Alyosha Demian, Dans les geôles de Poutine. Albin Michel, 2023.
Alyosha Demian, Dans les geôles de Poutine. Albin Michel, 2023.
Le titre même indique au lecteur impatient que ce n’est pas un conte de fées qui l’attend dans ce témoignage... C’est un réquisitoire légitime, sans appel, et d’une extrême sévérité à l’égard d’un système tyrannique qui persécute même le plus insignifiant des citoyens, pour peu que celui-ci se permette de transgresser l’une des lois d’un système inique. Il ne fait pas bon s’opposer au régime poutinien qui interdit de manifester, même pacifiquement, et c’est pourtant ce que fit l’auteure, cette opposante déclarée au régime, qui alla manifester pour la libération d’ Alexeï Navatny, l’opposant emblématique à l’actuel maître du Kremlin.. Elle avait déjà eu maille à partir avec la justice de son pays ; elle fut arrêtée à cette occasion encore, et c’est alors que commença pour elle une longue période e brimades, d’insécurité et d’incertitude. Et surtout de privation de liberté.
C’est ce douloureux parcours, ce calvaire, que nous pouvons lire dans ce livre-témoignage. On y découvre la dureté d’un système arbitraire qui ne tolère pas la moindre incartade, qui espionne la vie privée de chaque habitant, jusques et y compris les plus infimes détails. Ainsi, le pouvoir judiciaire est largement inféodé au pouvoir politique .
Le système prend son temps pour recenser même les plus infimes détails dans la vie de l’inculpé qui se retrouve presque broyé par un système qui le dépasse. Il suffit de très peu de chose pour être désigné comme agent de la CIA ou de l’étranger, ce qui vous disqualifie d’emblée aux yeux du reste de la société. La vague russe de détestation anti-occidentale ne date pas de la guerre en Ukraine. C’est une corde très bien tendue dans l’âme russe qui se croit victime d’une malveillance héréditaire de la part des grandes puissances européennes.
Après la comparution devant un tribunal ad hoc, l’inculpée est condamnée à une peine de prison préventive, dans l’attente de son procès. Elle raconte comment le juge et son assesseur ânonnent des faits révolus depuis belle lurette, remontant à des années et pointant du doigt une quantité non négligeable de précédentes mises en garde... Mais le pire, c’est le voyage dans un fourgon judiciaire avec trois sbires faisant office de gardiens. La condamnée a le droit de passer par son domicile pour prendre quelques effets personnels. Mais elle ne sait toujours pas où se trouve son futur lieu de détention. Elle surprend quelques bribes de conversations entre son escorte et comprend enfin où elle va...
Ce qui la frappe au premier coup d’œil, c’est la façade inoffensive de l’immeuble, un immeuble sui ressemble en tout point à un autre lieu d’habitation, comparable à ceux qui l’entourent... Personne parmi les badaux n’y prête attention, volontairement ou involontairement alors que c’est derrière ces murs que l’on torture sans pitié, que l’on brise la volonté des détenus : indifférence volontaire ou involontaire, pour ne pas avoir d’ennuis ?
Tout est fait pour briser la moindre résistance et les échanges entre les tortionnaires vous glacent le sang... La détenue parle de monstres qui vous font subir des traitements inhumains, ne répondent jamais aux questions et vous font sentir que tout dépend d’eux, qu’ils tiennent votre sort entre leurs mains entachées de sang.
Le régime soviétique a torturé ses enfants. La Russie de Poutine le fait tout autant
C’est ce qu’écrit l’auteure qui relate dans le détail toutes les tortures subies dans les prisons de l’a Russie contemporaine. Sa tortionnaire l’avait dit de façon plus explicite : cette prison rouge, ce camp rouge avait pour fonction de vous remettre dans le droit chemin, le respect des valeurs traditionnelles de la Russie ; quiconque chercherait à s’y opposer, en paierait un prix élevé.
Il m’est difficile de continuer de lire la description des séances de torture quasi quotidiennes. Mais je m’arrête volontiers sur les différentes techniques dont dispose l’âme humaine pour résister un peu à un traitèrent inhumain. Parfois, mais pas toujours, même l’évanouissement peut être une voie de sortie, une échappatoire aux sévices du bourreau. C’est la partie la plus émouvante du récit et les tortionnaires déploient sans cesse un raffinement incontestable dans leur art de faire souffrir leurs victimes qu’ils doivent rééduquer. Et ce qui m’a aussi le plus frappé, n’est autre que l’inhumanité, l’indifférence, l’iniquité et l’injustice sous toutes leurs formes.
On pense aussi à L’archipel du Goulag
qui fut le premier à dénoncer la barbarie du régime soviétique dont Poutine se veut volontiers l’héritier.
Les quelques chapitres restants parlent des démêlés judiciaires de l’auteure qui revient dans son pays après quelque temps de vie en exil. La mentalité de cet état policier n’a guère changé : l’état poutinien n’a pas évolué, en tout cas pas dans le bon sens. Les autorités continuent de persécuter tous les opposants. Et sans vouloir jouer au prophète, il va falloir beaucoup de patience pour que cela change...