Jean-Michel Blanquer, École ouverte. Gallimard
J’ai lu cet opuscule avec bien du plaisir, je redoutais d’avoir affaire à une prose ministérielle fade d’un homme politique avide de lancer, comme tous ses prédécesseurs, une énième réforme de l’éducation nationale. Or, il n’en est rien, le ton est lucide, sans être passionné ni obsédé par ses propres vérités. En outre, JMB peut se prévaloir d’une exceptionnelle longévité à la tête d’un ministère, jadis comparé à l’Armée Rouge en raison de ses effectifs jugés pléthoriques ou à un «mammouth qu’il fallait dégraisser»… Et aussi, un département ministériel connu pour ses turbulences coutumières et ses grèves à répétition. Enfin, le profil même de JMB a joué dans le bon sens : issu, comme nous, du corps des professeurs d’université, passionné par les questions d’éducation au point d’avoir nommé recteur d’une académie non dénuée de problèmes, il a fini par gagner naturellement ses galons de ministre. Enfin, un homme, issu de nos rangs et qui connait de l’intérieur les problèmes et les questions qu’il convient de traiter en urgence. Il faut rendre hommage à un homme qui a eu le courage d’affirmer ses opinions, même quand l’opinion publique optait pour d’autres solutions. Je pense évidemment à la fermeture ou, au contraire, à la réouverture des établissements d’enseignement. JMB a fait de l’éducation nationale et de l’École ( qu‘il écrit avec un E majuscule) un élément central des institutions républicaines.
Jean-Michel Blanquer, École ouverte. Gallimard
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Il débute son propos en rappelant des idées qui gisent au fondement même de l’être humain, ses droits inaliénables, sa capacité à apprendre et à s’élever grâce précisément à son éducabilité. JMB a aussi rappelé, au détour d’une phrase, la nécessité pour l’homme de vivre au contact d’autres êtres humains, idée chère à Hegel qui nous apprend qu’on est homme parmi les hommes. Or, c’est dans le cadre multiforme de l’école que le bébé à la crèche et l’enfant à l’école, se confronte aux autres. Cette remarque rappelée par JMB m’a rappelé le beau livre de Martin Buber (mort en 1965 à Jérusalem), intitulé Je et Tu (Ich und Du, 1923) : c’est en disant tu que je deviens je, sinon je n’existe pas. Ce qui inspirera à Emmanuel Levinas le commentaire suivant : mon moi, ce sont les autres…
Après ces généralités, JMB en vient à la gestion de l’école pendant la crise de la pandémie. Certes, sur cette partie centrale du récit il y aura des voix contradictoires qui s’élèveront (si ce n’est pas déjà fait) tant la presse française se veut l’élève d’Alain pour qui penser, c’est dire non. Mais dépassons ces luttes, ces chamailleries partisanes car l’enjeu est précieux pour l’avenir de nos sociétés occidentales : comment priver d’éducation, pendant de longs mois, toute une jeunesse qui risque, dans ce cas, d’accumuler les handicaps lors de son entrée dans le société ou à son arrivée sur le marché du travail. JMB rend un hommage mérité aux équipes de la maison Éducation nationale qui ont déployé des efforts surhumains pour que l’institution continue de fonctionner tant bien que mal. Quel que soit le lieu d’où l’on parle, il faut bien reconnaître qu’en dépit des manquements (l’absence cruciale de masque), les personnels au ministère et dans toutes les académies (même pour nos compatriotes ultramarins) n’ont pas ménagé leur peine. Mais ce qui ne laisse pas de frapper l’observateur impartial, c’est le centralité effective de cette institution qu’est l’éduction nationale : quand le pouvoir a été contraint de confiner adultes et enfants chez eux durant plus de deux mois, les médecins, les psychologues, les infirmiers, toutes les professions concernées ont été sollicitées pour amortir les dégâts, quand cela était possible.
J’attire l’attention sur une remarque allusive du titre : Ecole ouverte, ouverte dans tous les sens du terme. Ouverte, donc non fermée, capable de recevoir les enfants et de leur prodiguer un enseignement auquel ils ont droit, et ouverte dans le sens d’une sanctuarisation, la mettant à l’abris de débats politiques et religieux. Ce qui nous conduit dans une autre problématique autrement plus risquée…
C’est ainsi, semble-t-il que naquit l’idée séduisante et brillante de vacances apprenantes, nécessaires pour rattraper le retard subi lors du confinement. Là aussi, la décision de rester fermé ou de rouvrir était lourde de conséquences. Les services administratifs avaient averti qu’il fallait agir au plus vite.
Évidemment, dans un pays comme la France, plus que partout ailleurs, toute décision est âprement combattue , selon le mot du philosophe Alain. Mais cela ne prête plus à rire quand on considère l’incroyable judiciarisation de la vie politique : les juges font leur travail mais ils ne doivent pas se substituer aux élus qui, eux, disposent d’une mandat électoral. Sinon plus personne n’agira et on a même entendu dire que tel ou tel gouvernant passe beaucoup de son temps à gérer son risque pénal…
L’émotion n’est pas totalement absente de ce petit livre, mais elle est sous contrôle. C’est terrible, quand vous êtes ministre de l’Éducation nationale, d’apprendre qu’on a assassiné un de vos professeur, Samuel Paty, en l’occurrence. C’est un véritable traumatisme, quelque chose qui risque de vous poursuivre longtemps, même si vous n’y avez aucune responsabilité, directe ou indirecte. Je pense néanmoins, que les hiérarchies éducatives n’ont pas toujours bien réagi lorsque des collègues se plaignaient de la radicalité de certains enfants à l’école. Et on leur répondait souvent qu’il ne fallait pas faire de vagues.. Ce que les ennemis de la République interprétaient comme un infamant signe de faiblesse.
Sur ce point précis, cette grave erreur de jugement, le ministre actuel prend des engagements et personnellement, je n’ai aucune raison de douter de sa sincérité. Mais on paye des décennies de laxisme et d’abandon des professeurs à eux-mêmes ; ils ne se sentaient pas soutenus et cela est éminemment regrettable. Le ministre ne m’en voudra pas, j’espère, mais les choses doivent être dites.
La seconde partie de ce brillant essai permet à JMB de se lancer dans des prospectives. Il a raison de dire que l’éducation est l’investissement le plus productif qui soit. Moi, j’ajouterai même que la France ne conserve son statut de grande puissance que grâce aux domaines de la culture et de l’éducation. Faute de bien s’occuper de ce double domaine, elle devient, selon le mot de Henry Kissinger, une grande puissance de taille moyenne.
Ce qui n’est pas vraiment un compliment…
Mais le présent ouvrage prouve parfaitement bien que son auteur est heureux de se trouver là où il est. Et ce n’est pas une chose qui va de soi quand on jette un regard rétrospectif sur les expériences du passé. L’école, l’éducation, l’égalité des chances, l’ascenseur sociale etc… occupent une place spéciale dans la sensibilité des Français.