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Jacques Attali, Histoires des médias. Des signaux de fumée aus réseaux sociaux, et après (Fayard) (I)

Jacques Attali, Histoires des médias. Des signaux de fumée aus réseaux sociaux, et après (Fayard) (I)

L’histoire des médias, voici un sujet, toujours d’actualité et au centre de tous les débats, ce qui explique qu’il ne pouvait pas échapper à la vigilante sagacité de Jacques Attali, le Pic de la Mirandole du XXIe siècle… C’est la première tentative que je connaisse qui embrasse un tel sujet dans le spectre le plus large qui soit. Certes, il subsiste, ça et là quelques imprécisions ou inexactitudes (e.g. l’alphabet hébraïque est d’origine assyrienne, appelé lettres carrées, ketav ashouri), mais l’ensemble se tient bien et accomplit son effet : rendre une vaste fresque des médias des origines à nos jours. Aussi bien dans nos vieux pays d’Europe qu’au Japon et en Chine…

  

 

Jacques Attali, Histoires des médias. Des signaux de fumée aus réseaux sociaux, et après (Fayard) (I)

 

JA parle des médias et ne limite pas son propos à la seule notion d’information, même si celle-ci occupe une position centrale dans le livre : on informe, on s’informe, on désinforme, etc… C’est dire combien ce secteur de la vie sociale est devenu indispensable. On prête même à Lénine (un orfèvre en la matière) la phrase suivante : L’information est un combat. En effet, cette idée n’a jamais été aussi fondée qu’à notre époque où tout se joue autour de l’information avec une course effrénée entre les organes de presse pour être les premiers à livrer telle information ou telle autre. Et ce, dans tous les secteurs.

Dans les civilisations anciennes, même les plus antiques, le fait de communiquer, de savoir, de connaître, d’être au courant de ce qui se passe, s’est produit ou va se produire, est primordial. L’auteur le montre à l’aide de citations tirées de civilisations disparues ou même de la Bible où les récits de courriers, de messagers et de messages transmis, à commencer par la Révélation, sont légion. JA évoque à raison le rouleau d’Esther censé se passer dans une Perse exotique alors que l’auteur vivait en réalité à Alexandrie entre le VIe et le Ve avant notre ère ; il parle des cent vingt provinces du roi légendaire Assuérus que des coursiers véloces tiennent informées des décrets royaux. Comme ce pays est un agrégat de nationalités et de langues, le texte biblique spécifie que le firman a été rédigé dans toutes les langues parlées au sein de ce royaume multiethnique. Et ce n’est pas, loin de là, le seul exemple. Jacob, redoutant son frère aîné Esaü auquel il a subtilisé le droit d’ainesse, envoie des messagers à son frère devenu dangereux…

Ce qui saute dès les premières pages de ce grand livre de JA, avec uns si belle iconographie, c’est que les médias reposaient déjà entre les mains d’une certaine classe sociale, disons parmi les couches les plus puissantes des sociétés humaines : les rois, les nobles, les chefs de l’économie et de l’armée, bref tous ceux qui détenaient une parcelle du pouvoir. Ils avaient en général leurs propres circuits de transmission et de réception des nouvelles, de ce qu’il fallait savoir . Et cet avantage leur permet d’asseoir leur autorité, voire de l’amplifier et de la prolonger le plus possible.

Quelle importance revient à la nouvelle en tant que telle ? C’est que les correspondances privées (lettres d’évoques, bulle papales, etc…) ont créé des voies, des chemins dans lesquels s’engouffrèrent les marchands ambulants qui étaient obligés de prendre certaines précautions. JA donne l’exemple des bouchers qui devaient se déplacer pour acheter les bêtes et fixer le prix de la viande. De telles organisations sont impensables sans un minimum de communication entre membres d’une même profession. Or, toute cette organisation était fondée sur l’acquisition d’un savoir, de certaines nouvelles. Autre exemple : si une grave épidémie sévissait dans une certaine région, il fallait s’adapter et prendre des précautions, chercher de nouveaux marchés, de nouveaux acquéreurs, etc …

