Vincent Ravalec, Mémoires intimes d’un pauvre vieux essayant de survivre dans un monde hostile. Fayard, 2022
Vincent Ravalec, Mémoires intimes d’un pauvre vieux essayant de survivre dans un monde hostile. Fayard, 2022
On connait tous l’adage latin selon lequel les livres ont leur propre destin... Ils nous entraînent et se laissent entraîner dans les lieux les plus inattendus ; et c’est bien le cas de ce livre très amusant et très agréable à lire. Son propos, son sujet, est à la fois simple et très compliqué, voire grave : comment résister au vieillissement qui nous menace tous et fait de nous des cadavres de demain... Et ce n’est pas moi qui choisis cette métaphore mais bien l’auteur qui use d’un style léger et sobre, sans le moindre pathos, en dépit de la gravité du sujet..
Vieillir ! Comment y échapper puisque depuis notre naissance, nous sommes condamnés à nous développer, grandir, dépérir plus ou moins lentement et finir dans la fosse. Mais l’auteur a un grand sens de l’humour et il présente les choses de manière aussi amusante. Ce qui fait l’intérêt de ce livre que je n’avais pas commandé mais je suis ravi de pouvoir lire.
L’âge agit comme un véritable couperet, notre corps est appelé à régresser au fur et à mesure que l’on croît en condition adulte. Petit à petit nous sommes contraints de faire la tournée des médecins généralistes ou spécialistes qui exploitent avec maestria ce véritable filon, tant chez les hommes que chez les femmes. Car personne ne veut vieillir, tous vivent cette régression avec une profonde inquiétude et les médecins nous baladent autant que possible puisque certains exploitent cette crainte, refusant les cartes de crédit et n’acceptant que des espèces sonnantes et trébuchantes. Ce dernier aspect est loin d’être secondaire. L’auteur cite certaines réactions de praticiens peu aimables qui renvoient les personnes âgées à leur âge, alors que ces dernières veulent mettre un terme à leur arthrose et autres rhumatismes : Mais Monsieur, Madame, vous n’avez plus trente ans...
Évidemment, on vous conseille de faire du sport régulièrement mais sans excès, faute de quoi c’est l’inverse qui se produit. Il ne faut pas solliciter trop souvent le muscle cardiaque, sinon c’est l’infarctus du moucharde qui menace. Dans ce jeu d’équilibriste, c’est souvent la vie quotidienne qui devient intenable. Au moindre symptôme, vous redoutez le pire. AAu bout d’une certaine période de flottement, vous en prenez votre parti et décidez de vous adapter aux nouvelles conditions de vie qui sont les vôtres. Le corps ne répond plus comme avant, notamment dans les domaines de l’amour et de la sexualité. Dans ces deux cas, le corps devient un enjeu de premier ordre. Les opportunités se font plus rares concernant les femmes encore fraiches et attirantes. Il y a les quarante cinq et plus ou moins qui se disputent les meilleurs sites de rencontres.
L’auteur a regardé cela de très prêt, il est donc bien renseigné. Il nous livre sa déception quand il tente d’introduire sa candidature, en se présentant sous son meilleur jour. C’est que tout le monde se méfie de tout le monde ; des photographies qui reproduisent le jeune homme que vous étiez à trente ans ne sont pas acceptées dans le profil que vous souhaitez adopter. On n’est pas à l’abri de quelques mauvaises surprises. Certaines femmes qui ont menti sur leur âge pour trouver le futur élu de leur cœur, se rendant à un premier rendez vous, se voient apostrophées sans ménagement : allons donc, tu m’as envoyé ton grand’mère !
On l’aura compris en lisant ces quelques lignes, on comprend mieux le titre qui ne parait plus si amusant, vu les difficultés réelles auxquelles on est confronté. Pas facile de vieillir ! Le problème est de ne pas perdre pied, de réagir et même de renaître. Malheureusement, c’est très difficile de ne plus avoir les mêmes performances viriles, grâce aux progrès de la médecine. Et à partir de quel âge se considère-t-on - comme une personne âgée ?
La question a intrigué les cercles moraux et religieux. Un exemple : dans la tradition talmudique on est considéré comme un vieil homme lorsqu’on ne parvient plus à lacer tout seul, ses sandales.. On ne peut plus se pencher entièrement...
Dans ce livre qui n’est pas si plaisant que cela, ,on lit des passages entiers sur la solitude et l’angoisse des écrivains en herbe, soucieux d’être publiés et ensuite de vivre de leurs droits d’auteur. On y découvre moult subterfuges utilisés par les uns et les autres, d’abord pour être édités et ensuite pour trouver le chemin menant aux lecteurs, donc aux ventes. Mais après avoir déployé toute une panoplie de moyens publicitaires pour attirer le chaland, il faut faire face à l’indéniable réalité : on est vieux et la concurrence avec les nouvellement entrés en lice es très dure, voire violente. J’ai été choqué par ces auteurs qui volent (carrément) leurrs propre livres pour faire croire qu’ils ont trouvé preneurs. Mais à la longue, les directeurs commerciaux finissent par découvrir le pot aux roses. Enfin, quand on est à court d’inspiration, quand on est abandonné, oublié par tous, il reste le dernier recours : écrire sous pseudonyme un roman pornographique ; je vous épargne la description détaillée de tels contenus. Là, on dépasse les plaintes des sujets vieillissants ou vieillis pour renouer avec le problème existentiel du débat : comment s’opposer ou remédier aux outrances du temps ? L’auteur propose de réagir...
On peut aussi hasarder une candidature à l’Académie française...
Le compte-rendu est déjà assez long, mais il faut bien convenir que la question de la réaction st prise au sérieux... On ne se laisse pas abattre, cette question de l’âge occupe une place proéminente dans le cadre des relations sexuelles. Cette déficience de la sexualité semble traumatiser ces vieillards : ne plus pouvoir honorer une belle jeune femme de vingt ou trente années leur cadette les désespère. Convoler en justes noces ou suivant l’amour libre avec une femme jeune les obsède. Et je ne parle même pas des raideurs corporelles qui se déplacent, notamment le mal à la hanche...
En saison trois, la dernière du livre l’auteur, qui rentre nommément dans l’histoire, suggère de renaître. Tout un programme, bien entendu !
Mais ce n’est pas suffisant pour remettre du baume sur le cœur des vieux ou prétendus tels... Je pense à la SNCF qui vous place parmi les seniors et a la pandémie qui a signalé les vieux comme étant les plus exposés. Certes, cela partait d’un bon sentiment mais cela a aussi contribué à l’exclusion et à la stigmatisation de tout un groupe d’êtres humains, suite à leur classe d’âge.
En fait, il n’y a pas de véritable issue, digne de ce nom. Ce qui repose entre d’humaines mains, c’est de prier la Providence de nous protéger et de nous rendre égaux devant la maladie. Vous croisez des gens qui, à plus de quatre-vingt-dix ans, sont encore en bonne forme et d’autres qui sont terrassés alors qu’ils sont bien plus jeunes. La maladie est injuste, nous dit-on. Oui, elle est injuste mais tant qu’on est en bonne forme, il faut aimer, apprendre et se projeter dans l’avenir. Fixer l’avenir sans trembler (Fest in die Zukunft hineninblicken), pour le dire dans la langue de Goethe...
Vincnet Ravalec a écrit un livre d’une très belle facture.