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Régis Jauffret, Dictionnaire amoureux de Flaubert. Plon, 20023.

Régis Jauffret, Dictionnaire amoureux de Flaubert. Plon, 20023.

Régis Jauffret, Dictionnaire amoureux de Flaubert. Plon, 20023.

 

Les amoureux de Flaubert, mais moins les spécialistes universitaires,  vont adorer ce sympathique recueil des thèmes les plus connus et les mieux traités par leur idole littéraire, Gustave Flaubert, mort en 1880. C’est probablement le plus grand romancier français aux côtés de Balzac, Stendhal et même de Victor Hugo... Il existe un univers flaubertien qui obéit à ses propres lois et auxquelles même la personnalité du grand maître doit beaucoup. Le monde entier connait Madame Bovary et son époux Charles, les deux sont pratiquement devenus des noms communs, des symboles (un Charles Bovary, une Madame Bovary...) etc... Qui n’a pas été ému à la lecture de la nouvelle, Un cœur simple... C’est l’œuvre qui m’a le plus ému et j’ai conservé cette émotion bien plus tard dans ma mémoire.

 

A l’évidence, l’auteur de cette belle compilation a choisi de prendre le taureau par les cornes puisqu’il commence par la lettre A pour autodafé : l’écrivain a convoqué l’un de ses jeunes amis Guy de Maupassant, pour l’aider à brûler une quantité incalculable de lettres dont il voulait se débarrasser.  Sans laisser la moindre trace. Curieuse entreprise de la part d’un écrivain-né qui sait pourtant apprécier à sa juste valeur le plus infime témoignage d’une œuvre littéraire ou philosophique. Et pourtant, notre homme était doté d’un talent d’observateur lui permettant de tirer profit littérairement parlant du moindre détail. On apprend qu’il était abonné au journal local, exploitant les nouvelles du lieu et des faits divers. Il puisait ses sources d’inspiration partout où il pouvait, notamment lors de ses promenades dominicales dans les rues de Rouen.

 

Comme cette brillante collection (Dictionnaire amoureux de...) se targue à juste titre de donner une certaine place à l’amour, je n’ai pas été surpris, même si j’ai beaucoup appris, de découvrir et de lire la liaison avec Léonie, jeune veuve devenue la maîtresse du maitre. Je ne pense pas que cette femme ait été l’égérie de Flaubert mais elle est restée à ses côtés, pour ainsi dire, jusqu’à sa mort en 1880. J’ai lu les échanges entre les deux amants et j’ai bien ri en découvrant cette phrase qui ne veut rien dire mais qui impressionne les femmes quand elles leurs ont adressées... : Ce que j’aime en vous, c’est vous ! Ce qui, révérence gardée, ne veut rien dire, c’est une vraie tautologie. Mais cela  en dit long sur les besoins  affectifs d’hommes dotés de grands talents intellectuels : comme tous les autres hommes, de moindre extraction, ils luttent contre la solitude et l’indifférence  de leurs contemporains.  Ils ont aussi, assez souvent, des soucis d’argent, des fins de mois difficiles dont on n’a pas idée. Alors,  trouver l’âme sœur ou recevoir un peu d’amour n’est pas à négliger. Et Flaubert ne fait pas ici exception à la règle : lui qui passait chaque jour deux bonnes heures dans sa baignoire compare sa Léonie à cette lessiveuse dans sa salle bain, ajoutant qu’il aimerait tant qu’elle l’enveloppe de toute part... Parfois, c’est à des femmes que les grands hommes livrent des détails sur leur vie intime. Et pour les mieux connaître, il faut en passer par là.

 

Mis il y en eut d’autres qui partagèrent la vie ou le lit de Flaubert ; notamment une femme de lettres Louise qui collectionnait les amants et qui sut se faire apprécier par tant de fins lettrés comme Victor Cousin ou Victor Hugo et qui chercha à imputer la paternité de son enfant au premier cité qui s’en défendit. Ce qui en dit long sur la moralité de la dame et les mœurs de nos grands hommes... Faisant partie du nombre, Flaubert conseilla à cette femme d’épouser son autre amant, Victor... Cousin, jadis étoile de première grandeur au firmament de la philosophie universitaire !

 

L’auteur de ce dictionnaire a beaucoup d’humour et j’ai bien apprécié ses remarques un peu désabusées sur la vie amoureuse de son auteur préféré. Voici ce qu’il écrit sur cet aspect des choses :  Le réel Flaubert nous sera toujours inconnu, et étant l’objet de sa personne, il n’a pu avoir une idée de lui-même beaucoup plus authentique. Et Louise ? Et leur amour ? Comment sonder une idylle ? ... Une idylle n’est pas un étang qu’on peut vider à loisir pour en compter les carpes... Elles étaient bavardes ces deux carpes.

 

Grande est la tentation de prolonger et d’étoffer ce compte-rendu déjà assez long. On apprend tant de choses sur la vie de Flaubert et l’humour de l’auteur rend son livre des plus attachants. Il relate la vie de Flaubert mais aussi son environnement tant familial que professionnel et social. Le livre est solidement documenté sans jamais être ennuyeux. Je ne savais que très peu de choses sur la vie de Flaubert ; et j’ignorais que les femmes avaient occupé autant de place dans sa vie personnelle.  Je pense à sa nièce Caroline, sa légataire universelle qui n’a pas eu bonne presse aux yeux de tant de biographes de son oncle et qui eut elle-même une vie des plus tristes, presque exclusivement guidée par la défense de ses intérêts. Il y a aussi le portrait de la mère de l’écrivain, la fameuse Madame Flaubert (il n’y en eut  pas d’autre pour revendiquer ce titre... ) Elle aurait tout fait pour garder ce fils si distant à ses côtés mais accepta tout de même de vendre une maison pour financer un long voyage, éloignant d’elle son fils chéri durant si longtemps.

Comment conclure ce compte-rendu ? Je suis frappé de voir que le nom du célèbre roman a détrôné celui de son auteur, son créateur : Madame Bovary règne sur tout. J’i lu dans ce livre si surprenant que Flaubert aurait rêvé réussir un grand coup en bourse. Mais pour faire quoi avec tout cet argent ? Avec cette manne, il aurait acheté tous les exemplaires de ce roman, qu’on l’oublie, qu’il disparaisse comme s’il n’avait jamais existé...

 

Évidemment, il faut s’y attendre, les Flaubertiens professionnels et confîmes (je ne suis pas du nombre) ne manqueront pas de revenir sur tel aspect ou tel autre de sa vie. Quoi de plus normal ? Je pense à une phrase attribuée, je crois, à André Malraux qui veut qu’après la disparition d’une personne il ne reste de son passage sur terre qu’un tas de petits secrets... Flaubert n’échappe pas à cette loi d’airain. Et je pense à la phrase provocatrice : Madame Bovary  c’est moi.

 

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