Georges-Marc Benamou. Le dernier Mitterrand (Nouvelle préface de l’auteur). Plon, 2021
En déposant ce livre si riche en détails et en descriptions frappantes d’un homme, feu le président Mitterrand, luttant désespérément contre une maladie cruelle qui finira par l’emporter, j’ai pensé à un phrase de Voltaire, lue je ne sais plus où, et qui me paraît s’imposer ici, au tout début de mon papier : Aux vivants nous devons des égards, aux morts la vérité…
Georges-Marc Benamou. Le dernier Mitterrand (Nouvelle préface de l’auteur). Plon, 2021
Et à moins que tout ne trompe, si j’ai bien compris le message subliminal de cet ouvrage, fondé sir des souvenirs et des notes prises à la demande expresse de Mitterrand (… dixit t: et dites leur que je ne suis pas un diable), il revendique une part de vérité. On se souvient que lors de sa première parution, ce livre avait fait scandale, la controverse qu’il avait jadis soulevée a encore laissé des traces, j’en veux pour preuve cette nouvelle préface qui se veut justificative en répondant à certaines critiques et en précisant cuekques points dont l’authenticité avait été contestée par des proches et des moins proches de François Mitterrand. Mais ce n’est pas la controverse qui retient ici mon attention. Je regarde surtout le portrait psychologique d’un homme qui revendiquait, d !s il y a plusieurs décennies, Sa part de vérité, tout comme il dénonçait Le coup d’Etat permanent.
L’auteur a, semble-t-il été le familier du vieux président durant environ trois ans. Il semble avoir joui de sa confiance, surtout quand on sait qui était vraiment Mitterrand et qu’il n’accordait sa confiance que chichement ; et ce statut de confident, de famulus, a suscité bien des aigreurs dans la cour du président… En d’autres termes, Benamou ne s’est pas fait beaucoup d’amis durant cette période cruciale, car on savait le président condamné, au point que certains (Balladur, Chirac, mais aussi quelques socialistes…) se demandaient s’il allait aller au bout de son mandat.
Je ne suis pas en mesure de vérifier l’authenticité de tous les dires de l’auteur mais il semble que le label de la vérité puisse lui être accordé è au moins quatre-vingt-dix. pour cent Ce témoignage, car c’en est un, m’intéresse au plan philosophique car il traite du drame de l’existence humaine. Et notamment de ces très rares élus (dans les deux sens du terme) qui n’échappent au lot commun des mortels, à savoir que l’existence finit toujours mal puisqu’il y a la mort au bout du chemin. Et c’est en cela que Benamou a occupé une position ou un poste d’observation rarissime, ce qui n’a pas manqué de lui attirer de solides inimitiés. Les courtisans s’épient les uns les autres, s jalousent et sont prêts à d’entretuer pour accéder aux faveurs du roi ou du président…
Quand on parle d’un défunt, cela signifie qu’il s’agit d’un être qui quitte cette vallée des larmes après avoir payé ses dettes : dans tous les sens du terme. Et ce fut le cas de Mitterrand d’une manière encore plus éclatante puisque, gravement malade, il a assumé deux septennats, ne pouvant plus celer sa maladie qui éclatait aux yeux de tous : on parle d’un conseil des ministres au cours duquel le président n’a pas pu achever sa phrase. On parle de son teint olivâtre, de sa difficulté à se mouvoir, de ses absences, de ses réflexions morbides mais aussi de ses éclairs de lucidité. On l’a maintes fois enterré trop vite…
Mais il convient de ne pas se tromper : Benamou parle du président des dernières années, donc du temps où chacun, ici comme ailleurs, pensait que le chef de l’Etat français n’était plus maître de son destin. C’est donc la phase accélérée de la maladie qui est envisagée ici. Mais la maladie n’a pas transformé notre illustre malade, il continuait à appliquer sa loi à laquelle il doit sa survie politique, diviser pour régner, une manœuvre appliquée même parmi ses propres médecins (et il en avait au moins six…). J’ai été impressionné par une page décrivant uns spirée d’automne ou d’hiver, dans un palais présidentiel vide et froid, où, comme d’une voix d’outre-tombe, Mitterrand ridiculise les voyages stériles à l’étranger de son premier ministre Balladur, soulignant qu’il ignorait qu’on était en guerre en permanence avec les USA qui se taillent la part du lion dans certaines régions, comme le Proche Orient. Et Mitterrand trace finement les limites de la confiance et de l’alliance entre l’Hexagone et l’hyper puissance.
