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Conférence des évêques de France, Déconstruire l’antijudaïsme chrétien. Cerf, 2023.

Conférence des évêques de France, Déconstruire l’antijudaïsme chrétien. Cerf, 2023.

Conférence des évêques de France, Déconstruire l’antijudaïsme chrétien. Cerf, 2023.

Ce livre est une puissante contribution  que l’épiscopat français apporte à la lutte Ô combien préoccupante contre toutes formes d’antisémitisme et d’antijudaïsme, alimentées durant des siècles par ce que le Grand Rabbin Jacob Kaplan et l’historien Jules Isaac nommaient l’enseignement du mépris. Mais ces années d’obscurité et d’aveuglement militants sont derrière nous. Il suffit de feuilleter les pages de ce sympathique petit ouvrage pour s’en convaincre : on vit une époque nouvelle depuis quelques années avec le développement du dialogue judéo-chrétien et des amitiés judéo-chrétiennes. L’ensemble donne une image très positive de la situation, même si des expressions comme Ancien Testament sont à éviter car cela impliquerait que le Nouveau Testament remplace, sans le dire, l’ancienne alliance. J’ai bien vu, cependant, que les voix les plus autorisées au sein de l’église reconnaissent que l’Éternel n’a pas dénoncé sa relation à son peuple, Israël, depuis le début et jusqu’à la fin des temps. Les réserves que m’inspirent certaines déclarations ne viennent pas du côté chrétien. C’est qu’en France, on a des habitudes et des traditions qui sont vivaces et se résument par la phrase suivante : c’est (hélas) la fonction qui crée la compétence. L’application de ce triste principe n’arrange pas nos affaires et laisse apparaître un fossé entre l’argumentaire des uns et celui des autres. Les titres ronflants servent de paravent à l’indigence de la pensée.

 

Ce livre répond à de nombreuses questions qui ont entaché les relations entre Juifs et chrétiens alors qu’elles se déploient à partir d’une même source, commune aux deux religions, lesquelles sont, certes, différentes, mais pas indifférentes l’une à l’autre... On passe en revue un nombre impressionnant d’accusations et de préjugés qui ont empoisonné les relations entre des gens qui se réclamaient d’une même tradition qu’ils interprétaient différemment.

 

Il existe une déclaration d’un savant allemand du XIXe siècle, un spécialiste de la Rome antique, nommé Théodore Mommsen qui dit ceci : lorsque Israël fit son apparition sur la scène de l’histoire mondiale, il n’était pas seul mais était accompagné d’un frère jumeau... l’antisémitisme ! En clair, la moindre présence juive déclenche une réaction d’hostilités en chaîne, avant même la commission du moindre acte délictueux. C’est dire combien le judaïsme souffrait des pires préjugés qui étaient une injure à l’équité et à la logique. Exemple, l’accusation de meurtre rituel. Les Juifs ne consomment pas le sang des animaux de boucherie, comment pourraient-ils consommer du sang d’autres êtres humains, en l’occurrence de leurs frères chrétiens !! De telles aberrations ont pourtant enténébré  les esprits durant tout le Moyen Age, voire encore plus loin.

 

Je propose de faire ici un bref rappel des plus importantes dates de cette débilité mentale qu’est l’antisémitisme ou l’antijudaïsme.

 

On a l’embarras du choix ; je propose de commencer par Marcion (85-160), une époque au cours de laquelle les chrétiens savaient qu’ils n’étaient plus juifs. La thèse principale de ce théologien était que Jésus et le christianisme n’avaient rien à voir avec le judaïsme. Il fallait don couper tout lien attestant la moindre parenté avec des sources honnies. Cet homme proposait tout simplement de priver la religion chrétienne de son substrat biblique et présentait Jésus comme une création surnaturelle, une plante sans son terreau nourricier. Nous verrons infra que cette idée a resurgi au XXe siècle en Allemagne...

 

A cette époque, l’église était violemment opposée au judaïsme rabbinique émergent mais elle sut éviter de  reprendre à son compte une démarche suicidaire : priver l’église de son substrat vétérotestamentaire  revenait à signer son arrêt de mort. La haine viscérale n’avait pas provoqué l’abolition du moindre éclair de lucidité. Et Macron fut condamné tandis que sa thèse fut rejetée sans la moindre équivoque.

 

Je fais un bond de plusieurs siècles pour aboutir au livre d’un grand théologien protestant allemand du XIXe siècle, Adolph von Harnack dont le maître-livre, L’essence du christianisme reprend les thèses de Macron : lors des semestres d’hiver et d’été en 1900, il a exposé ses thèses à l’université de Berlin devant un amphithéâtre bondé. Ce sont ces références qui furent reprises dans son livre qui connut un grand succès. Selon lui, Jésus, quoique né au sein du judaïsme, s’est développé indépendamment de ce sol nourricier. On en revient à la métaphore de la plante et du terreau sur lequel elle pousse et qui, par voie de conséquence, la nourrit.  Vu la notoriété de von Harnack, les coryphées contemporains de la science du judaïsme n’osèrent pas affronter le grand maître. Ce fut un jeune rabbin, exerçant dans une région reculée d’Allemagne qui releva le défi : Léo Baeck (mort en 1956) répondit à son éminent antagoniste en 1905 par un livre L’essence du judaïsme, repris et augmenté dans sa version classique en 1922. L’auteur de ces lignes s’honore de l’avoir traduit de l’allemand en français aux Presses Universitaires de France... Plus tard, à la veille de la Shoah, le même Léo Baeck devenu le très respecté porte-parole du judaïsme allemand  de son temps écrivit un second appel à l’aide, intitulé L’Évangile en tant que document de l’histoire religieuse juive. Ce fut une véritable bouteille à la mer, un appel au secours resté sans réponse. Mais ce texte que l’auteur de ces lignes s’honore d’avoir traduit en 2002 aux éditions Bayard presse, fut publié en 1938 au Jüdischer Verlag de Berlin et ne retint pas l’attention de la presse ni de la critique....  Les gens avaient d’autres chats à fouetter. Baeck qui était un érudit et donc aussi philologue classique démontre les racines juives de Jésus et de l’église chrétienne. Sentant venir la tragédie du judaïsme allemand (il fut lui-même déporté à Theresinstadt), il lança un appel de détresse au nom de l’héritage commun, aux Juifs et aux chrétiens. On connaît la suite.

 

Je finis cet article par une courte référence à l’Etoile de la rédemption de Franz Rosenzweig (mort en 1929) qui optait pour un rapprochement des deux traditions juive et chrétienne, dans le strict respect de leurs différences et de leurs spécificités. Mais cela plaidait aussi pour la mise à l’écart de tout acte d hostilité, voire toute haine recuite. Dieu, écrit Rosenzweig à la fin de son livre, a besoin des deux ouvriers. Je précise que ce philosophe était devenu pratiquant et avait fondé un Beth ha-Midrash Lehrhaus qui recrutait les enseignants non pas pour leur érudition mais pour leur attachement à la tradition et à la Torah.

Commentaires

  • Je vous remercie de me permettre de lire toujours avec intérêt ce que vous avez écrit de ce que vous avez lu, et je considère que cette délégation de lecture est un bon encouragement à la lecture directe.
    Ayant été un élève de cours complémentaire en Algérie, notre professeur nous demandait systématiquement de relire la dictée ou le texte avant de le lui remettre.
    Le théologien Marcion du II -ème siècle ne se serait pas fait passer pour Le Président Macron.

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