Mais on trouve aussi des informations plus générales dans des commentaires rédigés par des érudits ou des philosophes : ainsi, un grand commentateur de Maimonide et Averroès !s, comme Moïse de Narbonne (1300-1362) parle, à la fin de ses gloses sur le roman philosophique de Ibn Tufayl, le fameux Hayy ibn Yoqzan, de la terrible épidémie qui ravage sa région en 1348 et qui tue, sans distinction, les bons avec les mauvais (wé-horégéuet tovim im ra’im). Cette attitude n’est pas si étonnante que cela puisque même le fondateur de l’historiographie scientifique ancienne, Hérodote, a pu être qualifié par certains de tout premier journaliste. On peut en dire autant de Thucydide, quoique dans une moindre mesure. Le fait de savoir ce qui se passe ailleurs mais aussi pas très loin de chez soi, comporte aussi des inconvénients. Au cours du Moyen Âge, mais cela n’a pas disparu entièrement par la suite, on voit apparaître de célèbres faux comme la prétendue Donatio Constantini qui faisait de l’église catholique l’héritière légitime de la quasi totalité de l’empire romain. Il arrivait aussi qu’on fît circuler des rumeurs concernant la fin du monde. Il s’ensuivait généralement une profusion de dons et de legs à la paroisse locale afin de s’assurer un bon séjour dans l’au-delà. On s’achetait une place au paradis… On pourrait rapprocher ce type de comportement à ce qui se passe aujourd’hui quand des spéculateurs préparent des coups en bourse… On fait grimper ou baisser une action qu’on rachète au bon moment pour réaliser de juteux profits.

Le commerce est inséparable des voyages, mais ces voyageurs ne déplacent pas seulement des marchandises avec eux ; ils permettent aussi un échange d’idées et d’informations. Prenons le cas des communautés religieuses, pas uniquement chrétiennes mais aussi juives, qui se transmettent des avis sur telle ou telle autre question théologique. Certains juifs étaient à la fois des érudits – hommes d’affaire (Haïm Zafrani) ; le cas le plus célèbre mais aussi le plus tragique nous est fourni par le frère cadet de Moïse Maimonide (1138-1204) qui perdit la vie dans l’océan indien, lors d’un voyage d’affaires. Le philosophe cordouan, en plus du deuil, dut éponger les dettes du disparu et veiller sur sa belle sœur et sa nièce… Je laisse de côté les grands voyages d’hommes de lettres comme Benjamin de Tudela dont les récits contiennent parfois plus de poésie que de vérité. Mais cela prouve au moins que ces voyageurs rapportent dans leur milieu d’origine une foule d’informations inconnues de leur public.

Il y a deux périodes distinctes dans l’existence, la diffusion et l’enracinement des idées et des événements dans l’environnement social : avant la découverte de l’imprimerie et après celle-ci. Les choses changent du tout au tout, même si dans une majorité de pays la censure fait son apparition et soumet les publications à des contrôles plus ou moins stricts. Certains imprimeurs / éditeurs qui se montrèrent imprudents, critiquant l’église et la hiérarchie catholique, le payèrent parfois de leur vie.

Il est un mouvement religieux qui bénéficia grandement de l’imprimerie, et n’aurait peut-être pas pu se diffuser aussi fortement sans elle, c’est la Réforme lutétienne. Ces feuilles volantes (Flugschriften) rédigées par Luther et imprimées par ceux qui croyaient en lui, changèrent la donne. Quiconque savait lire pouvait avoir accès à une information concernant les violents débats théologiques en cours. De plus, un tel mouvement sapa les fondements du magistère catholique qui, auparavant, régnait sans partage sur les sciences, les arts et tous les secteurs de la culture . JA montre, à l’aide de multiples exemples, que l’on avait vraiment quitté l’esprit de la philosophie médiévale, notamment dans l’Europe du Nord. Mais la Réforme transportait aussi dans ses bagages, l’humanisme. C’est-à-dire une autre vision du monde, une autre conception de l’homme, de sa destination et de son vécu.

Le critère visant à définir tel état ou tel autre comme satisfaisant aux exigences de la démocratie se mesure à l’aune de la liberté de ses écrivains, de ses penseurs, de ses philosophes et de ses… journalistes. Ce livre de JA qui fourmille d’indications de toutes sortes le montre bien. La puissance des Provinces-Unies, de la démocratie britannique er de quelques autres ilots préservés de la tyrannie, s’explique aussi par cette liberté de penser et de s’exprimer. Une remarque subsidiaire : avant le soi-disant printemps arabe certaines expressions n’avaient jamais cours ni dans les journaux ni ailleurs. Or, ces expressions existaient dans les dictionnaires, toutefois la presse avait peur, dans ces mêmes pays arabo-musulmans, de s’en servir : j’en retiens trois : les droits de l’homme (Houkouk al insane), la liberté d’opinion (houriyat al rayi) la liberté d’expression (houtiyat al ta’ bir)

(A suivre)

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