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Philippe Hammon : 1453-1559 : Les Renaissances. Gallimard, 2022

Philippe Hammon : 1453-1559 : Les Renaissances. Gallimard, 2022

 

Voici un bel ouvrage qui replace l’historiographie sous un angle autre que celui généralement adopté par les grandes phalènes de la discipline, tells Michelet qui opéra une coupure un peu trop tranchée entre l’automne du Moyen Âge et les Lumières de l’époque moderne. Ces quelques lignes m’ont rappelé une appréciation portée sur l’œuvre de Michelet en matière d’Histoire de France : en le lisant (Michelet) on en apprend autant sinon plus sur Michelet lui-même que sur l‘histoire de  France… C’est assez vrai et le présent ouvrage se démarque de cette vision un peu simpliste, car l’époque moderne est contenue en germe dans la période qui la précède : la Renaissance ne succède pas à l’automne du Moyen Âge, elle lui est, ne quelque sorte, consubstantielle…

Philippe Hammon : 1453-1559 : Les Renaissances. Gallimard, 2022

 

 

J’ai eu l’opportunité, dans une précédente note, de souligner l’extrême richesse culturelle de la période dite médiévale qui explique en partie la formidable puissance acquise au fil des siècles par l’Occident. Sans les approches fondatrices de lé période précédente, l’Europe des temps modernes n’aurait pas pu briller de mille feux ni imposer son hégémonie militaire et religieuse au reste du monde… En fait, il ne faut pas confondre moyenâgeux et médiéval.

 

Et cette période quais nodale comprend d’énormes changements dans le monde ambiant et dans la société elle-même. Sans même parler de la découverte de l’Amérique en 1492, l’expulsion des juifs de la péninsule ibérique et des grandes avancées techniques dans bien des domaines, les Européens se sont aussi confrontés, par leurs penseurs interposés, à l’air du temps (Zeitgeist), tout à son affaire : rapprocher la religion et les dogmes religieux des retombées de l’hellénisme tardif, en fait revoir la problématique opposant la Révélation et  la Raison. Cela revenait à intégrer les progrès réalisés en matière d’exégèse, voire de critique biblique (Spinoza).

 

Au plan politique aussi, la période a été faste. Les émissaires royaux s’étaient consolidés, le pouvoir royal s’était raffermi, des frontières nouvelles s’offraient pour ceux qui savaient entreprendre. Le fait démographique est particulièrement intéressant puisque, à quelques exceptions près, on assiste à une progression constante de s habitants du royaume de France. Face à cela, on assiste aussi à un accroissement de la production agricole, ce qui constitue un facteur de stabilité tant économique que politique.

 

Mais le plus important dans toutes ces mutations, me semble être ailleurs : l’idée même de Renaissance est à l’œuvre, en gésine de tout autre chose , à savoir le renouvellement des idées, des croyances et de vision ou de conception du monde.(Weltanschahung). Je pense évidemment à l’humanisme et à la Réforme luthérienne et calviniste… Pour la première, une critique vigoureuse se penchait sur la validité des dogmes chrétiens, au sein de l’église elle-même. Lorsqu’en 1515, un moine nomme Martin Luther placarde ses thèses à la porte de son église, personne ne se doute que cet acte va entraîner des conséquences insoupçonnées (Thesenanschlag)…  On peut parler d’un véritable schisme puisque Rome n’est plus considérée comme la source incontestable et incontestée de la vérité religieuse, décrétée par le pape. Les catholiques ne sont plus les seuls maîtres à bord ; il y a les réformés , les évangélistes et tant d’autres sensibilités religieuses. Aucune ne sortait à l’extérieur du giron du Christ mais chacune avait désormais sa propre approche.

 

Pour que l’horizon intellectuel se soit élargi à ce sont, allant jusqu’à contester des doctrines vieilles de quinze siècles, un sang neuf, une culture nouvelle s’étaient produites. En Angleterre, on adopt a le slogan back to the Bible. Et dans  le reste  de Europe Chrétienne on optait pour la sola scriptura… Seule l’Écriture, la Bible, pouvait être considérée comme la source de la pratique religieuse. En d’autres termes, on souhaitait se passer des interprétations parfois arbitraires de l’église. La redécouverte de l’hébreu er de l’araméen, mais aussi du grec, prouva que l’exégèse biblique devait retrouver une certain autonomie et ne plus jouer un rôle simplement ancillaire.

 

Curieux de tout, à l’affût de nouveautés et de trouvailles exégétiques, les humanistes découvrent un domaine absolument inconnu d’eux, la mystique juive qui va bizarrement accoucher de la kabbale chrétienne. Les écrits mystiques juifs et hébraïques deviennent un arsenal apte à démontrer la véracité du message chrétien. Optant pour la théorie de l’antiquité du Zohar, la Bible de la Kabbale espagnole (milieu du XIIIe siècle), les kabbalistes chrétiens voulaient faire croire que l’avènement de leur nouvelle religion était annoncé dans ces vieux livres…

 

Et l’auteur a raison de parler d’une société en mouvement, traversée par des courants divers, dictés par la loi de l’échange. Aucune société ne peut progresser en restant repliée sur elle-même, coupée du reste du monde. La découverte du Nouveau Monde a produit, toutes proportions gardées, le même effet que la notion de nouvelle frontière… Les gens n’étaient plus prisonniers de conceptions vétustes du monde et même de leur propre monde.

 

Les renaissances, subsumées sous la Renaissance ont change le visage de l’Europe, de manière durable. Ce continent a réussi à en découvrir d’autres et à pratiquer une politique de puissance appuyée par ou adossée à un outil à la fois économique et militaire. Il s’est aussi appuyé sur une idéologie et une religion qui a su négocier les différents moments de son évolution. Au fond, quand on la compare à d’autres aires culturelles et religieuses, on réalise que l’Europe ou plus largement l’Occident a retiré de la religion non pas comme d’autres une chape de plomb, ennemie de toute évolution, de tout progrès, mais un moteur et une volonté de liberté. Si l’Europe avait fait le choix inverse, elle se retrouverait engluée dans un fanatisme sans nom. Même l’adoption de ‘Inquisition n’a pas réussi à chloroformer la volonté d’aller de l’avant. Mais l’Occident aujourd’hui traverse une grave crise existentielle. Elle doute d’elle-même et est victime d’une incroyable haine de soi ?

 

Ce rapide compte-rendu ne rend pas suffisamment bien la richesse de cet ouvrage qui est le fruit de longues années de recherches et de synthèses.

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