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ean-Eric Boulin , Les hontes, Fayard, 2021

Jean-Eric Boulin , Les hontes, Fayard, 2021

 

C’est un roman remarquablement bien écrit  qui développe une double histoire, deux récits qui s’imbriquent harmonieusement l’un dans l’autre et qui finissent par fusionner. L’histoire-cadre relate une relation amoureuse qui connait les vicissitudes de ce genre d’histoire : démarrage en trombe, intense dépendance l’un de l’autre dans un couple et au fil des jours, l’épuisement du désir amoureux, l’évolution parallèle des membres du couple, qui changent et pas nécessairement dans le même sens. Mais parallèlement au délitement de ce couple, on voit émerger une amitié entre un Français de souche et un jeune maghrébin, natif de Marseille puisque c’est cette cité phocéenne qui sert de toile de fond à l’intrigue… C’est là que tout commence et c’est vers cette ville que tout revient. Cela, d’ailleurs, explique ce titre assez curieux, énigmatique : le jeune Maghrébin qui cache soigneusement ses origines dont il a honte et qu’il considère comme étant invalidantes, voire pénalisantes, change de prénom : de Réda il devient Jean-Réda, un changement qui favorise effectivement son ascension sociale, sans hélas lui apporter la paix intérieure et la joie de vivre tranquillement dont il a tant besoin, sans le savoir…

 

Jean-Eric Boulin , Les hontes, Fayard, 2021

 

C 

Les premières pages du roman sont un enchantement ; il est vrai qu’elles décrivent tendrement le coup de foudre entre ce jeune Marseillais et cette belle Italienne qui tombent sans coup férir dans les bras l’un de l’autre. La fusion est si forte que le jeune homme emménage chez sa dulcinée. Un temps, on quitte le couple d’amoureux pour s’intéresser à la carrière de l’ami d’enfance, un Arabe (c’est lui qui se définit ainsi), face aux blancs, les Français. On démarre donc avec des divisions, des ségrégations palpables, d’un côté les natifs, français de souche, de l’autre ceux qui s’auto-définissaient comme des Arabes. Mais l’amitié entre les deux adolescents n’en souffre guère…

 

Le narrateur décrit le décollage foudroyant de son ami qui est repéré par les candidats à la mairie qui ne vont pas tarder à lui offrir  un poste de porte-parole. Mais un article dans les journaux ruine les espoirs de la future maire de Marseille qui se voit accusée d’avoir fomenté des troubles afin d’angoisser les gens et les faireà voter pour elle. Elle est contrainte de démissionner en raison de ce scandale. Mais le malheur des uns fait le bonheur des autres : le président de la République qui suit les événements de près depuis Paris, décide de recruter le jeune homme pour le nommer, après une période d’essai, porte-parole du gouvernement.

 

Le narrateur, soucieux de produire son effet, décrit minutieusement la ruche politique parisienne qui regroupes quelques personnes, fort influentes, désireuses de bloquer cette ascension apparemment irrésistible. Le jeune Réda devenu Jean-Réda (quoi de plus français comme prénom ?) change de comportement et de train de vie ; adulé, invité par toutes les célébrités parisiennes, il est devenu un passage obligé pour tous ceux et toutes celles qui rêvent de faire une carrière politique ou culturelle ou autre… D’autres se penchent avec méchanceté sur son pédigrée et parlent d’un homme qui cache bien ses origines. De telles accusations refont surface lorsque Réda se marie avec une riche héritière, proche de la Maison de France.  Certes, le nouveau promu continue de revoir son ami d’enfance qui se livre à une analyse très fine très fine des chances qu’a un Maghrébin ordinaire de grimper très haut dans l’échelle sociale.

 

L’auteur nous prépare au drame final. Cette intégration au sein de la société française, et pas n’importe laquelle, trahit sa fragilité et sa précarité à la fois. L’effondrement de ce jeune homme qui, extérieurement, semble avoir réussi à tout mettre de son côté, est la face grimaçante à la Janus. En tentant de détruire les préjugés dont il a été victime il s’est détruit lui-même. C’est dire aussi que ce qui est en jeu exige un énorme prix à payer… Avec cette insupportable pression, politique, sociale mais aussi familiale, notre homme ne pouvait plus vivre.

 

Est-ce à dire que le narrateur fait le procès d’une impossible intégration  ou assimilation ? Est-ce que devenir un citoyen français comme les autres ou bien mieux qu’eux est inatteignable  pour l’Autre, le non-Français de souche ? En d’autres termes, est-ce que le prix à payer est trop élevé ? Est-ce que Réda en devenant Jean-Réda s’est menti à lui-même, n’était pas à sa place ? Il a fini par éprouver une véritable haine de soi dont son épouse s’est inquiété tant son comportement était devenu masochiste… Il sombre aussi dans l’alcoolisme  et les effets commencent à se voir.

 

Le narrateur a aussi voulu montrer que cette fulgurante ascension sociale et politique a exigé un très lourd tribu alors que son ami marseillais dont le couple bat de l’aile, continue de mener une vie ordinaire, sans relief mais lui au moins ne sombre pas dans le désarroi d’une existence imposée de l’extérieur.  Les deux couples forment un double antithétique : celui qui n’a rien à démontrer mène une existence morne, la nôtre, alors que celui qui avait tout à justifier, en l’occurrence son appartenance à la socio-culturelle, trébuche à la fin de cette course effrénée. La vie est cruelle et la leçon semble claire ; ne pas troquer son  identité  propre contre le plat de lentilles de la culture européenne. Cela signifie que le problème demeure entier.

 

Voici ce que dit le principal intéressé après la crise qui va sceller sa chute sur tous les plans :   Je ne sais pas pourquoi j’ai vrillé comme ça. L’acculturation, sûrement. Un truc vraiment con, mais peut-être pas tant que ça.

 

Le jeune Marseillais qui a fréquenté les plus hautes sphères incrimine  l’acculturation, sans la condamner de manière irrémissible. Il doit bien exister une bonne façon de mener à bien l’insertion dans une autre culture. Quoiqu’il en soit, il faut bien se dire que ceux qui quittent tout pour migrer vers un ailleurs dont ils ne savent rien, ne le font pas de gaieté de cœur. Et parfois, on exige un peu trop d’eux.

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