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Les karaïtes prennent enfin la parole…

Les karaïtes prennent enfin la parole…

 

Lorsque j’ai visionné le beau film de Monsieur Vladimir ELI sur les karaïtes de San Francisco, qui dure une bonne heure, l’envie m’a pris d’en parler ici. Mais, tout d’abord, quelques généralités sur cette secte juive dissidente, qui vit à l’état schismatique depuis les VIII-IXe siècles  

 

Le nom qu’elle porte définit bien son programme : contrairement à leurs frères ennemis rabbanites, ils ne reconnaissent pas la loi orale, c’est-à-dire tout le grand corpus du talmud et du midrash qui ont pourtant, au fil des siècles, façonné la religion juive actuelle connue sous le nom de judaïsme rabbinique. Le mot karaïsme vient du verbe ou du substantif hébraïque KARAH qui signifie lire. Karah et son dérivé Miqrah connotent l’idée de lire ce qui est écrit et rien d’autre. Les karaïtes se fient exclusivement à la Bible hébraïque et à ses vingt-quatre livres, reconnus  comme faisant partie de la Tora écrite, la seule qui soit contraignante pour l’orant juif d’obédience karaïte. D’où le schisme puisque, faute de concordance documentaire entre les deux traditions, les deux partis ne manqueront pas de se séparer l’un de l’autre sur des questions pratiques ; la détermination des fêtes religieuses, le mode d’abattage des animaux consommables, les interdits sabbatiques, la circoncision, l’hygiène familiale, et tant d’autres pommes de discorde qui rendaient impossible toute vie religieuse commune. Et je ne parle pas de leur prosternements durant la prière, leur déchaussement, le dépouillement strict de leurs lieux de culte, etc

 

Les karaïtes prennent enfin la parole…

 

 

 

 

Les karaïtes font leur apparition peu après l’émergence de l’islam dont ils furent très proches, quand ce ne serait qu’en raison de leur grande expertise en linguistique arabe. Même si la lexicographie hébraïque (Mahbarot ; Sefer ha-Shorashim, Hayoudj, rabbi Yona, etc…) s’était développée dès les IX-Xe siclés, indépendamment des frères ennemis, ces derniers étaient de redoutables philologues, et  ceci avait de graves répercussions dans l’exégèse comparée des uns et des autres.

 

Lorsque j’étais à New York pour publier une étude parue dans la Jewish Quarterly Review (JQR), j’avais été reçu avec une grande bienveillance par un éminent savant , le professeur Léon Nemoy qui avait publié en 1952 une Karatite anthology. Mais je connaissais les études  en  allemand de Moritz Steinchneider sur cette secte dissidente. Et puis, j’était l’un des disciples du regretté Georges (Yehua Aryé) Vajda (1908-1981) qui s’était beaucoup intéressé à cette question. Les spécialistes connaissent ses études sur Qirqisani, Youssouf al Bassir, Salmo ben Yerugim, les commentaires karaïtes de l’Ecclésiaste et de tant d’autres contributions à l’histoire de cette religion qui s’était écartée de l’axe central de la pensée rabbinique.

 

Je relate tout ceci en termes lapidaires afin que nos lecteurs ne soient pas perdus sous un flot de détails historiques. Mais il me faut ajouter quelques chose attestant l’état de belligérance spirituelles entre ces deux partis de la religion juive : lorsque Maimonide, fuyant l’Espagne, débarque à Alexandrie, il réalise vite qu’il ne peut pas y séjourner durablement en raison de l’implantation solide d’une large communauté karaïte avec laquelle il serait entré en conflit… C’est la raison pour laquelle il s’est installé à Fostat, non loin du palais du sultan au Caire.

 

A présent j’en reviens au film d’excellente facture, fourni par Monsieur Vladimir ELI, portant sur les karaïtes d’origine égyptienne. Donc des êtres bien  vivants en chair et en os, descendants directs de ces mêmes personnes avec lesquelles  Maimonide eut maille à partir vers la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe puisqu’il a quitté ce monde en 1204. Je souligne que, dans sa sagesse et sa volonté d’apaisement, Maimonide avait fait preuve d’ouverture d’esprit face à des collègues dissidents qui ne voulaient pas déroger à leurs propres règles. Ce sont donc les lointains descendants de ces êtres qui ont été filmés à San Francisco par le vidéaste et son équipe.

 

On assiste donc au déroulement d’une soirée pascale, un séder karaïte au cours duquel les membres de la communauté récitent les prières et observent les mêmes rites ou presque que les rabbanites. Si j’ai bien compris ce que disaient certains convives, les oppositions se sont réduites, on a arrondi les angles et le dialogue est en bonne voie. Cette atmosphère festive montre que cette communauté est, à l’état résiduel, fidèle à son héritage qui remonte aux premiers siècles de l’islam.

 

Mais par delà les divergences rituelles ou théologiques, on sent une certaine fierté, une fidélité aux enseignements des siècles passés ainsi qu’une volonté de rapprochement. Les karaïtes ont fait preuve d’une indéniable résilience puisqu’ils n’ont pas péri dans les tourbillons de l’Histoire, même si ce sont leurs frères rabbanites qui ont dominé plus de deux millénaires d’histoire religieuse et culturelle juive. Et ce sont eux qui se sont imposés dans la constitution du rabbinat et de la religion juive en tertre d’Israël.

 

Raison de plus de prendre connaissance de c beau film réalisé par Monsieur ELI qui donne généreusement la parole aux karaïtes de cette grande cité américaine. Vous y trouverez maintes informations répondant à toutes vos questions. Vous y découvrirez aussi des détails inconnus de l’histoire juive, une histoire qui a fait l’objet de graves contestations d’ordre rituel ou théologique. Mais le temps soigne les blessures et finit par susciter des rapprochements.

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