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  • Exécutions sommaires en Syrie

    Exécutions sommaires en Syrie

     

    En Syrie, et notamment dans la ville d’Alep, c’est une lutte à mort qui est engagée entre les rebelles et les forces du régime. Les deux parties savent que le vainqueur de la bataille d’Alep l’emportera définitivement : en effet, si les troupes de Bachar ne réussissent pas à contrôler la capitale économique du pays, c’est le régime tout entier qui sera vaincu. Or, à moins que tout ne trompe (pour parler comme les Allemands) l’armée syrienne recule et les insurgés ont même sécurisé un couloir menant de la métropole du nord à la frontière turque, ce qui permet un acheminement sans problème d’hommes et de matériel. Bachar ne semble plus en mesure de motiver son armée et de protéger les postes-frontières avec les pays voisins. Or, la Turquie abrite et reçoit les chefs militaires de l’insurrection et sert de base arrière.

     

    Si les insurgés gagnent du terrain, ils ont, en revanche, commis des crimes de guerre à la face du monde : hier, alors que je m’exerçais en regardant al-Jazeera, j’ai soudain vu que l’on collait une dizaine d’hommes aux visages ensanglantés et tuméfiés, contre un mur… Et s’ensuivit une fusillade d’au moins une minute ! Les insurgés avaient exécuté sommairement leurs prisonniers, symboles d’un régime sanguinaire honni. Ce spectacle a révulsé des millions de téléspectateurs et causera du tort aux rebelles qui adoptent désormais les mêmes méthodes que le régime d’Assad lequel tue, torture et brûle tout sur son passage. C’est la politique de la terre brûlée ( siyassat al ard al-mahrouka).

     

    La guerre, car c’en est une et ceux qui font mine de l’ignorer ne leurrent qu’eux-mêmes, pousse les combattants des deux camps à commettre des exactions en réponse à celles de leurs ennemis. Il est vrai que le régime syrien a toujours régné par la terreur mais si les insurgés veulent conserver leur capital de sympathie auprès de l’opinion publique mondiale qui est à leurs côtés, ils doivent respecter la vie humaine…

     

    Qu’est ce que cette façon de laisser à terre le corps criblé de balles du général commandant de la gendarmerie d’Alep ? Qu’est ce que cette façon de torturer les prisonniers. Il ne faut pas confondre torture et résistance.

     

    On apprend aussi que des combats ont éclaté dans les quartiers chrétiens de Damas. N’oublions pas que ce qui nous paraît incompréhensible ici en Occident est monnaie courante en Orient. Les chrétiens, amis d’Assad qui leur servait de protecteur, vont sûrement payer au prix fort leur alliance dictée par la nécessité du moment. Ils vont donc avoir à choisir entre un sort cruel et terrible sur place et / ou l’exil. Et c’est ainsi que l’Orient arabe se videra de toute présence chrétienne alors que c’est sur cette terre que la religion de Jésus fit ses premiers pas. Hier soir, Canal + a diffusé un long reportage sur les acquisitions immobilières du Hezbollah libanais qui reprend les terrains des villages chrétiens à prix d’or…

     

    Après l’Irak que les chrétiens quittent en masse, voici venu le tour de ceux de Syrie et du Liban. C’est triste.

     

    Maurice-Ruben HAYOUN

    In Tribune de Genève du 2 août 2012

  • Terre Promise, terre interdite. Palestine, 1947, de François-Jean Armorin

     

     

    Terre Promise, terre interdite. Palestine, 1947, de François-Jean Armorin (Tallandier, coll. Texto, 2010)

     

    Ce livre, vraiment passionnant, est une réédition d’un ouvrage paru au moment même de la naissance de l’Etat d’Israël sous le titre Les juifs quittent l’Europe… L’intitulé est évocateur : l’auteur, grand reporter dans un journal connu de l’époque, avait embarqué dans un vieux rafiot avec des milliers de migrants clandestins en direction de la Palestine, au nez et à la barbe des Britanniques qui interdisaient l’arrivée des rescapés des camps de la mort. Armorin raconte ce périlleux périple jour après jour : sa rencontre rocambolesque avec les membres de l’armée clandestine, la hagganah, le rendez vous pour se rendre dans une ville de la côte française, la vie à bord de ces vieux navires tout juste bons pour la casse mais qui retrouvaient chargés de milliers de réfugiés.

     

    A bord, l’auteur s’entretient avec les rescapés de l’Holocauste qui lui racontent ce qu’ils ont enduré. On lit aussi une description détaillée de l’atmosphère dans ce vieux rafiot sur lequel les repas distribués sont vraiment très parcimonieux : une soupe claire, quelques grammes viande ou de poisson et comme dessert deux ou trois figues… C’est qu’il fallait tenir, imposer la discipline à de pauvres hommes auxquels aucun outrage n’avait été épargné.

