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Frances A. Yates, L’art de la mémoire. Gallimard, folio.

Frances A. Yates, L’art de la mémoire. Gallimard, folio.

 Frances A. Yates, L’art de la mémoire. Gallimard, folio.

 

Vue de l’extérieur, la mémoire fait un peu figure de prodige, notamment avant l’invention de l’imprimerie alors que  tous les orateurs devaient réciter des longs discours sans aucune aide, hormis leurs propres signes mnémotechniques. Et surtout, sans se tromper dans l’ordre de leur exposé. Faute de quoi, le discours n’eût été ni intelligible ni utile.  L’auteure,  anthropologue connue entreprend ici une vaste étude qui commence avec l’Antiquité et se poursuit jusqu’à notre époque... En mettant l’accent, comme nous le verrons, sur le dominicain Giordano Bruno...

 

C’est une véritable somme. Le sujet parait moins palpitant, si j’ose dire, au vu de tous les moyens modernes dont nous disposons, mais l’histoire tragique de Simonide qui forme les premières pages du livre montre qu’après un effondrement de plafond  , on n’a pas pu reconnaître les corps ni identifier des victimes. Ce qui mettait les familles dans l’impossibilité d’accorder aux leurs une sépulture... C’est la mémoire d’une personne  qui se souvenait de la place de chaque invité qui a permis de résoudre l’imbroglio... Les familles, ont pu, grâce à ce précieux concours de la mémoire, s’acquitter de leurs derniers devoirs envers les disparus...

 

Faisons brièvement une petite incursion da une autre aire culturelle que la pensée grecque ; voyons cet adage talmudique qui se veut un hommage à la mémoire et insiste sur la nécessité de s’exercer : celui qui répète son chapitre cent une fois est supérieur à celui qui ne le répète que cent fois...

 

Le premier chapitre expose l’art de la mémoire dans l’Antiquité à partir de quelques sources latines. On évoque la mémoire naturelle et la mémoire artificielle. On lit ensuite le sujet en Grèce, la mémoire et l’âme.

 

Aristote s’est penché sur cette question et on trouve au moins quatre références à ce thème ; le Philosophe insiste sur  le caractère incontournable de l’image, transmise par les sens, sans laquelle aucune approche intellectuelle n’est possible. L’image constitue une étape intermédiaire entre la pensée spéculative et le monde sensoriel. Nous touchons là à l’une des théories les plus compliquées d’Aristote qui distingue entre des formes imaginaires, donc liées à la matière et des intelligibles spéculatifs qui sont intégralement spéculatifs. Plus tard, les commentateurs médiévaux reliront cette théorie à l’’immortalité de l’âme. La question qui se posait pour les théologiens, donc croyants, était de prouver une immortalité individuelle de l’âme, garantissant à l’homme individuel une rétribution personnelle dans l’au-delà. Les intelligibles que l’âme (l’intellective) a acquises au cours de son existence terrestre lui demeurent acquis pour sa vie dans l’au-delà. C’était bien là la définition de l’immortalité de l’âme humaine. Mais ce que nous venons d’exposer remonte ou revient aux commentateurs et il n’est pas du tout certain qu’Aristote ait pensé ainsi, lui qui ne partageait pas la foi en une Révélation religieuse.

 

Ce livre suit une chronologie classique et on en arrive à l’époque de la Renaissance, époque à laquelle l’Occident chrétien voit apparaître face à lui, l’arborescence de la kabbale et tente d’en intégrer les données dans ses propres spéculations : ce fut le cas de Camillo (1480-1544) et de son Théâtre. J’ai regardé  avec intérêt ces pages-là  et l’apport kabbalistique au système. Évidemment, tout ceci se fait dans un esprit résolument chrétien, avide de conclure que la kabbale prouve la véracité du message chrétien et la messianité  du Christ. .Certains  passages du Zohar sont mis à profit par le sage italien, notamment la triple dénomination de l’âme, du niveau le plus bas au plus élevé. Pic de la Mirandole en parla lui aussi, comme tant d’autres.

 

La quasi-totalité des chapitres suivants porte sur la personnalité et l’œuvre du dominicain Giordano Bruno ( 1568-1600). Ses performances en matière de mémorisation et de mnémotechnie sont impressionnantes. Il était en mesure de réciter certains Psaumes à l’envers, par cœur, Donc de mémoire... sans commettre la moindre erreur. Il semble que Bruno ait été très conscient de son art, si l’on en croit un témoignage de l’époque qu’on ne peut ni valider ni rejeter : Bruno affirme que le pape Pie Y le convoqua à Rome en présence du cardinal Rebiba, avec tant d’égards, et qu’il leur administra la preuve de son grand art... Il fit même profiter de sa science de la mémoire le cardinal en question. Notre dominicain eut droit aux mêmes égards  royaux de la part du roi Henri III : c’est le même mécanisme qui revient : le monarque entend de grands éloges au sujet de la science de la mémoire, attachés à la personnalité de Bruno qui se voit convoqué par le monarque...

 

Voici, en guise de conclusion, comment l’auteure résume l’objet de son livre et le résultat de ses recherches :

L’objet de ce livre était de montrer la place qu’a  tenue l’art de la mémoire aux moments capitaux de la tradition européenne. Au Moyen Âge, c’était une place centrale, la scolastique en avait formulé la théorie et sa pratique était liée au système figuratif médiéval dans l’art et dans l’architecture dans son ensemble, ainsi qu’aux grands mouvements littéraires de l’époque, comme La Divine Comédie de Dante.

A la Renaissance, son importance diminue à l’intérieur de la tradition purement humaniste mais elle augmente jusqu’à prendre des proportions impressionnantes à l’intérieur de la tradition hermétique. Maintenant que notre histoire nous a désormais conduits  au XVIIe siècle, l’art de la mémoire va-t-il disparaitre Ou va-t-il survivre sur marge seulement et non plus au centre ? 

Robert Fludd  tient, un des derniers avant)postes de la tradition hermétique de la Renaissance. Il s’oppose aux représentants  du nouveau mouvement  scientifique, à Kepler et à  Mersenne.

 

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