d’ainesse à son frère cadet Jacob, contre un plat de lentilles. L’expression est devenue proverbiale. Cette histoire se lit dans le livre de la Genèse.

Blum livre donc à son fils ce en quoi il croit et le sens même de son engagement politique. Et l’on s’aperçoit que son héritage traditionnel (il était issu de la petite bourgeoisie juive d’Alsace) transpire à travers ces lignes. Le fait d’impliquer son fils n’est pas anodin. Il lui transmet le flambeau, d’une certaine façon. Et croyez moi bien, je ne plaque pas une grille de lecture juive ou judaïsante sur ce texte.

Doté d’une solide formation de juriste puisqu’il était maître des requêtes au Conseil d’Etat, Blum ne se rallie pas à une image figée de la société. On pourrait presque dire qu’il avait entrevu la mondialisation que nous connaissons depuis quelques décennies et prévu ses exigences. L’ouvrier penché sur son établi, ne peut plus travailler isolé dans son atelier, les besoins de la planète ont évolué, une certaine organisation à l’échelle mondiale s’impose.

Voici un résumé de la pensée de Blum quant à l’organisation du travail au sein de la société : Ce que nous disons aujourd’hui, c’est qu’aucun homme ne peut demeurer, par sa descendance, , maitre absolu maître unique, maître universel de ce que la collectivité des hommes a jadis recueilli ou créé, de ce qui conditionne aujourd’hui la vie collective des hommes. Et nous avons proclamé le socialisme, quand nous avons dit cela.

Dans la suite de ses développements, Blum tente d’affaiblir deux préjugés bien répandus de son temps, à savoir que c’est l’appât du gain qui incite les hommes à œuvrer et aussi l’idée selon laquelle les injustices, les inégalités existent depuis toujours. Il ne sert à rien de les combattre, elles ne disparaitront jamais. C’est là que transparaît l’idéalisme de Blum aux yeux duquel tous les grands hommes de sciences, tous les grands artistes n’ont jamais fait de grandes découvertes ni produit leurs œuvres impérissables à des fins lucratives… Ceci n’est hélas vrai qu’à moitié. La nature humaine ne se laisse pas toujours guider par des motifs désintéressés. Il évoque le cas bien connu de l’innovateur ou du découvreur qui meurt dans la solitude et l »indifférence générale, et parfois même dans la misère parce qu’aucun industriel n’a voulu investir dans sa découverte…

Mais toutes les démonstrations de Blum, son éloquence et sa lucidité virent à la poursuite d’une utopie. Blum le dit lui-même : tout dans l’arbre veut être fleur… Mais ceci ne peut pas se produire ainsi. Blum compte avec une humanité régénérée, débarrassée de ses souillures, de ses égoïsmes féroces, de ses injustices naturelles, etc… On ne peut pas demander à l’homme de toujours partager ce qu’il a découvert ou gagné, avec d’autres qui n’ont rien fait. Par ailleurs, les âmes bien nées sauront alléger la souffrance de leurs congénères… Et ce recours presque mécanique au collectif alors que l’homme rêve depuis toujours de se distinguer, d’émerger de la masse. Hélas, malgré la passion, Blum se trompe : l’homme ne changera pas. Si le bois ne brûle plus, alors ce n’est pas du bois, c’est de l’amiante. Et la prose de Blum, claire et élégante, n’y changera rien. Sa reconstruction du monde et de la société humaine néglige une chose cruciale : chacun d’entre nous veut être unique… Et Blum vient nous parler d’une insertion de l’individu dans le collectif. C’est ce facteur qui a fait échouer toute doctrine ou gouvernement socialiste. Ce n’est pas pour rien, qu’il y a quelques décennies, naissait l’expression, socialisme à visage humain…

Ce petit recueil qui est si bien fait, contient aussi le célèbre discours de Blum au congrès de Tours fin décembre 1920. Le discours est un discours-fleuve, très bien construit où l’on sent vibrer l’orateur au plus profond de lui-même. Certes, d’autres socialistes ont fini par imposer leur thèse en adhérant à la IIIe Internationale communiste. Il reste que Blum a bien expliqué que c’était se fourvoyer que d’adhérer aveuglément aux doctrines des révolutionnaires russes sous la direction de Lénine… La fin du discours se fait ainsi : y en a –t- il un seul qui croit que je suis pas socialiste ? Ce fut, certes, une scission mais cela a permit un nouveau départ, loi des dictatures communistes que l’Euterpe a connues.

Mais je ne sais pas ce que dirait le grand leader du Front Populaire s’il constatait l’état de décomposition avancée du PS et du PC.

 

 

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