Terre Promise, terre interdite. Palestine, 1947, de François-Jean Armorin (Tallandier, coll. Texto, 2010)
Ce livre, vraiment passionnant, est une réédition d’un ouvrage paru au moment même de la naissance de l’Etat d’Israël sous le titre Les juifs quittent l’Europe… L’intitulé est évocateur : l’auteur, grand reporter dans un journal connu de l’époque, avait embarqué dans un vieux rafiot avec des milliers de migrants clandestins en direction de la Palestine, au nez et à la barbe des Britanniques qui interdisaient l’arrivée des rescapés des camps de la mort. Armorin raconte ce périlleux périple jour après jour : sa rencontre rocambolesque avec les membres de l’armée clandestine, la hagganah, le rendez vous pour se rendre dans une ville de la côte française, la vie à bord de ces vieux navires tout juste bons pour la casse mais qui retrouvaient chargés de milliers de réfugiés.
A bord, l’auteur s’entretient avec les rescapés de l’Holocauste qui lui racontent ce qu’ils ont enduré. On lit aussi une description détaillée de l’atmosphère dans ce vieux rafiot sur lequel les repas distribués sont vraiment très parcimonieux : une soupe claire, quelques grammes viande ou de poisson et comme dessert deux ou trois figues… C’est qu’il fallait tenir, imposer la discipline à de pauvres hommes auxquels aucun outrage n’avait été épargné.
Lorsque le bateau est arraisonné, le journaliste doit quitter le rivage de Haïfa après seulement quelques minutes passées en Palestine. Il est dérouté vers Chypre où les Britanniques ont parqué les réfugiés dans des camps entourés de miradors d’où les sentinelles ont pour consigne de tirer sur des fuyards. Nous sommes dans la période de l’immédiat après-guerre. Et la manière dont les Britanniques traitent les rescapés des camps de la mort est inexcusable.
On lit un récit du détournement d’un bateau de réfugiés juifs vers Hambourg. C’est un événement historique mais on a peine à croire que l’on ramenait les victimes dans le pays de leurs bourreaux et tortionnaires. J’avoue que j’ai été secoué par des sentiments mêlés à l’égard des Britanniques en lisant ce chapitre, même si je connais ce douloureux passage. Mais le fait de lire le témoignage d’un témoin oculaire est nettement plus impressionnant que la découverte de ce fait dans un livre d’histoire…
J’ai été étonné de découvrir dans ce livre quelques sagaces réflexions sur les vicissitudes du peuple juif et aussi quelques citations, notamment de Léo Pinsker (auteur du texte Autoemancipation) et de Herzl lui-même.
Voici la première (p38) : le juif est pour les vivants un mort ; pour les autochtones un étranger ; pour les sédentaires un vagabond ; pour les possédants un mendiant, pour les pauvres, un exploiteur et un millionnaire ; pour les patriotes c’est un sans patrie ; pour toutes les classes de la société, un concurrent détesté…… Ainsi, notre patrie, c’est l’étranger. Notre unité, la dispersion ; notre solidarité, l’hostilité générale ; notre arme, l’humilité ; notre tactique, la fuite ; notre originalité, l’adaptation ; notre avenir, le jour prochain.
Quel désespoir ! La seconde citation est bien plus curieuse puisqu’elle émane d’un journaliste viennois, le plus parisien de tous les Autrichiens qui couvrait la vie parlementaire française, un certain… Théodore Herzl lequel écrivait ceci en rendant compte de la pièce de Dumas fils, La femme de Claude :
Le bon juif Daniel veut retrouver sa patrie perdue et et réunir à nouveau ses frères dispersés. Mais sincèrement un tel juif doit savoir qu’il ne rendrait guère service aux siens en leur rendant leur patrie historique (p 110)
On croit rêver en lisant ces quelques lignes, il est vrai qu’après avoir vécu la dégradation publique d’un certain capitaine Alfred Dreyfus, le 5 janvier 1895 dans la cour de l’Ecole Militaire, le journaliste viennois, futur fondateur du nouvel Etat juif, changea totalement d’avis… Le cri du capitaine l’a touché : Soldats, on dégrade un innocent… Mais les cris d’une troupe forte de quatre mille hommes couvre la supplique du condamné . On lui lance un terrible : Mort aux juifs !
Mais, tout de même, quel retournement des choses aux yeux de Herzl ! Chacun connaît la suite : rentré dans son hôtel, il s’enferme pour rédiger quelques notes qui seront le Judenstaat, l’Etat des Juifs (et non l’Etat juif). Herzl, en bon juif viennois assimilé, prisait peu les religieux !
François-Jean Armorin poursuit ses narrations faites de témoignages mais aussi de comparaisons peu flatteuses pour les Britanniques qui sont assimilés aux Nazis qu’ils avaient eux-mêmes victorieusement combattus. Voici un petit passage significatif : Des hommes veulent rentrer chez eux. Cela gêne une puissante nation pour quelques raisons précises… Alors, on déporte ces gens, on les cerne de barbelés.
Le jugement peut paraître excessif mais on le comprend mieux quand on se souvient d’une citation assez cynique d’Anthony Eden disant ceci : le monde n‘est pas basé sur la justice mais sur le pétrole… Les voilà les raisons précises !
Un autre Britannique célèbre donnait du sioniste une définition peu flatteuse : Qu’est-ce qu’un sioniste ? Un juif qui donne de l’argent à un autre juif pour en envoyer un troisième en Palestine… Si tel avait vraiment été le cas, nous n’en serions pas là.
Le livre ne se laisse pas résumer aisément car cela donnerait des parties fort découses. C’est l’auteur qui ne laisse pas de tenir l’attention. A cet effet, deux textes, dont un de Joseph Kessel, nous en disent plus sur un jeune reporter mort à l’âge de vingt-sept ans, lors d’uns catastrophe aérienne à Bahreïn, dans des conditions mystérieuses…
In Tribune de Genève du 1er août 2012