Patrick Banon, Anti-Manuel des religions. Pour en finir avec les contrevérités. Aspha. 2022.
Patrick Banon, Anti-Manuel des religions. Pour en finir avec les contrevérités. Aspha. 2022.
Le terme qui connait le plus d’occurrences dans ce sympathique petit ouvrage, petit mais très énergique et remonté, n’est autre que le mot «contrevérité». Son auteur donne un sacré coup de balai dans au moins la moitié du ciel ; et il dénonce vertement les individus, les idéologies, les religions et les traditions qui ont passé leur vie, et même post-mortem, à duper le ciel et la terre. En quoi faisant ? En présentant comme des vérités incontestables des contrevérités parfois choquantes et qui ont la vie dure...
En ouvrant ce livre, la citation de Condorcet sur la vérité a retenu toute mon attention : la vérité appartient à ceux qui la cherchent et non à ceux qui prétendent la détenir. Cette citation m’a aussitôt remis en mémoire une phrase de Gottlob Éphraïm Lessing, l’auteur de Nathan le Sage qui s’exprimait à peu de détails près, ainsi : si le Seigneur proposait de me faire don de la Vérité, je lui répondrai que je préfère m’acharner à la découvrir par mes propres moyens.
La Vérité avec une majuscule est au centre de toute quête religieuse ou spirituelle. Le Psalmiste, l’homme le plus religieux que la terre ait jamais porté, s’exprime ainsi, s’adressant à Dieu : le principe de tes paroles est Vérité (Rosh devarékha émét) Et cette quête de vérité irrigue toutes les religions et toutes les spiritualités. Dans le rituel synagogal juif on insiste, avant de donner lecture de la péricope prophétique le samedi matin, sur le choix de prophètes de vérité (nevi’é ha-émét).
Mais l’exemple le plus pertinent selon moi, tient à l’expression biblique, Sefer milhaémot h a-)Shem qui désigne le Livre des guerres du Seigneur. Mais un philosophe aussi profond que Lewi ben Guershom, Gersonide, (ob. 1344) donne ce même titre à son œuvre philosophique en expliquant aussi que livrer les guerres du Seigneur c’est faire la guerre aux idées... fausses. Quelle belle conception intellectualiste de la guerre qui devient une sorte de confrontation qui ne fait pas couler une seule goutte de sang, entre ceux qui sont sur la bonne voie et ceux qui ne le sont pas... Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la guerre se veut pacifique : quel oxymore !
C’est le pari de ce livre : détruire les contrevérités qui enténèbrent l’esprit de tant de gens qui croient que tout leur est permis, y compris répandre leurs idées fausses par des moyens inconciliables avec la recherche du vrai. Je rappelle que l’un des nombreux noms que le Coran donne de Dieu est justement le terme Vérité (al-Haq).
Faire la chasse aux idées fausses, aux contrevérités, telle est donc la mission que s’est assignée l’auteur dans ce livre. Or, nous vivons dans l’instantané, l’hyper vélocité : avant de parvenir à démasquer une contrevérité, elle a déjà parcouru l’univers d’une extrémité à l’autre.
L’affaire est particulièrement délicate en raison de ce que nous nommons la genèse religieuse du politique, c’est-à-dire que le moule de la connaissance, de la science et donc de la vérité a toujours été de nature religieuse : toutes nos valeurs sociales de l’état moderne ont une origine religieuse dont les sociétés se sont graduellement débarrassées avec le temps. On peut s’en référer au livre séminal de Carl Schmitt, Théologie politique (1924). L’avenir nous dira si cette déprise de la religion sur la société aura été un facteur d’épanouissement ou de dépérissement. Voire d’aveuglement pur et simple..
L’auteur, Patrick Banon, reprend point par point un certain nombre de contrevérités qui polluent les réseaux sociaux mais aussi l’idéologie quotidienne de tant de nos concitoyens. Et il s’attarde considérablement sur l’homosexualité dont il dénonce les préjugés et les opinions fausses qui l’enveloppent. L’auteur démonte méticuleusement (mais est-ce convainquant ?) les affirmations selon lesquelles les religions, dans leur ensemble, interdisent l’homosexualité et proscrivent certaines pratiques sexuelles... Il évoque le couple hypothétique formé par David et Jonathan, ce qui me parait un peu osé. Vu le verset qui se lit dans le livre du Lévitique et qui brille par son univocité, je vois mal la Tora se faire l’écho d’une telle pratique entre deux personnages stellaires de la Bible... Le fait que le roi David, dans sa lamentation, ait dit que son amour pour Jonathan était supérieur à l’amour offert par les femmes est un style figuré. Qu’on ne se méprenne pas sur ma pensée : les adultes font entre eux ce qu’ils veulent. Il n’est pas question de juger : il me semble que la Tora aurait manqué de cohérence en faisant deux assertions contradictoires...
L’aitre thème constitutif de tant de préjugés et fausses idées touche la misogynie qui serait inhérente à toute religion. L’auteur montre simplement que tant Platon qu’Aristote étaient convaincus de l’infériorité congénitale de la femme. Les religions monothéistes ne furent pas les seules ni les premières à convoyer de telles idées...
Je préfère m’en tenir à la liste présentée par l’auteur, sans trop me montrer exhaustif car ce serait faire de la publicité à ce que l’on combattre, en l’occurrence les idées fausses, les conclusions hâtives, les approximations, etc...
Un chapitre important est consacré à la laïcité qui devient le sujet le plus controversé qui soit. Quel doit être le statut des signes religieux ostentatoires, dans les lieux publics comme l’école, les mairies, les hôpitaux, etc... ? L’auteur combat aussi l’idée selon laquelle la laïcité serait une arme pour combattre les religions en tant que telles. La laïcité, pout faire court, veut assurer la neutralité de la société. Un aspect assez épineux subsiste : peut-on tolérer les signes religieux dans l’entreprise ? C’est un sujet qui évolue sans cesse car les sociétés sont devenues très complexes : ce qui passe ici ne peut pas avoir cours ailleurs, tant les situations sont spécifiques.
L’auteur a le courge de réhabiliter l’islam qui se voit accorder les mêmes mérites humanises que les deux autres religions monothéistes. Je suis moins d’accord quant au jugement porté sur l’Âge d’or qui aurait existé en Andalousie pendant la période médiévale. Ici même, j’ai longuement recensé l’œuvre d’un érudit espagnol Serafino Fanjul. Sérafin FANJUL : Al-Andalus, l’invention d’un mythe. La réalité historique de l’Espagne des trois cultures. Éditions l’Artilleur, 2017.
J’y ai dit ce que j’avais à dire sur la question. On a confondu une proximité en religion professés par des élites de différents bords, ce qui ne signifie pas que l’amour régnait partout. C’est une exagération ou une invention d’une certaine historiographie... Cela posé, nul ne conteste l’œuvre de grands penseurs comme Albert le Grand, Averroès, Maimonide et quelques autres moins connus. Ce ne fut jamais un vaste mouvement populaire de rapprochement entre des peuples aux croyances différentes.
Je pense pouvoir m’en tenir à ce que j’ai déjà lu et résumé dans ce passage. Les rumeurs qui courent tant sur le judaïsme, le christianisme et l’islam sont si farfelues que je n’ose pas en faire état ; alors, que retenir de ce livre ? Eh bien, qu’il rend bien des services pour des lecteurs non érudits, non versés dans la science des religions comparées, ce qui présuppose une série de connaissances dans de nombreux secteurs des sciences humaines.. J’avoue y avoir moi-même découvert des choses que n’aurais jamais imaginées. Tant il est vrai que l’imaginaire humain n’a pas de fin...