Replacer l’anthropologie biblique au centre du débat philosophique contemporain…
Dans plusieurs décennies, voire plus, les historiens qui rendront compte de l’année 2020 parleront surtout de son caractère paradoxal et de ses choix contradictoires. Les gouvernements qui recommandent ce qu’ils avaient injustement et précipitamment rejeter la veille ou l’avant-veille, les médecins, et non des moindres, qui se contredisent publiquement sur tous les plateaux de télévisions et une impressionnante floraison de fausses nouvelles, excogités par des cerveaux complotistes en ébullition. En gros, tout et son contraire, avant que l’observation scientifique rigoureuse ne vienne remettre un peu d’ordre dans des débats de plus en plus confus. Et puis, cette affreuse opposition entre la souci sanitaire et le souci économique. L’homme ne vit pas que de pain mais il en vit aussi (Voltaire).
Replacer l’anthropologie biblique au centre du débat philosophique contemporain…
On a fait appel à touts sortes d’explications, parmi les plus fondées et qui ont contribué à débroussailler les choses. Mais on note l’éviction, volontaire ou involontaire, d’une grande absente, la Bible, je pense à l’ensemble de la littérature biblique, hébraïque et évangélique. Cette grande absence s’explique aisément par des circonstances historiques, du temps où l’Europe intellectuelle avançait sous la stricte férule de l’église catholique, régentant tus les esprits et cadenassant la culture, au sens contemporain de ce terme, c’est-à-dire la liberté de penser, à l’abri de tout anathème et de toute vérité dogmatique imposée aux savants.
En effet, une bonne partie de la culture européenne s’est forgée contre cet ancien Zeitgseist, cet esprit du temps nimbé de pensée religieuse. On ne compte plus les martyrs de l’esprit en Europe médiévale et pré-moderne, voire même au-delà puisque les Lumières n’arrivent vraiment qu’au milieu du XVIIIe siècle. Et que cette renaissance se place sous la bannière de la lumière et cette métaphore lumineuse est évidemment dirigée contre cet interminable Moyen Age, symbole de l’enténèbrement des cerveaux théologiques. On en est même arrivé à confondre médiéval (riche quoique compliqué, séminal, profond) avec moyenâgeux (sombre, ignorant, superstitieux).
Autant d’éléments qui ont conduit le génie français à reléguer l’héritage biblique à l’arrière-plan, voire même à le bannir une fois pour toutes.
Vous vous demandez sûrement où est le rapport avec la terrible pandémie que nous vivons Le voici : bien que je refuse toute lecture théologique de la maladie, bien que je ne croie qu’en un remède thérapeutique dictée par l’épidémiologie, je pense que par sa vocation spirituelle, la Bible contient bien des remèdes spirituels de nature à alléger notre souffrance, à nous insuffler un peu d’espoir et à nous dire que notre humanité n’est pas perdue, qu’elle va sortir grandie et renforcée de cette terrible épreuve. Mais voilà, la France réputée être la fille aînée de l’église, a érigé une séparation hérmétique entre la politique et la religion. Je m’empresse de dire que je suis pour la laïcité, mais il ne faut jeter le bébé avec l’eau du bain. On doit rejeter une pensée religieuse dominant l’esprit républicain, mais on commettrait une lourde erreur en refusant de réfléchir sur ce qui nous arrive en nous servant des livres des Psaumes, de l’Ecclésiaste et des Proverbes. Le cléricalisme n’est plus une force politique dominante, il n’est donc plus nécessaire de sortir la grosse artillerie pour le combattre… Une application correcte de la laïcité nous suffit. Mais le tout, c’est de l’appliquer et de ne plus se satisfaire de reculades, comme c’est hélas encore le cas aujourd’hui…
On l’aura compris, je vise le retour de la spiritualité sécrétée par les textes religieux. L’aspect religieux est presque devenu dirimant. Jamais personne n’a osé dire publiquement que ce côté psychologique de la pandémie, cette face cachée de la maladie, ce que j’ai appelé la métaphysique de la pandémie, pèse considérablement sur le bien-être des êtres humains que nous sommes : que font les psychologues, les psychothérapeutes, les psychiatres et les psychanalystes, sinon tenir des discours qui apaisent l’âme. Aujourd’hui, on parle de résilience, le terme est plus élégant mais il recouvre la même chose, en l’occurrence ce qui se trouve dans le livre des Psaumes où l’auteur (s) est l’homme le plus religieux que la terre ait jamais porté… Qu’y lisons nous ? La longue complainte d’une âme qui souffre, accablée de tant de maux qu’elle ne mérite pas, la quête passionnée d’une transcendance qu’elle appelle à son secours… Je suis sûr que des millions d’habitants de notre pauvre Europe éprouvent le même sentiment d’abandon, de détresse et d’appel au secours. Et n’oublions pas le livre de Job qui, du fond des âges (de l’ancienne Babylonie et l’Egypte pharaonique), se lamente sur son sort, sa déchéance inexpliquée et injustifiée.
Mais l’absence la plus aigue est celle de l’Ecclésiaste, celui qu’Ernest Renan nommait dans sa version traduite et annotée du livre, nommait le juif le plus sympathique de toute la littérature biblique. J’ai presque envie d’en recommander la lecture au professeur Jérôme Salomon qui ne se rend pas compte de la souffrance qu’il nous inflige chaque fois qu’il dresse cette comptabilité macabre des morts, des hospitalisés et de placés sous respirateur. Il n’a jamais ou presque jamais dit le moindre mot de compassion, le moindre Mitleid (pour parler allemand). S’il avait lu ou relu le livre de l’Ecclésiaste avant de nous infliger tous ces chiffres, les gens en auraient redemandé lorsque nous l’écoutons égrener ces statistiques démoralisantes, la boule au ventre, tout en se demandant si nous n’allons pas nous mêmes être prochainement touchés.
Un exemple de ce que je veux dire et que j’ai moi-même ressenti en apprenant que notre président (dont je ne suis pas vraiment partisan) avait été infecté par le virus : j’ai éprouvé comme un sentiment de faiblesse, de vulnérabilité, de mise en danger de nous tous, puisque le premier d’entre nous n’avait pas échappé au virus, alors qu’il est censé être le plus protégé. J’ai alors ressenti l’absence de la parole qui guérit. Or, elle se trouve dans un corpus que, par aveuglement, nous avons injustement écarté alors qu’il répond bien aux attentes de notre temps.
Les grands moments de l’ histoire intellectuelle de l’Europe coïncident généralement avec des reculs de notre héritage spirituel et religieux : la Renaissance sonne le glas du Moyen Age, le siècle des Lumières enterre la vision théologique du monde et la séparation de l’église et de l’état scelle la pierre tombale du cléricalisme. Mais aujourd’hui, il faut réajuster les paramètres qui nous ont jadis dicté toutes ces mesures. Nous devons opérer avec plus de discernement. L’homme qui n’a rien à gagner de son divorce avec Dieu, n’est pas son propre auteur, ni son propre créateur. Certes, il pense par lui-même et c’est très bien ainsi, mais est-ce à dire qu’il doit renoncer à toute idée de transcendance ? Ce serait alors de tous les aveuglements le plus grave.