Florian Larminach, Histoire de « la fin de l’histoire». Une enquête philosophique. PUF. 2024
Florian Larminach, Histoire de « la fin de l’histoire». Une enquête philosophique. PUF. 2024
Voici une lecture des plus passionnantes sur la notion d’Histoire (avec une majuscule ou une minuscule), ou plutôt sur un phénomène qui remonte à peu d’années lorsque la formule «fin de l’Histoire» était en passe de faire florès. Elle a connu depuis un véritable essor .
De quoi s’agit-il ? D’une affaire majoritairement allemande, Hegel ayant tracé la vois à des successeurs de plus en plus nombreux... Je me souviens d’une citation hégélienne dans ce sens : les années de bonheur de l’humanité sont les pages blanches de l’Histoire. Tout est dit dans cette phrase qui est loin d’être simple. La couleur blanche dans ce conteste renvoie à l’absence de catastrophes et de guerres, ce qui présuppose que la teneur de l’histoire consiste justement à faire la chronique des malheurs de l’humanité. Et la fin de l’histoire veut dire que l’humanité accède à un état paradisiaque, comparable à celui dont jouissait le premier couple formé par Adam et Ève : il n y a plus de temps, plus d’histoire mais une éternité immobile ... On se demande si le genre humain réussira un jour à accéder à cet état.
Mais avant de parler de fin de l’histoire, il faut se pencher sur le thème de l’histoire, en tant que telle. Sommes nous fondés à parler d’histoire comme d’un gigantesque réel en devenir, doté d’un sens, porteur d’un projet et animé d’une vision ? Qui nous dit que nous avons raison de voir dans cette succession illimitée de tant d’événements sans lien apparent entre eux, un ensemble structuré selon un principe architectonique ? Est-il connu de nous ou sommes nous condamné à lui obéir sans résistance ? Devons nous admettre l’existence d’une intelligence cosmique guidant de manière visible ou invisible les pas de l’humanité ? En d’autres termes, est ce que l’avenir est écrit quelque part ? La divinité , s’il s’agit bien d’elle, a-t-elle programmé ce que seront nos actions, les réunissant dans un enchaînement subtil, censé atteindre son but au point d’aboutir à un but fixé d’avance...
L’auteur de ce livre développe sur des pages et des pages la définition de cette fin de l’histoire, à ne pas confondre avec d’autres notions proches, par exemple ne pas y inclure la vision du prophète Isaïe (VIIIe siècle avant Jésus) qui parle de la fin des jours ou des temps (aharit ha yamim). L’histoire, telle que définie par l’auteur, c’est autre chose. L’arrière-plan religieux est mis de côté et j’avoue ne pas en comprendre la raison. La littérature prophétique peut harmonieusement être intégrée dans cet ensemble qu’est l’histoire.
Le messianisme est, selon moi, inséparable de l’histoire telle que nous la concevons en tant qu’êtres humains. Et le messianisme peut aussi être sécularisé, comme le laisse entendre Carl Schmitt ou carrément Karl Marx en personne. Tant de valeurs de la société civile sont d’anciennes valeurs étaient dotées d’un fond religieux. L’état messianique représente d’une certaine façon un dépassement de cet idéal.
L’historiographie biblique est une histoire prophétisante, en ce sens qu’elle prévoit pu précède les événements à venir, ce qui n’est pas le cas chez Hérodote ou Thucydide qui se contentent de constater. L’auteur ne veut pas de cet arrière-plan religieux. En effet, si l’on admet que l’histoire obéit à un schéma préétabli, on ne peut pas faire l’économie d’un intellect universel dont dépend tout ce qui se passe sur terre. Cela nous fait changer de paradigme mais pas d’origine. Je veux dire que cette notion d’histoire a toujours été urne affaire germanique ou allemande. Le présent ouvrage en atteste lui aussi puisqu’il parle en tout premier lieu de Kant, de Hegel, de Marx, et de quelques autres .
