Laurence Malençon, L’indivisible. (Jeux d’amours et d’espionnage sous la Révolution (Plon)
Quand on dit l’indivisible, on pense évidemment à la République une et indivisible…
Voici un beau roman historique, remarquablement bien écrit et qui tente de nous faire revivre les multiples préoccupations ou tribulations d’une époque que l’historiographie officielle, je veux dire celle qu’on enseigne dans les écoles et les universités, a idéalisées de son mieux. Et on lisant attentivement ce roman, on se rend compte qu’il y a l ‘histoire officielle et l’histoire réelle. C’est une vaste fresque que l’auteur nous présente avec ses hauts et ses bas quand il s’agit de donner la parole à des acteurs de l’importance de Robespierre ou de Marat, pour ne citer que ces deux personnalités qui ont connu une fin tragique, mais après avoir avalisé une telle effusion de sang…
Laurence Malençon, L’indivisible. (Jeux d’amours et d’espionnage sous la Révolution (Plon)
Quand on dit l’indivisible, on pense évidemment à la République une et indivisible…
Une brève présentation du canevas et des personnages principaux: le narrateur dit être le secrétaire particulier, l’homme de confiance d’un important duc suédois qui va être arrêté par les révolutionnaires qui voient en lui un ennemie de la République et, partant, de tous leurs idéaux .. La fonction du narrateur est donc de veiller sur lui alors qu’il reste détenu dans une prison. Son fidèle secrétaire nous décrit les conditions de détention de ce duc Thorvald ; il parle de la possibilité pour le célèbre détenu de vivre dans un intérieur autre que purement carcéral puisqu’il est entouré de ses propres meubles et peut même disposer de ses instruments de musique. Ce duc a une fille qui souffre d’épilepsie et sur laquelle le secrétaire est chargé de veiller durant la détention de son père. Le secrétaire ne ménage ni sa peine ni son temps pour obtenir enfin l’élargissement de son employeur. Pour bien le servir, il lui rend visite chaque jour quand soudain, alors qu’il se présente devant la prison, on lui annonce que son maître a été guillotiné le matin même… Au motif qu’il s’agissait d’un ennemi de la République et d’un espion stipendié par les ennemis de la France révolutionnaire.
S’ensuit toute une cascade d’événements qui forcent le secrétaire particulier, désormais libre de son temps, à obtenir un emploi au ministère des Relations extérieures, tout en continuant à protéger la jeune princesse. Mais il doit dissimuler l’identité de sa protégée qui serait menacée des pires dangers si l’on découvrait qu’elle était la fille d’un prétendu ennemi de la Révolution… A cette époque si troublée de la vie politique française, n’importe qui soupçonnait n’importe qui d’autre. Tout le monde était suspect aux yeux de tout le monde. Même les organes de la sûreté du territoire et du comité de salut public se méfiaient les uns des autres, pensant qu’ils abritaient des espions.
L’auteure a concentré toutes ces actions sur les années 1792-1794. Bien que le secrétaire disposait d’un salaire confortable d’un petit fonctionnaire, chaque jour, la jeune duchesse, habillée comme une simple femme du peuple, devait aller quérir de quoi manger. Elle ne devrait pas sortir, de peur d’être reconnue, mais elle se languissait dans un logis exigu qui n’a rien à voir avec le luxe et le confort du château paternel… C’est un peu la vie quotidienne à Paris au premiers mois de la Révolution.
Pour faire bonne mesure et montrer que les révolutionnaires n’en sont pas moins hommes avec leurs faiblesses et leurs bassesses, l’auteure commence par décrire des cercles de jeux qui servent de paravent à des ébats amoureux entre personnes du même sexe. Et le ci-devant secrétaire particulier relate ses étreintes ardentes avec le jeune serveur de cet établissement que même les pontes du nouveau régime fréquentent assidument. Mais comme dans tout régime politique qui prétend laver plus blanc que blanc, les scandales à la fois politiques et financiers ne manquent pas. Et notre narrateur va se trouver mêlé à son corps défendant à l’un d’entre eux, en l’occurrence la faillite de la Compagnie des Indes… On lit que la liste des députés indélicats est en cours d’établissement, que même les plus incorruptibles y figurent et qu’elle risque, telle une déferlante, tout emporter sur son passage. Et en fait, on lit des passages où les hommes les plus puissants du moment craignaient pour leur vie.
On demande au fonctionnaire du ministère d’espionner ses collègues, voire de mener à bien une mission de la plus haute importance sans jamais en référer à ses supérieurs hiérarchiques directs. Les descriptions avec Robespierre sont décrits avec brio, laissant entrevoir l’ambiguïté fondamentale du personnage. Comme la France révolutionnaire est en guerre avec la terre entière, il lui faut un armement de qualité, or l’armée française est très mal équipée ; la solution serait d’exploiter les connaissances de cet ancien secrétaire qui fut au service d’un grand aristocrate suédois ; par son intermédiaire on pourrait bien faire l’acquisition de vingt mille solides fusils suédois, dernier cri de l’industrie militaire, ce qui changerait la donne et ferait pencher la balance e n faveur des bonnets phrygiens… Notre homme demande qu’on lui accorde un temps de réflexion. Et surtout, il se rend compte qu’en donnant son avis ou son conseil à un collègue il l’a indirectement envoyé à la guillotine… Il convenait donc de bien réfléchir avant d’agir.
Nous trouvons un intéressant débat (fictif) avec Robespierre en personne sur le thème de l’athéisme. Je relève une phrase qui est pleine de sens : Les Lumières ne sont pas là pour enlever la spiritualité du monde mais pour nous permettre de la comprendre… Il s’agit de montrer que la Raison ne jouit pas d’une totale universalité et qu’elle ne peut pas rendre compte de tout d’une manière satisfaisante. Ce débat, crucial pour la culture européenne, durera même jusqu’au beau milieu du XXe siècle… La Raison mène la critique des traditions religieuses qu’elle met à nu, pour parvenir parfois à un grand aveuglement, la négation d’une force cosmique imprimant sa marque à l’univers et que l’on nomme communément… Dieu.
Ce petit passage est crucial car de son usage dépend la réussite des idées révolutionnaires, notamment dans leur combat contre un catholicisme conservateur dans des régions en proie à des tendances séparatistes. Mais par delà tout ce qui fait de cette œuvre un bel ouvrage, c’est la mention de la terreur, les condamnations à mort comme s’il en pleuvait, jusqu’au jour où le grand maître d’œuvre de toutes ces effusions de sang fut victime à son tour de ce qu’il avait infligé à ses ennemis. Il existe une justice immanente qui contrôle le mécanisme du balancier… Sans même parler de l’exécution de Louis XVI qui hurla son innocence même sur l’échafaud, ni celle de Marie-Antoinette sur laquelle sr portèrent les soupçons les plus graves (Axel de Fersen), ce fut cette ivresse de sang qui ternit à tout jamais l’esprit de la Révolution de 1789. En pesant mettre un terme à une violence intolérable on a généré une violence tout aussi inacceptable
Un beau roman, malgré tout. Certes, un peu long mais on ne s’ennuie pas en le lisant.