J’ai dit que je ne reviendrai pas sur les causes de la controverse autour de ce livre mais il est indispensable de rappeler qu’il a dérangé bien des gens dans les allées du pouvoir. Au fond, on assiste à une petite comédie du pouvoir, doublée d’un drame humain. Car, dès son élection, Mitterrand se savait malade et fut à deux doigts de renoncer à tout pour se soigner, mais les membres les plus influents de son entourage étaient d’un autre avis : sans présidence de la république, ni les uns ni les autres n’auraient pu profiter des largesses et des prébendes du pouvoir. La description de certains dîners de fête à Latché dans les Landes, autour d’un président qui est au plus mal, m’a impressionné. Je me demande comment l’appétit a pu venir aux convives. Mais voilà, ce que les ministres présents et les courtisans de tos ordres cherchaient, ce n’était pas la fine gastronomie mais bien les faveurs d’un vieux chef agonisant. Certains de ces intriguants ont d’ailleurs fait de très beaux parcours… Quel milieu ! Et je vous épargne la scène des ortolans…
Il y avait en ce vieux chef gaulois ou français, de nombreuses personnalités, de nombreuses facettes. Un être d’une grande complexité, euphémisme pour parler poliment d’un roublard, d’un rusé compère, voire d’une personne sans scrupules, cela dit avec le respect dû aux disparus qui ne sont plus là pour se défendre.
Tout président de la république française souffre plus ou moins gravement, de ce qu’il est convenu d’appeler la solitude du pouvoir : même entouré de conseillers de valeur et de confiance, vous êtes soumis à rude épreuve, à cause des pressions, de la presse, des courtisans, des batailles d’égo etc… Dans le cas de Mitterrand, c’était encore plus compliqué ; nombre d’observateurs doutaient de la profondeur de ses convictions politiques de gauche ; sa vie privée a tenu une large place dans le débat politique car certains l’ont instrumentalisée à des fins personnelles.
Une anecdote : il y a quelques années, je me trouvais à Dakar pour y parler des relations entre les Africains et le judaïsme. Le soir, après la conférence, on a tous été invités à dîner chez l’ambassadeur de France, l’époux de Catherine Clément., Monsieur Leuwen. J’étais assis à côté d’un Africain qui m’a lancé à la figure la remarque suivante : Arrêtez de nous donner des leçons, votre président, il est bigame !!! En effet, il était bigame, mais ce n’était pas le seul domaine où brillait son ambiguïté…
Et Benamou a aussi veillé à sortir un peu du cadre et à nous montrer son héros sous d’autres éclairages et dans d’autres contextes. On se souviendra longtemps de la peur panique qui s’était emparée du staff de l’Elysée, lorsque malade et presque infirme, Mitterrand n’avait toujours pas encore fini d’écrie ses vœux aux Français, un trente et un décembre… Finalement, ce sera une résurrection tant le résultat dépassait toutes les espérances.
Comme scène cocasse ou tragi-comique, je citerai la page entière où Danielle, l’épouse légitime du président, s’enquiert avec insistance des préparatifs pour accueillir Fidel Castro; elle réitère sa demande maintes fois pour être bien sûre que tout est bien fait. Son président de mari la rassure en disant que les services de l’Elysée connaissent bien leur affaire.
A chaque page, l’auteur nous fournit des réflexions de Mitterrand sur les hommes politiques. Il raille son prédécesseur Giscard d’Estaing qui a théâtralisé son départ à la télévision et qui est sorti du palais sous les injures et leu huées de certains parisiens … Mitterrand jure qu’on ne l’y prendra pas ; il fera un bref adieu aux Français et on ne le verra plus…
Je pourrais revenir sur tant d’autres choses, eu égard à la richesse de ce petit volume qu’on a peine à considérer comme l’œuvre d’un simple journaliste. Selon mon point de vue, il va bien au-delà avec des considérations bienvenues sur l’essence de la vie, du pouvoir et de la mort. Comment peut-on dire qu’une vie est bien rempile ? Comment affirmer que la vie que l’on a menée était bien celle pour laquelle on était fait ? C’est parfois le cas, mais le plus souvent nous sommes orientés vers des rails qui n’étaient pas les bons.
Mais Mitterrand a tout sacrifié à son exploit politique, devenir le premier de tous les Français. Lui qui a tant rusé, tant dupé le ciel et la terre pour parvenir à ses fins, qui a mené une double, une triple et une quadruple vie, est mort dans d’atroces souffrances. Mais sa référence aux forces de l’esprit lui a sauvé la mise. C’est de cela que se souviendront nos compatriotes.
PS ; j’ai bien apprécié la bonne référence au dibbouk page 71.