     

    Lorsque le bateau est arraisonné, le journaliste doit quitter le rivage de Haïfa après seulement quelques minutes passées en Palestine. Il est dérouté vers Chypre où les Britanniques ont parqué les réfugiés dans des camps entourés de miradors d’où les sentinelles ont pour consigne de tirer sur des fuyards. Nous sommes dans la période de l’immédiat après-guerre. Et la manière dont les Britanniques traitent les rescapés des camps de la mort est inexcusable.

     

    On lit un récit du détournement d’un bateau de réfugiés juifs vers Hambourg. C’est un événement historique mais on a peine à croire que l’on ramenait les victimes dans le pays de leurs bourreaux et tortionnaires. J’avoue que j’ai été secoué par des sentiments mêlés à l’égard des Britanniques en lisant ce chapitre, même si je connais ce douloureux passage. Mais le fait de lire le témoignage d’un témoin oculaire est nettement plus impressionnant que la découverte de ce fait dans un livre d’histoire…

     

    J’ai été étonné de découvrir dans ce livre quelques sagaces réflexions sur les vicissitudes du peuple juif et aussi quelques citations, notamment de Léo Pinsker (auteur du texte Autoemancipation) et de Herzl lui-même.

     

    Voici la première (p38) : le juif est pour les vivants un mort ; pour les autochtones un étranger ; pour les sédentaires un vagabond ; pour les possédants un mendiant, pour les pauvres, un exploiteur et un millionnaire ; pour les patriotes c’est un sans patrie ; pour toutes les classes de la société, un concurrent détesté…… Ainsi, notre patrie, c’est l’étranger. Notre unité, la dispersion ; notre solidarité, l’hostilité générale ; notre arme, l’humilité ; notre tactique, la fuite ; notre originalité, l’adaptation ; notre avenir, le jour prochain.

    Quel désespoir ! La seconde citation est bien plus curieuse puisqu’elle émane d’un journaliste viennois, le plus parisien de tous les Autrichiens qui couvrait la vie parlementaire française, un certain… Théodore Herzl lequel écrivait ceci en rendant compte de la pièce de Dumas fils, La femme de Claude :

     

    Le bon juif Daniel veut retrouver sa patrie perdue et et réunir à nouveau ses frères dispersés. Mais sincèrement un tel juif doit savoir qu’il ne rendrait guère service aux siens en leur rendant leur patrie historique (p 110)

     

    On croit rêver en lisant ces quelques lignes, il est vrai qu’après avoir vécu la dégradation publique d’un certain capitaine Alfred Dreyfus, le 5 janvier 1895 dans la cour de l’Ecole Militaire, le journaliste viennois, futur fondateur du nouvel Etat juif, changea totalement d’avis… Le cri du capitaine l’a touché : Soldats, on dégrade un innocent… Mais les cris d’une troupe forte de quatre mille hommes couvre la supplique du condamné . On lui lance un terrible : Mort aux juifs !

    Mais, tout de même, quel retournement des choses aux yeux de Herzl ! Chacun connaît la suite : rentré dans son hôtel, il s’enferme pour rédiger quelques notes qui seront le Judenstaat, l’Etat des Juifs (et non l’Etat juif). Herzl, en bon juif viennois assimilé, prisait peu les religieux !

     

    François-Jean Armorin poursuit ses narrations faites de témoignages mais aussi de comparaisons peu flatteuses pour les Britanniques qui sont assimilés aux Nazis qu’ils avaient eux-mêmes victorieusement combattus. Voici un petit passage significatif : Des hommes veulent rentrer chez eux. Cela gêne une puissante nation pour quelques raisons précises… Alors, on déporte ces gens, on les cerne de barbelés.

    Le jugement peut paraître excessif mais on le comprend mieux quand on se souvient d’une citation assez cynique d’Anthony Eden disant ceci : le monde n‘est pas basé sur la justice mais sur le pétrole… Les voilà les raisons précises !

     

    Un autre Britannique célèbre donnait du sioniste une définition peu flatteuse : Qu’est-ce qu’un sioniste ? Un juif qui donne de l’argent à un autre juif pour en envoyer un troisième en Palestine… Si tel avait vraiment été le cas, nous n’en serions pas là.

     

    Le livre ne se laisse pas résumer aisément car cela donnerait des parties fort découses. C’est l’auteur qui ne laisse pas de tenir l’attention. A cet effet, deux textes, dont un de Joseph Kessel, nous en disent plus sur un jeune reporter mort à l’âge de vingt-sept ans, lors d’uns catastrophe aérienne à Bahreïn, dans des conditions mystérieuses…

     

    In Tribune de Genève du 1er août 2012