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Nelly Sachs, Exode et métamorphose et autres poèmes. Gallimard, 2023  

Nelly Sachs, Exode et métamorphose et autres poèmes. Gallimard, 2023

 

Nelly Sachs, Exode et métamorphose et autres poèmes. Gallimard, 2023

 

Dans la main de Dieu, la lumière  naît du sable (Nelly Sachs)

 

On ne peut que saluer vivement le fait que cette grande poétesse juive d’Allemagne, née à Berlin en 1891 et morte à Stockholm en 1970, soit enfin tirée d’un oubli  immérité. Cette femme, dotée d’un très grand talent poétique, a failli subir le sort tragique de la quasi-totalité de ses coreligionnaires  lorsque survint la barbarie nazie avec ses sinistres camps de travail ou d’extermination... C’est grâce à de très hautes interventions, tant en Allemagne qu’en Suède, qu’elle obtint le précieux visa lui permettant de quitter le Reich hitlérien pour se réfugier avec sa mère en Suède. Nelly Sachs avait attiré l’attention de la grande écrivaine Selma Lagerlöf et même du frère du roi de Suède qui facilitèrent l’octroi de ce visa de sortie de l’enfer nazi... Il était temps car peu de jours après son départ pour la liberté, la poétesse aurait reçu son ordre de déportation pour les camps nazis. Ce fut un sauvetage in extremis qui l’a soustraite aux griffes des bourreaux nazis.

 

Cette femme a assumé son identité juive sans fard ; elle s’est plongée dans l’étude des textes bibliques, se servant, de son propre aveu, de la version traduite de Buber-Rosenzweig ; et aussi la mystique juive a retenu son attention grâce aux travaux fondamentaux de Gershom Scholem, le maître des nouvelles études de la kabbale juive. C’est dire combien l’élément juif religieux occupe une grande place dans sa poésie.

 

Avant de parler succinctement du contenu de son œuvre  poétique , il convient de parler de certains éléments biographiques : cette femme qui a quitté son pays natal en 1940, était tombée follement amoureuse d’un homme dont elle ne révéla l’identité qu’à sa mère et à personne d’autre. Dès lors, Nelly Sachs cessa de s’alimenter et, n’était l’intervention d’une amie en qui elle avait toute confiance, elle serait morte d’inanition.. Cette amie sut la convaincre de mener une vie normale, mais la mort de cet homme en 1942 dans un camp nazi n’arrangea pas les choses. On trouve dans de nombreux poèmes des allusions à ce drame personnel qui marqua la sensibilité de la poétesse  durablement. Mais les forces de la vie ont fini par reprendre le dessus puisqu’elle poursuivit, malgré cette intime blessure, son œuvre littéraire : en 1966, quatre ans avant de quitter ce monde, elle reçut le Prix Nobel de littérature qu’elle partagea avec le grand poète israélien de langue hébraïque, Agnon, de son nom de plume. Ainsi se trouvaient réunies et pacifiées  deux langues, deux civilisations, autrement vouées à une éternelle adversité.

 

On a souvent parlé du dilemme intérieur des écrivains de l’émigration, incapables de rompre tout lien avec leur langue maternelle, devenue celle de leurs bourreaux. Et pourtant, comme Hermann Hesse, Thomas Man, Stefan Zweig et tant d’autres moins connus, les plus grandes œuvres en langue allemande parurent à cette  époque troublée. Je n’en citerai que deux, le Doktor Faustus de Man et Le jeu des perles de verre de Hesse. Au fondement de cette vision git le principe suivant : ne pas permettre au national-socialisme de souiller durablement  la langue allemande.

 

Revenons sur un point fondamental qui a concerné des centaines de milliers de juifs allemands, passablement assimilés à la socio-culture de leur pays d’origine. Nelly Sachs peut être considérée comme l’une des leurs. C’est la persécution en tant que juive qui  lui fit prendre conscience de son appartenance juive. Cette dimension était nouvelle, tant au plan politique que spirituel. Un exemple de cette solidarité : Nelly Sachs n’a jamais plus quitté le modeste logement que la communauté juive de Stockholm avait mis à s a disposition lors de son arrivée dans la capitale suédoise. La communauté juive locale lui facilita les choses et atténua ainsi les rigueurs de l’exil. La poétesse rend aussi un hommage vibrant à la terre de ses ancêtres, la terre d’sIsraël...

 

Le figure du patriarche Abraham joue un rôle de premier plan dans ces poèmes. Nelly Sachs découvre une métaphore, un symbolisme original pour décrire les révélations accordées au père du monothéisme éthique. En effet, le patriarche est une figure incontournable  dans la naissance de la foi en un Dieu unique... Abraham fut le premier prophète, à l’écoute du message divin. C’est encore lui qui sut percevoir la présence divine et le message dont il était porteur, adressé à l’ensemble de l’humanité. Nelly Sachs parle d’un étrange coquillage que le patriarche sut décoder et transmettre aux générations ultérieures... Je n’ai trouvé cette métaphore nulle part ailleurs que dans l’œuvre de cette poétesse. De même j’avais lu jadis un poème où elle a utilisé une expression rarissime, parlant du hennissement de la jument (das Wiehern der Stute). Mais je ne me souviens plus dans quel passage, j’avais lu cette phrase.

 

La tonalité d’ensemble de ces œuvres poétiques est empreinte d’une certaine gravité. Dans les demeures de la mort ou encore la référence aux innombrables morts dont le corps a disparu dans les cheminées des fours crématoires figurent en tête de ce choix. (Et le corps d’Israël en fumée à travers les airs))

 

Vu les circonstances, c’est le ton lugubre qui  prédomine. Impossible de commenter de tels vers, il suffit de les citer et de s’en remettre au lecteur qui saura les interpréter.

 

O vous, doigts qui videz le sable des souliers des morts, demain déjà  vous serez poussière dans les souliers des hommes à venir ! )

 

L’auteure consacre d’émouvantes prières à la mémoire du fiancé bien-aimé dont ne subsiste plus rien, ni sépulture ni souvenir précis sur sa mort et sur ses dernières années. Je ne les cite pas, car c’est trop triste.

 

En lisant attentivement cette auteure on se rend compte du caractère absolument unique de la Shoah dont  elle est le témoin le plus émouvant. On réalise aussi que les mots ne parviennent pas à décrire l’immensité de l’horreur ; cette image des internés des camps, obligés de servir les ordres de leurs bourreaux pour rationaliser l’holocauste est proprement insupportable. Je ne m’arrête pas non plus sur le poème qui parle des rescapés qui garderont au plus intime d’eux-mêmes ce qu’ils ont enduré durant leurs années de captivité..

 

J’évoquais plus haut l’enracinement de l’auteure dans les grands textes de la tradition juive, depuis la Bible jusqu’au Zohar qu’elle a pu aborder grâce aux travaux en allemand de Scholem, cité plus haut. Notamment les traductions intitulées Les mystères de la création : Die Gehiemnisse der Schöpfung)

 

Pour clore ce compte-rendu qui n’est qu’ un saupoudrage, je cite ce ver d’une incomparable beauté :

 

O Abraham ! Les horloges de tous les temps, elles qui parcourent les clartés solaires et lunaires, tu les as mises à l’heure de l’humanité.

 

Le patriarche, symbole de concorde et d’humanisme, incarne l’humanité pendant une époque d’inhumanité.

 

 

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