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Catherine Majeur-Jaouen,  Le culte des saints musulmans. Des débuts de l’islam à nos jours. Gallimard, 2024

Catherine Majeur-Jaouen,  Le culte des saints musulmans. Des débuts de l’islam à nos jours. Gallimard, 2024

Catherine Majeur-Jaouen,  Le culte des saints musulmans. Des débuts de l’islam à nos jours. Gallimard, 2024

 

Les plus grands islamologues, comme  Ignace  Goldziher de Budapest au milieu du XIXe siècle, n’ont pas manqué d’attirer l’attention sur ‘importance qui revient à cet  aspect  peu étudié du culte musulman. Gpldziher (1850-1921) soulignait dans un article écrit (en français) en 1880 la différence du traitement de ce domaine spirituel et religieux par rapport à la communion des saints dans la religion chrétienne.

 

Ce culte des saints musulmans se voit consacrer aujourd’hui un épais volume qui aborde toutes les questions le concernant. L’auteure souligne d’emblée que l’on pourrait bien reconsidérer l’histoire de la religion islamique de ce point de vue, ce qui n’avait pas échappé au regard d’un savant comme Goldziher qui a marqué de son empreinte l’islamologie européenne. On connait ses Muhammedanische Stiudien, son ouvrage su l’exégèse du Coran, traduit en français, et aussi son journal intime et sa correspondance , publiés après sa mort par son compatriote Alexandre Scheiber .

 

Ce culte des saints a opposé les unes aux autres certaines   tendances ou sensibilités  de l’islam sunnite et chiite dès le VIIIe siècle. Bien que cet aspect du problème ne soit pas le trait dominant de cet ouvrage de grande qualité, il faut souligner que les communautés juives d’Orient, principalement, furent    influencées par ce culte des saints juifs. A des dates précises, marquant la naissance ou la disparition de tel rabbin miraculeux ou de tel autre, on se réunissait dans des lieux de repos afin d’implorer la bienveillance de ces saints. Et ces pratiques se poursuivent aujourd’hui encore, dans le cadre d’une hilloula, sorte de repas communiel au cours duquel les fidèles, adeptes de la religion populaire, se recueillent et sollicitent l’intercession des esprits défunts : qui pour guérir une maladie, qui pour avoir des enfants, qui pour accomplir un vœu, trouver l’élu de son cœur, etc... Le propre de ces pratiques est d’attester que les êtres humains peuvent communiquer avec Dieu ou avec  des saints capables de faire des miracles. Ces pratiques théurgiques se fondent dans le paysage qui a souvent favorisé de tels lien avec le monde supérieur. On peut aussi risquer un prudent  rapprochement avec la secte des hassidim.

 

L’auteure note qu’un voyage dans un pays musulman témoigne de la grande porosité de ces pratiques, généralement confiées à des confrérie soufies ou à d’autres groupes religieux... Un arbre, un puits, une tombe anonyme, un gîte d’étape, tout cet ensemble peut devenir un lieu de pèlerinage, censé avoir abrité le séjour d’un saint homme. Mais cette hyper activité religieuse peut parfois susciter la méfiance des autorités politiques qui y voient parfois des foyers potentiels d’agitation, voire de contestations sociales. D’ù les nombreuses interdictions frappant certaines régions dont la population n’est pas toujours fiable politiquement. En effet, ces pratiquent favorisent plus la religiosité individuelle qu’un culte codifié, mis aux normes en vigueur et donc plus facilement contrôlable, s’il menaçait de tomber en d’autres mains. Il suffit de voir ce qui se passait en Égypte au début du XXe siècle lorsque des mouvements, typiquement religieux à l’origine,  finissent par abriter des foyers d’insurrection : c’est la charge explosive de cette pratique religieuse qui entend devenir une force de progrès et une lutte contre la tyrannie ambiante.

 

Une remarque  philologique s’impose, le culte des saints décrit une pratique chrétienne et non musulmane à l’origine. Le terme arabe trouvé pour désigner ce culte typiquement musulman, ne recouvre la notion qu’imparfaitement : Ziyara. Il s’agit de rendre visite, de visiter un lieu auquel s’est attaché le nom d’un saint homme. On peut donc parler d’un pèlerinage. Ceci montre que Goldziher avait eu raison de souligner la grande différence entre ce culte chez les Arabo-musulmans, d’une part, et chez les chrétiens, d’autre part. Il y a un problème d’incarnation qui est totalement absent  en milieu musulman... N’oublions pas que l’une des raisons historiques    expliquant la naissance de l’islam et l’insistance mise sur l’absolue unité et unicité divines se voulait une réaction à ce qui évoquait  une sorte de «trithéisme» chrétien.

 

Mais ce livre proteste aussi contre ce qui lui apparait comme une déformation du sujet ; par exemple, que le culte des saints serait l’islam des femmes, une sorte de rabaissement du sujet et, en tout état de cause, une présentation biaisée de la question. . Voici ce que dit l’auteure après une vigoureuse mise au point :

 

Ce livre porte sur des saints, des sanctuaires et des pratiques, dans une approche historique, historienne et comparatiste,,  à l’aune de l’anthropologie historique pour tenter de comprendre l’histoire d’un phénomène majeur de l’islam, les liens tissés entre les musulmans et les saints, dans la diversité des situations, des contextes, des périodes.

Cet ouvrage qui servira sûrement de référence sur la question du culte des saints musumans, étend  ses investigations aussi à la philologie sémitique. Je ne peux pas entrer dans les détails mais je suis très heureux de voir que le grand arabisant, fondateur de l’islamologie européenne, Ignace Goldziher est à l’honneur. Mon défunt maître à la Sorbonne, Georges Vajda, l’avait connu à Budapest, sa ville natale. Il m en parlait souvent et c’est lui qui m’a fait connaître le livre de Scheiber sur Goldziher.

 

L’auteure évoque aussi les ressemblances ou les influences potentielles des cultes respectifs (juif, chrétien, païen ou antéislamique en général, sans omettre l’imposant legs  de la Bible hébraïque, et notamment prophétique. Mais tous ces cultes entretenaient entre eux une certaine porosité... Je me souviens de dames musulmanes, nées au Maroc, qui rejoignaient respectueusement des groupes exclusifs juifs, à proximité d’un sanctuaire ou d’un simple site anonyme. Elles venaient écouter des prières censées permettre la guérison d’un être cher ou la naissance d’un bébé.  La piété naïve de ces femmes doit être prise en compte, voire même respectée.

 

Dans la littérature talmudique aussi, on trouve des cas où  sages et  pèlerins se recueillent sur une tombe pour implorer l’ intercession d’un grand sage de la Torah... L’exemple qui me vient à l’esprit est celui du légendaire rabbi Méir qui vint se recueillir sur la tombe de son défunt maître, pourtant accusé d’hérésie. Rabbi Méir éteignit le feu qui s’était déclaré sur la tombe en étendant son châle de prière par-dessus. Certes, il y a la référence à une tombe, comme chez les musulmans, mais cela ne suffit pas pour établir une influence. D’autant que la clôture de la littérature talmudique intervient bien avant la naissance de l’islam.

 

Il y aurait encore tant de choses à mentionner mais j’ai tendance à faire long. Remercions l’auteure pour ce beau volume dont elle nous fait l’aubaine.

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