Je me souviens avoir lu chez Renan (voir mon livre ; Renan, la Bible et les juifs, Arléa, 2011) que Victor Cousin avait rendu visite à Hegel en Allemagne et, de ce fait, avait introduit en France la notion de philosophie de l’histoire... C’est ainsi que cette nouvelle discipline universitaire commença à essaimer de ce côté-ci du Rhin.
Kant n’a pas traité cette question de manière suivie et systématique, il a préféré en parler dans différents passades disséminés dans son œuvre. Deux forces contraires, l’instinct et la raison , se livrent en chacun de nous un violent combat qui débouche sur la culture., l’homme devient alors un être raisonnable et fini.
Mais c’est Hegel qui dispose de la grande exposition du sujet, même l’auteur se montre réservé à l’égard des commentateurs du philosophe qui ont voulu découvrir chez lui cette idée de fin de l’histoire, bien que l’expression ne figure pas verbatim dans toute son œuvre. En revanche, on trouve chez lui des idées assez proches, notamment les Leçons sur la philosophie de l’histoire et dans La phénoménologie de l’esprit.
Ce qui me frappe, en réalité, ce sont les idées du philosophe sur le savoir absolu, à savoir la vérité, en d’autres termes, ,tout ce qui se résume sous la domination de l’esprit. Et aussi ses idées sur l’État, sujet sur lequel je jeune penseur juif, Franz Rosenzweig abstenu sa thèse de doctorat. Hegel affirme sans la moindre réserve que le christianisme et la seule religion vraie. Il pensait aussi que Ce qui parait pour avoir ou être un état, il fallait être en mesure de mener une guerre. Le christianisme représente pour le philosophe, le point culminant de la progression de l’esprit . C’est le seul chemin vers la perfection et l’esprit absolu, donc de la vérité.. Même le culte trinitaire est un clin d’œil à la pensée chrétienne avec la pensée en trois mouvements.
Pourtant, les raisonnements du philosophe laissent entendre que l’histoire est censée avoir une fin, donc un sens et une évolution contrôlée. L’auteur parle ici souvent de telos, de but , de fin. Mais comment affirmer que la fin de l’histoire est elle-même historique ? Ce serait la description de quelque chose, d’une réalité, qui n’existe pas ou qui n’existe plus...
Après Hegel, l’auteur de ce livre traite de cette question (existe-t-il une fin de l’histoire ?) dans les écrits de Marx. Et comme ce qui précède, il note et souligne que l’expression en soi, Ende der Geschichte, ne figure nulle part dans les écrits marxiens. Ce sont les commentateurs qui ont prêté à l’auteur du Capital une telle idée. Il est vrai que la notion de matérialisme est difficilement conciliable avec ka philosophie générale de œuvre . Si l’on tire à soi certains passages, on peut discerner dans la mission échue au prolétariat une sorte de terme, de but , un telos à cette évolution historique. Marx établit une successivité entre différents stades de cette évolution. On serait alors tenté d’y voir le couronnement d’un processus historique, appelé à aboutir quelque part. Et une fois qu’on aura réalisé cette mission, l’histoire s’arrêterait, d’une certaine façon. Mais il semble que ce ne soit pas le cas.
Ce livre est si riche, si nuancé qu’on en oublie les premières conclusions. L’auteur note avec finesse que faire l’histoire de la thèse sur la fin de l’histoire revient à recenser le nombre de ses ces contradicteurs... Il est vrai qu’ on a du mal à se représenter un état qui se serait débarrassé de l’histoire tut court. Il semble, à moins que tout ne trompe, que cette idée de fin de l’histoire (si l’on se distingue de Fujuyama) a ses origines dans des contextes plutôt religieux, même si certains s’en défendent Pour ma part, j’ai beaucoup appris en lisant ce livre. Et l’idée même d’un processus historique appelé à prendre fin ne me parait pas saugrenue.