Keila la rouge d’Isac Beshevis Singer (Editions Stock)
Curieux roman que ce long récit de l’auteur yiddish si célèbre depuis son obtention du prix Nobel de Littérature en 1978 et qui a quitté ce monde en 1991. On y retrouve les mêmes descriptions d’un monde qui a sombré dans l’oubli, pas uniquement à cause de la Shoah à venir, mais surtout en raison d’une dissolution dans un univers radicalement nouveau et obéissant à d’autres règles, l’immigration aux USA, avec tout ce que cela suppose comme adaptation, déracinement, violence morale et renoncements de toutes sortes. Mais ici, dans ce long roman, paru en extraits dans la revue littéraire yiddish Forwaets, c’est un personnage fort étrange et haut en couleurs qui occupe le centre de l’intrigue, Keila la rouge, ainsi appelée en raison de son abondante chevelure rousse qui la distinguait de toutes les autres jeunes femmes du quartier juif de Varsovie. Mais ce n’était pas son unique signe distinctif, hélas, c’était plutôt son statut de prostituée notoire et douée, qui l’avait fait transiter par trois bordels à vingt-neuf ans à peine, sans compter les nombreuses rues de la capitale polonaise où elle exerçait sans vergogne sa coupable industrie. Alors qu’elle provenait d’une famille, certes pauvre et démunie, mais tout de même honnête, Keila était tombée dans les filets d’une bande de délinquants juifs qui s’étaient spécialisés dans la traite des blanches, recrutant par exemple, de belles mais naïves jeunes filles qu’ils conduisaient de Pologne en Amérique du sud afin de les contraindre à se prostituer… Ici, Singer veut démythifier une légende selon laquelle les juifs seraient plus moraux, plus éthiques, du fait même de leur naissance juive.
Le problème avec cette Keila, c’est qu’elle s’était fort bien accommodée de ce mode de vie dans ce milieu interlope. On ne pouvait plus parler d’agir sous la contrainte puisqu’elle exerçait son métier avec bonheur (sic) et unissait son vice à sa condition de membre de la communauté juive sans trop de difficultés.
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