La ferme de l’enfant-loup Jean-David Morvan, Facundo Percio, Patricio Delpech (Albin Michel)
Je suis impressionné par cette très belle bande dessinée. Pour moi, c’est le baptême du feu, c’est la première fois que je rends compte d’une BD. Je ne sais pas vraiment comment faire, car c’est très différent du traitement réservé aux livres normaux. Alors je me jette à l’eau en espérant bien faire.
La ferme de l’enfant-loup Jean-David Morvan, Facundo Percio, Patricio Delpech (Albin Michel)
Ce qui me frappe, c’est la mimique des personnages, leur expressivité ; certes, ils s’expriment clairement et les dialogues sont simples, usuels, sans surprise. Mais les traits du visage véhiculent le sens et les sentiments éprouvés par les personnages. Il faut beaucoup de savoir-faire pour communiquer de cette façon. Ainsi, quand les personnages sont confrontés à des choix quasi existentiels, c’est à l’expression de leur visage et de leurs yeux qu’on le voit…
De quoi s’agit-il ? Il s’agit de sept maquisards ou résistants qui se trouvent dans le maquis du Vercors en juin 1944. Le Débarquement a réussi en dépit d’effroyables pertes ; les alliés ont tenu bon et ont pu s’engager dans les terres, faute d’une réaction allemande suffisamment forte. Les résistants, cinq hommes et deux femmes échafaudent des plans pour constituer des poches de résistance face aux Nazis afin de réduire leur pression sur les alliés venus libérer la France. Les résistants se croient à l’abri des véritables murailles naturelles du Vercors , pensant résister dans ce havre naturel, plutôt inaccessible. Il est vrai que, vu d’en bas, le massif du Vercors semble imprenable. Mais ce n’est pas vrai. Malheureusement, le 21 juillet 1944 les unités spéciales de l’armée allemande investissent le massif et annihilent tout le maquis.
On déchiffre tous les échanges des résistants entre eux. On voit comment ils assurent leur tour de garde, comment ils abattent des arbres pour avoir une meilleure visibilité et contrôler les mouvements des forces ennemies. Malheureusement, le déséquilibre des fonces en présence était trop grand… Mais l’évocation de ce drame est poignante.
On suit ce groupe de sept maquisards depuis le début. A bord d’une conduite intérieure noire et sur des vélos, ils s’engagent dans le massif et au bout de quelque temps, ils découvrent, à l’air libre, un charnier qui date de juin 40 : les soldats nazis avaient assassiné toute une famille vivant dans une chaumière et laissé les cadavres sana aucune sépulture, à l’air libre . Les résistants s’emploient à leur en donner une et chacun se met au travail pour creuser des tombes. Les deux jeunes femmes partent à la recherche de draps dans la bâtisse pour en envelopper les cadavres. Elles finissent par en trouver. Mais il restait des débris humains que les résistants décident de brûler. Ce qu’ils ignorent, c’est que la fumée du brasier est observée de loin par un enfant, le seul rescapé du massacre qui, depuis le mois de juin 40 vit comme un enfant sauvage dans le Vercors. C’est le rescapé de la famille des Aguittaz assassinés … C’est l’enfant-loup.
On l’appelle ainsi car pendant toutes ces années il a vécu seul, livré à lui-même, dans le massif, se nourrissant comme il pouvait et toujours aux aguets afin de ne pas disparaître comme le reste de sa famille… Il s’était confectionné des armes rudimentaires afin de chasser et de pécher des poissons.
Il observe de loin comment les résistants remettent la bâtisse en état et en font leur QG où ils installent leur poste émetteur-récepteur. Ils trouvent même, dans la maison, des ingrédients pour fabriquer de la gniole de contrebande qu’ils consomment généreusement.
Je n’avais, comme je l’ai dit plus haut, encore jamais pris en main une si belle BD ni n’en avais encore recensé aucune. Ces croquis sont un véritable travail d’artiste et je félicite leur auteur. La fabrication même est des plus réussies. Juste une petite réserve qui tient plus à l’état de mes yeux qu’à cette BD. Le corps de caractère pourrait être un peu plus grand, cela faciliterait les choses. C’est un détail technique qui compte.
Ces coups de crayon sont frappants, plus suggestifs encore qu’un livre ordinaire : je repense à la découverte du charnier, et plus loin, à l’arrivée en masse des troupes ennemis (plusieurs milliers), le massacre des résistants, etc… Il ne faut pas oublier les rencontres entre les chefs des réseaux de la Résistance. Les plans d’attaque des montagnards (nom de code du Vercors) sont soumis à des délégués venus de Londres. Les rendez-vous sont déplacés à la dernière minute pour éviter les coups de filets de la Gestapo ou simplement les trahisons. Bref, toute l’ambiance de l’époque est restituée, celle d’un monde de clandestins, d’agents opérant sous couverture…
On écoute aussi radio-Londres à 20h15, guettant le moindre message personnel codé signifiant que Londres, donc le général de Gaulle, a donné son accord à une opération préparée par les montagnards. Les maquisards redoublent de prudence et évoquent les arrestations qui ont eu lieu sur tout le territoire national, prouvant ainsi que l’Abwehr est aux aguets.
Mais le plus important va arriver lorsque les occupants de la chaumière se rendent compte que quelqu’un s’est introduit sur place et a dérobé de la viande dans le garde-manger… On pose la question à chaque membre : qui avait si faim au point de se servir sans autorisation ? En fait, on finit par mettre la main sur l’enfant-loup, le fameux rescapé du massacre de juin 40…
La surprise fut totale. L’une des deux femmes du groupe entreprend de s’occuper du sauvageon qui se débat comme un beau diable. On lui redonne une apparence humaine en lui coupant les cheveux et en le plongeant dans une sorte de baignoire pour le décrasser..
La fin, vous la devinez, hélas.
Mais les martyrs du Vercors ont permis de retarder l’assaut de l’armée nazie ; leur sacrifice ne fut pas inutile. Une BD a lire, absolument.