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Gerd Krumeich, L’impensable défaire. L’Allemagne déchirée 1918-1933 Alpha/Histoire

  

Gerd Krumeich, L’impensable défaire. L’Allemagne déchirée 1918-1933 Alpha/Histoire

 

Ce livre, traduit de l’allemand, montre que la Grande guerre, n’a pas fini d’inspirer les historiens qui lui ont déjà consacré d’innombrables travaux. Cela s’explique par le traumatisme, le mot n’est pas fort, qu’elle a généré non seulement en terre allemande mais dans toute l’Europe qui allait être affectée par ses lourdes conséquences. Il faut dire que le traité de Versailles, fut considéré du côté allemand comme une paix de brigands (Lénine), une paix dans la honte, qui n’avait rien de juste puisque l’écrasante responsabilité de toutes ces destructions était imputé à la seule partie allemande condamnée à en supporter toutes les conséquences morales, politiques  et économiques. Et le sous-titre parle de lui-même puisqu’il établit une sorte de passerelle, un lien de cause à effet entre 1918 et 1933… Le rôle mitoyen joué, contre son gré, par la république de Weimar, n’a pas été très puissant. Cette république sans républicains n’a pas servi de digue contre le régime national-socialiste triomphant qui sut mettre à profit toutes les faiblesses et les ambiguïtés de ce régime artificiel. Comme l’a montré notre collègue et ami Alexis Lacroix dans un ouvrage récent.

  

Gerd Krumeich, L’impensable défaire. L’Allemagne déchirée 1918-1933 Alpha/Histoire

 

 

Pourquoi parle-t-on d’une défaite impensable, inconcevable, comme, sur un autre plan, le grands historien Marc Bloch parlera, quelques années plus tard de l’étrange défaite s’agissant de la débâcle subie en 1940 par l’armée française, considérée jadis comme l’une des plus redoutable au monde.

 

Dans cette impensable défaite de IIème Reich allemand, le peuple allemand qui se fiait à l’armée impériale pour sortir victorieux de la guerre a subi un terrible traumatisme : comment a -t-on fait pour subir une telle défaite, l’abolition du régime impérial, l’imposition d’un traité aux clauses léonines, notamment au plan des réparations.

 

L’armée allemande commandée par de grands maréchaux Ludendorff et Paul von Hindenburg a parlé d’une trahison de l’arrière, théorisée sous l’expression de la Dolchstosslegende (La légende du coup de poignard dans le dos). Et évidemment on y a ajouté une forte pincée d’antisémitisme, voyant dans les juifs les instigateurs de la guerre et conséquemment ses profiteurs (Krigesgewinnler). Les juifs servaient à nouveau l’élément allogène, inassimilable et  responsable de tout dysfonctionnement.

 

Les gens pensaient que l’armée allemande, surtout l’armée de terre  étaient en plein élan et s’apprêtait à remporter quelques victoires sur le terrain, si ce n’est la victoire totale proprement dite. Elle fut stoppée dans son élan par les civils, entendez par là, les révolutionnaires qui ont refusé de soutenir cette offensive de l’armée. D’où la légende du coup de poignard : pendant que les militaires se battaient pour la victoire sur le champ de bataille, des juifs communistes ou des communistes juifs lançaient le pays dans la révolution. L’autodissolution de l’armée a fait reste. Et d’aucuns regrettaient que la France, qui avait de bonnes raisons de le faire, n’ait pas imposé à l’Allemagne une paix carthaginoise…

 

Généralement parlant, c’est cette induction entre Weimar et le nazisme qui est en cause. Est-ce que Weimar n’a pas été un moindre mal comparé à d’autres maux plus profonds ? La question ses discute toujours. Il demeure, cependant, que la défaite militaire ne peut être imputée qu’aux militaires sur le terrain, même s’ils ne sont pas soutenus par les civils…

 

Mais plus inattendue fut la demande de recenser les juifs sur le font (Judenstatistik) en 1916 car la rumeur signalait faussement qu’ils se trouvaient rarement dans des batailles acharnées, en clair que les juifs étaient des planqués à l’arrière. Les organisations juives se sont plaintes et ont rappelé à l’Empereur son propre discours où il disait  ne connaître ni la droite ni la gauche mais tous les Allemands, que des Allemands sans distinction aucune (Ich kenne nur Deutsche…). Même cet appel à l’union nationale en temps de guerre ne suffisait pas à ériger une digue sur la voie de l’antisémitisme. En réalité, ces critiques ne visaient pas de simples Juifs qui s’étaient prétendument enrichis en fournissant les armées, elles pouvaient aussi viser un futur ministre comme le juif (assimilé) Walther Rathenau, chargé de planifier une véritable économie de guerre, pour le cas où le conflit armé durerait plus longtemps que prévu… En accusant les juifs des prie méfaits imaginaires, tant les autorités civiles que les chefs militaires avaient négligé de lutter contre l’éloignement de la guerre et le désintérêt qu’il suscitait dans l’opinion publique, laquelle ne se sentait guère concernée. Et certains commençaient à s’interroger : mais où était donc cette rapide victoire qu’on leur avait fait miroiter dès les premiers mois du conflit…

 

Je dois passer à la conclusion de cet important ouvrage qui se propose d’en finir avec le traumatisme de la Grande Guerre… Oui et non, car tant de questions continuent de poser, notamment concernant la filiation république de Weimar / régime nazi.  Mais on lit aussi d’intéressantes analyses de ces mythes que furent la légende du coup de poignard dans le dos. En fait, le noyautage de l’armée par les révolutionnaires, la démoralisation des troupes livrées à elles-mêmes ont précipité la déliquescence de l’ordre social. Et c’est à ce niveau là que se situe les failles du système weimarien. Une armée qui comptait encore plusieurs millions d’hommes et qui était en supériorité numérique face à ‘l’adversaire.

 

On ne peut pas nier la participation de quelques juifs de gauche à cette dissolution de la politique allemande ; mais il faut distinguer les individus de la masse. Je pense au cas de Kurt Eisner qui se plaça à la tête d’une Bavière libre et indépendante (mais communiste) et qui connut une triste fin… Que Eisner fût juif n’entraîne pas qu’il ait agi en tant que tel…

 

Il demeure que cette folie suicidaire de toute l’Europe a coûté la vie à des millions d’êtres humains. Elle a aussi fait le lit de la Second Guerre  mondiale.

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