Bernard Caze neuve , Ma vie avec Mauriac. Gallimard, 2023.
Bernard Caze neuve , Ma vie avec Mauriac. Gallimard, 2023.
J’ai longuement hésité avant de démancher ce livre de l’ancien Premier ministre de François Hollande. Mes réserves étaient inspirées par une brève rencontre, il y a quelques années, dans la résidence de l’ambassadeur allemand à Paris, à l’occasion de la visite d’un important ministre allemand se déplaçant dans un fauteuil roulant. Comme j’étais seul dans le petit groupe à parler allemand, je me suis entretenu dans la langue de Goethe avec cet important homme politique. A côté de moi, se trouvait B.C. que je n’avais pas vu en raison de sa petite taille. Il me dévisagea d’un air hautain, me faisant comprendre que je n’étais pas à ma place... J’avais gardé un étrange souvenir de cet incident- là.
Mais je m’empresse de dire que dès les premières pages de ce court récit, je suis conquis et ai changé d’avis. Ce livre est très bien écrit, chaleureux et vaut largement le détour. Je ne savais pas qu’un ancien ministre de l’intérieur et aussi Premier ministre pouvait produire une si belle prose, indépendante de l’esprit partisan, partager avec ses lecteurs des émotions si authentiques. Bref, je trouve cet homme presque sympathique, dit sans méchanceté de ma part. J’ai lu l’ouvrage de la première à la dernière ligne, comme envoûté par cette autobiographie confessante qui nous touche tous, car nous avons tous, tant que nous sommes, une sorte de jardin secret sur lequel nul ne peut mentir sans être immédiatement démasqué et faire fuir même les lecteurs les plus envoûtés.
Il est triste de voir que les hommes politiques, quand ils maîtrisent l’art de l‘écriture (la vraie, pas celle des programmes qui ne sont jamais mis en application), ne se confient jamais de manière désintéressée ; il y a toujours une arrière-pensée électorale là-derrière.
Découvrir, ne serait-ce que le nom de François Mauriac entre 7 et 9 ans, représente une performance en soi mais l’auteur ne se livre pas à des spéculations philosophiques abstraites ; ce n’est pas ce qu’il cherche, ce qu’il veut, c’est partager une partie de vie, dire comment il est tombé sous le charme d’un grand écrivain de langue française...
Ce n’est pas seulement le résultat initié par ses parents. Il y a tout un jeu du hasard qui permet que des rencontres se fassent. Qui intervient dans cette réunion, nul ne le sait. Un esprit religieux dirait que la divine Providence a confié à d’humines mains le soin de fixer dans le temps et dans l’espace une telle confrontation ou un tel rapprochement. Ici, c’est le hasard des bibliothèques privées qui sont la source. On se souvient de l’adage latin : habent sua fata libelli (les livres suivent un destin qui leur est propre...) Cette instance supérieure qui préside à notre devenir déjoue toutes les prévisions, comme l’attestent cette culture si paradoxale, voire antagoniste, des terres du Sud--ouest. Mais cela annonce aussi la sévère confrontation avec Sartre sur la question théologico-politique majeure, l’existence ou l’inexistence du libre arbitre. Le grand intellectuel catholique et l’auteur de L’être et le néant ne pouvaient pas trouver un terrain d’entente sur un tel sujet. La Bible, elle-même, a donné deux livres sur ce sujet tant débattu, Job et l’Ecclésiaste sans trouver le fin mot de l’histoire.
B.C. commence sa visite du personnage en mentionnant l’obsession de la mort qui rôde alentour ; le petit François n’a pas connu son père car celui-ci est mort alors qu’il venait tout juste de naitre. Et cette circonstance n’a pas manqué de laisser des traces dans toute son existence à venir. Je relève que tout comme Nietzsche, Mauriac a été élevé par des femmes, sa propre mère et des tentes. La nostalgie de ce père trop tôt disparu lui a conféré une sorte de mélancolie douloureuse ; cette prise de conscience allait de pair avec la découverte de la grande cruauté des enfants qui maltraitent tout ce qui est différent d’eux. Notons cette phrase si courte mais qui en dit long, de Mauriac : Une j jeunesse, vous savez, c’est long... Et comme cela arrive très souvent, de tels êtres se réfugient dans la lecture, histoire d’échapper à un réel insupportable.
B.C revient souvent sur les origines bourgeoises de Mauriac qui n’épargne jamais la bourgeoisie bordelaise dont il stigmatise les valeurs et la myopie politique.
IL est impossible de commenter tous les passages de ce livre qui méritent un examen approfondi. On sent se développer une sorte de maïeutique entre deux êtres faits pour s’entendre. Je rappelle que cette aventure commence alors que l’auteur a entre sept et neuf ans ! Au cours de ma lecture, je me suis arrêté sur l’hommage de Maurice Barrès qui célèbre le grand poète dont la France a tant besoin.
Le chapitre intitulé Une torche dans les ténèbres m’a vivement touché. On y lit comment les êtres jeunes se construisent et subissent aussi les blessures de l’enfance. J’en recommande la lecture attentive et lente. Par endroits, il m’a fait penser à quelques pages célèbres tirées des Souvenirs d’enfance et de jeunesse d’Ernest Renan, je parle évidemment de la forme et non du contenu mais le projet est, en définitive, le même. Qu’on en juge : De l’écrivain qui prétendait jeter une torche dans nos ténèbres, j’attendais une lueur qui pût m’aider à ne pas me perdre dans les grands labyrinthes de l’âme humaine.
Tout est dit, cette phrase pourrait servir de sous-titre à l’ensemble de l’ouvrage. Dans ce même chapitre, on apprend aussi que les parents de l’auteur venaient d’un milieu modeste, qu’ils furent mal accueillis en métropole dans le sillage de ce drame humain que fut l’indépendance de l’Algérie. Toute cette gêne, tous ces désagréments ont renforcé chez cet adolescent ultra sensible des sentiments d’injustice et l’incompréhension. Et la lecture de Mauriac a peut-être arrangé un peu les choses mais sans s’en prendre vraiment à la racine du mal... Surtout lorsqu’il est question de ce sentiment de solitude qui peut avoir des suites tragiques.
En fin de compte et puisqu’il faut tout de même conclure, à quoi François Mauriac tenait-il le plus ? En somme, poser la question, c’est reconnaître que cet homme exceptionnel malgré ses défauts (mais qui n’en a pas ?) a eu plusieurs vies : journaliste, chroniqueur, homme de lettres, polémiste, etc... Il fut tout cela, à des degrés divers, tant sa voix portait et tant sa plume pouvait plonger dans le vitriol. Je veux dire que cet homme dont le Bloc-Notes était parfois redouté, s’est lancé dans une quête éperdue de la vérité. Mais de la vérité sur lui-même ; c’est ce qui le rend attachant et unique.
Je félicite sincèrement Bernard Caze neuve pour ce très beau livre. Je vous invite à le lire. Et bravo pour tous ces imparfaits du subjonctif...