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Fédor Dostojevski, Les nuits blanches (Gallimard folio)

Fédor Dostojevski, Les nuits blanches (Gallimard folio)

Quand on a achevé la lecture de cette belle nouvelle, œuvre de jeunesse de l‘auteur, on se dit qu’aucun écrivain n’échappe à un processus de maturation ou dévolution, généralement dans le bon sens. C’est le cas aussi de l’auteur des Frères Karamazov qui avait aussi publié des œuvres moins marquantes dans la littérature universelle. L’histoire ici est assez simple quoique très belle : celle d’une rencontre des plus improbables dans les rues de Saint Petersburg , au cours d’une soirée entre mai et juin, une période au cours de laquelle la nuit ne dure que très peu d’heures, permettant à la ville de baigner dans un crépuscule presque romantique. C’est ce qui va arriver au narrateur, jeune homme de 26 ans, qui rencontre une belle jeune femme dont il va tomber follement amoureux. Le trait, disons le d’emblée, est aussi un peu autobiographique puisque dans la vraie vie, D. va s’éprendre de l’épouse d’un instituteur qu’il finira par épouser quand elle deviendra veuve…

Fédor Dostojevski, Les nuits blanches (Gallimard folio)

 

Voici un passage qui dessine bien les contours de l’événement : Je ne peux pas ne pas revenir ici demain. Je suis un rêveur, j’ai si peu de vie réelle, que des minutes comme celles-ci, comme maintenant, j’en compte si peu que je ne peux pas ne pas les reproduire dans mes rêveries. Je rêverai de vous toute la nuit, toute la semaine, toute l’année. Je reviendrai demain, obligatoirement…

Le ton général est donné, cet homme ne distingue pas de ligne-frontière claire entre le rêve et la réalité. La rencontre de cette jeune femme, en pleine rue de Petersburg, qu’il sauve des assiduités malveillantes d’un passant mal élevé va bouleverser son existence. La réalité est trop convenue, trop banale, pour espérer y vivre avec exaltation. Le seul fait de rencontrer une si belle jeune femme l’enflamme, il exige de la revoir, ce à quoi elle consentira après avoir souligné qu’il ne s’agira pas d’une liaison d’amour mais d’une simple relation d’amitié.

Un peu plus loin, lors de la seconde rencontre, la jeune femme demande à son visiteur de parler de lui, de raconter son histoire. Il ne comprend pas bien la demande et revient sur la notion du rêve et l’idée du rêveur : Le rêveur, s’il faut le définir en détail, n’est pas un hommes, savez vous ? Mais une espèce de créature du genre neutre. Il gîte la plupart du temps quelque part dans un coin inaccessible , comme s’il s’y cachait, même de la lumière du jour, et une fois rentré chez lui, il y est collé, comme l’escargot…

La conversation prend un tour étrange car en général c’est l’homme qui est à la manœuvre afin de mieux connaître l’être qui l’attire. Ici, c’est tout le contraire, c’est la jeune femme qui pose les questions et imprime à l’entretien une autre tournure. Elle aussi se prononce au sujet du rêve, en disant que cela fait beaucoup de bien de rêver. Probablement d’échapper à une réalité désespérante. Elle consent à livrer quelques détails sur sa vie quotidienne et parle d’une grand’ mère aveugle qu’elle soutient de son mieux.

Mais c’est le narrateur qui a la faveur de l’auteur puisque dans son interminable confession, il parle d’une communauté de destin, il évoque même le terme, pour dire qu’ils se connaissaient sans se connaître, se cherchaient l’un l’autre sans le savoir : En ce moment, ma chère Nastienka , où nous voilà réunis de nouveau après une aussi longue séparation -car je vous connaissais déjà depuis longtemps, car depuis longtemps déjà je cherchais une certaine personne, et cela signifie que je vous cherchais vous et que nous étions destinés à nous revoir maintenant- C’est là un hommage à la divine Providence qui a confié à d’humaines mains de nuer les fils d’une rencontre entre deux êtres, faits l’un pour l’autre. Belle mystique amoureuse qui prête à Dieu, comme dans la tradition juive, la faculté de prévoir quelles seraient les âmes sœurs depuis les six jours de la création… qui s’accoupleront.

Le terme Dieu revient presque cinq fois dans cette nouvelle. Mais c’est surtout de sa bienveillante Providence qu’il est question ici. Nous avons affaire à un écrivain qui a une forte sensibilité religieuse.

Mais c’est apparemment une leçon d’éducation sentimentale que F.D. entend nous donner ici. Il y a une sorte de retour à la lucidité, de regarder les choses en face et de ne pas se laisser aveugler par ses sentiments. On lit certains passage réellement misogynes La personnalité féminine est examinée sous son vrai jour, selon l’approche du XIXe siècle et de sa littérature. La femme est dépeinte comme un être faible et changeant, surtout en amour, variant sans cesse et peu fiable. Ce qui accentue le retour chez l’homme à une plus forte lucidité. La fin est assez surprenante mais somme, toute assez convenue : la femme se remet vite de l’inconstance de son amant mais hésite quelque peu entre deux hommes. Pour finir, elle choisit d’envoyer une lettre à son amant éconduit afin de s’expliquer. Elle implore le pardon de celui qui fut son confident aux temps difficiles et tout en choisissant refuse d’arrêter son choix. Ce fut un choix difficile car amour et colère dominent tour à tour son cœur. Elle pense que son premier amant ne tiendra pas sa promesse mais dès que s’avère le contraire, elle se pend à son cou sous les yeux enamourés du second homme…

C’est l’alliance de l’eau et du feu : elle opte pour l’amour du premier et tient aussi à l’amitié du second. C’est toujours une cote mal taillée, mais l’auteur, qui écrivit cette nouvelle, à un âge encore jeune, écrit ceci pour clore cette histoire : Ô mon Dieu ! Une minute entière de félicité ! Mais n’est ce pas assez pour toute une vie d’homme…

 

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